Face au RN, les contradictions de la Macronie

Au sein de la coalition présidentielle, les positions sont très floues sur l’attitude à adopter face à la formation de Marine Le Pen. Les erreurs et les « fautes » sur le sujet rendent la ligne macroniste illisible et inconséquente face à la progression de l’extrême droite dans le pays.

Lucas Sarafian  • 21 février 2024
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Face au RN, les contradictions de la Macronie
Emmanuel Macron reconduisant Marine Le Pen après un entretien à l’Élysée, le 21 juin 2022, deux jours après les législatives.
© Ludovic MARIN / AFP

Comprendre l’attitude des troupes macronistes face au Rassemblement national est une tâche pour le moins complexe. Voire quasi impossible. Le fameux cordon sanitaire, coûte que coûte, semble avoir du plomb dans l’aile et la simple évidence vire au flou artistique. Plusieurs lignes cohabitent sur le comportement à adopter. Et les contradictions commencent à s’accumuler.  

Dans un entretien fleuve accordé à L’Humanité et publié le 19 février, Emmanuel Macron est interrogé sur l’invitation protocolaire qu’a reçue Marine Le Pen pour assister à la panthéonisation de Missak Manouchian. « Est-ce au président de la République de dire qu’un élu du peuple siégeant au Parlement est illégitime ? Non », assure-t-il. Plus tard dans l’interview, il insiste : « Je n’ai jamais considéré que le RN ou Reconquête s’inscrivaient dans ‘l’arc républicain’. Le RN est à l’Assemblée, ses députés votent les lois et l’Assemblée nationale leur a confié des responsabilités. On ne peut pas en faire abstraction. En revanche, j’ai toujours considéré, comme avec la loi immigration, que les textes importants ne devaient pas passer grâce à leurs voix. Ce distinguo suffit à dire où j’habite. »

Moi, je considère que l’arc républicain, c’est l’hémicycle.

G. Attal

Le coup stratégique est clair : alors que le RN devance le camp macroniste d’une dizaine de points en vue des européennes, Emmanuel Macron, qui n’a pas réussi à stopper la progression de Marine Le Pen dans les urnes, tente de s’adresser à l’électorat de gauche. L’objectif ? Faire oublier qu’il a lui-même occupé le terrain idéologique du RN avec la remise en cause récente du droit du sol à Mayotte et l’adoption du projet de loi immigration adopté grâce aux voix des députés RN. Même logique du côté du Premier ministre, Gabriel Attal. Dans Le Figaro, le 20 février, l’hôte de Matignon tente de jouer la carte de l’affrontement avec Marine Le Pen : « Si le RN veut transformer les champs en un terrain politique, alors je suis prêt à un débat sur l’agriculture avec Marine Le Pen. »

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Dans le même temps, Attal tente de faire oublier ses propres déclarations. Début février, en déplacement à Berlin, il lâche dans Le Monde : « Moi, je considère que l’arc républicain, c’est l’hémicycle. » En clair, le patron du gouvernement entend travailler avec tous les groupes politiques. Sans aucune distinction. La vice-présidente du groupe Renaissance Nadia Hai tempère : « Je n’ai pas compris que Gabriel Attal avait dit qu’on devait travailler avec tout le monde. Il a dit que l’hémicycle, c’était l’arc républicain. Parce que les députés RN ont été élus comme nous. Mais il n’est pas question de travailler avec eux sur des amendements, ça n’a jamais été envisagé. Gabriel Attal et Emmanuel Macron sont alignés. »

Deux versions

Trois jours plus tard, le 9 février, en déplacement à Bordeaux (Gironde), le chef de l’État, entouré du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, et du ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, répète qu’aucun texte ne doit être adopté grâce aux voix du RN. Mais, selon ses propos, les troupes marinistes peuvent néanmoins travailler avec la majorité présidentielle : « C’est tout à fait normal de dire qu’il peut y avoir des discussions. Et on ne va pas considérer que telle ou telle formation politique aurait moins de droits parlementaires et moins de reconnaissance. Mais ça ne change pas la doctrine : l’objectif du gouvernement, c’est de constituer texte par texte des majorités. Et ces majorités peuvent être complétées ou grossies par des voix qui viennent de députés du Rassemblement national ou d’autres formations. »

Emmanuel Macron voudrait-il écrire un nouveau portrait de lui-même ? En 2022, le parti du locataire de l’Élysée a pourtant permis l’accession de deux députés marinistes – Sébastien Chenu et Hélène Laporte – aux postes de vice-présidents de l’Assemblée en 2022. Et l’ex-Première ministre Élisabeth Borne a installé une doctrine dangereuse dans le logiciel macroniste en ne cessant de mettre un signe égal entre La France insoumise et le Rassemblement national. Y aurait-il deux versions d’Emmanuel Macron : celle qui estime que le Rassemblement national doit être tenu à l’écart de la majorité et celle qui voit la formation de Marine Le Pen comme des collègues de travail potentiels ?

Je ne dis pas qu’il faut ostraciser ces députés, ce sont des adversaires politiques et on n’est d’accord sur rien.

B. Mournet

Quand on les interroge, les députés de la majorité croient fermement qu’il n’y a qu’une seule ligne face au RN et que tout le monde la respecte. « Notre position a toujours été la même : le RN a 89 députés, ils ont des postes à ce titre, ils ont des niches, ils proposent et votent des textes, les nôtres aussi, mais on ne doit pas chercher les alliances. Je ne dis pas qu’il faut ostraciser ces députés, ce sont des adversaires politiques et on n’est d’accord sur rien », affirme Benoit Mournet, porte-parole du groupe Renaissance. « La ligne de Sylvain Maillard (président du groupe Renaissance, N.D.L.R.) fait l’unanimité : pas de travail de fond avec eux, pas de vote sur leurs textes et leurs amendements. Mais je respecte tous les députés », estime Fanta Berete, elle aussi porte-parole des députés Renaissance.

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En vérité, deux positions se distinguent dans la coalition présidentielle. Il y a ceux qui placent un cordon sanitaire strict entre la majorité et le RN. « Aucune compromission. On n’a pas à voter ce qu’ils proposent. C’est tout », balaye Ludovic Mendes, porte-parole du groupe Renaissance. Et il y a ceux qui imaginent une relation un peu plus flexible, si les amendements que les députés marinistes proposent vont « dans le bon sens ». « La ligne rouge ? Il n’y a pas à travailler et voter les propositions de loi du RN. Déjà, il faudrait qu’elles soient sérieuses. Mais si un amendement est travaillé et qu’il va dans le bon sens, pourquoi pas. Mais ça reste assez compliqué de discuter avec les députés de La France insoumise comme ceux du RN », juge le député Modem Bruno Millienne.

Sagesse

Certains membres du gouvernement n’hésitent pas à casser les barrières. Le 13 février, les députés sont en plein débat sur le projet de loi pour renforcer la lutte contre les dérives sectaires. Deux amendements du Rassemblement national défendus par l’élu Thomas Ménagé sont mis au vote par la présidente de séance, l’insoumise Caroline Fiat. La rapporteure du texte, la députée Renaissance Brigitte Liso, donne un avis « défavorable ». Mais la secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté et de la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, prend la tangente : « Ce sera un avis de sagesse et il est tout à fait assumé. »

La formule signifie que le gouvernement refuse de se prononcer. Malaise dans la majorité mais aussi au sein du gouvernement. Le lendemain, sa porte-parole Prisca Thévenot recadre en creux Agresti-Roubache en sortie de conseil des ministres : « Je pense que la décence, c’est de rappeler qu’il n’y a pas d’avis de sagesse, ni de complaisance à l’endroit du Rassemblement national. »

Deux jours plus tard, L’Opinion publie un entretien du chef de file du groupe Horizons, Laurent Marcangeli. Le député répète la position qu’il avait tenue lors de l’élection massive de députés RN à l’Assemblée en 2022 : « En juillet 2022, j’ai dit que si demain un amendement sensé était déposé par le RN ou LFI, il ne fallait pas s’interdire de le soutenir (…). Les gens en ont marre qu’on leur fasse la morale. » Et sur la possibilité de créer des majorités avec le parti présidé par Jordan Bardella ? « En réalité, c’est déjà arrivé. Sur la loi immigration, le texte ne passait pas sans les voix du RN. Et ça ne m’a pas choqué. »

Les deux vice-présidences RN, c’est une faute monumentale.

C. Sitzenstuhl

Au sein de l’aile gauche, on grince des dents. « J’ai été surpris par l’interview de Marcangeli. Au sein du groupe Renaissance, il faut à certains moments remettre les points sur les ‘i’. Mais cet avis de sagesse, ce n’est pas normal », critique une députée. Cécile Rilhac, membre du petit parti En Commun qui menaçait de se structurer après le remaniement, tente de recadrer les choses : « On a toujours été très clairs : on n’a jamais souhaité que le RN ait des postes à responsabilité à l’Assemblée nationale, on ne doit pas signer ni voter les propositions de loi et les amendements politiques. Oui, nous sommes obligés de travailler avec eux, il faut respecter les règles de l’Assemblée. Mais respecter, ce n’est pas cautionner. »

D’autres souhaitent réinstaurer la doctrine initiale du cordon sanitaire. « La ligne d’opposition ferme au RN est globalement partagée. Même si on peut toujours faire mieux dans le combat concret. Ce doit être un réflexe, une disposition d’esprit. Il ne peut pas y avoir d’avis de sagesse du gouvernement contre la position du groupe sur des amendements RN. Et les deux vice-présidences RN, c’est une faute monumentale », lâche le député Renaissance, Charles Sitzenstuhl. Les erreurs restent. Les contradictions aussi ?

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