Remaniement : Emmanuel Macron nomme un gouvernement de « guerre sociale »

La deuxième vague de nominations au gouvernement donne la couleur : attaquer les droits des chômeurs, des malades, des seniors, des mal-logés et des enseignants sous prétexte d’efficacité.

Nils Wilcke  • 9 février 2024
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Remaniement : Emmanuel Macron nomme un gouvernement de « guerre sociale »
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Emmanuel Macron a le sens du timing : 70 ans après l’appel de l’Abbé Pierre le 1er février 1954, pour venir en aide aux plus démunis, conduisant à l’instauration de la trêve hivernale, le président a nommé Guillaume Kasbarian, l’un de ses opposants les plus acharnés, ministre délégué au logement. « Je ne sais pas si ce serait une marque de mépris ou d’inconscience », déclarait d’une voix blanche sur France Info Pascal Brice, président de la fédération des acteurs de la solidarité, quelques minutes avant l’annonce officielle du gouvernement.

Guillaume Kasbarian est l’auteur de la loi la plus répressive sur les expulsions depuis des décennies.

Jacques Baudrier

L’arrivée du député Renaissance à ce ministère constitue une véritable gifle pour les associations de défense des locataires et des mal-logés. M. Kasbarian, proche d’Aurore Bergé, est à l’origine de l’horrible loi anti-squat, qui durcit les sanctions envers les squatteurs et accélère les procédures d’expulsion en cas de loyers impayés. Pire, son texte prévoyait à l’origine six mois de prison contre les locataires en impayé de loyer qui restaient dans leur logement après un jugement d’expulsion définitif.

L’amendement, abandonné sur ordre d’Élisabeth Borne était considéré comme une « terrible régression », pour la fondation Abbé Pierre, dénoncée par la Défenseure des droits et même, fait rarissime, les Nations Unies. « Guillaume Kasbarian est l’auteur de la loi la plus répressive sur les expulsions depuis des décennies », a lancé sur X le communiste Jacques Baudrier, adjoint au Logement à la mairie de Paris, tandis que le chef des sénateurs écologistes, Guillaume Gontard, raille l’arrivée d’un « ministre du délogement ».

« On connaît déjà la sentence : chasse aux pauvres, coupes dans nos services publics »

Cette nomination n’est que la dernière touche à un gouvernement qui marque un nouveau tournant dans le quinquennat d’Emmanuel Macron : une déclaration de guerre sociale. La gauche ne s’y est pas trompée, dénonçant « de nouveaux bourreaux (qui) arrivent. Mais on connaît déjà la sentence : chasse aux pauvres, coupes dans nos services publics », déplore l’eurodéputée LFI Manon Aubry sur France Info, tandis que le patron du PS Olivier Faure fustige « un gouvernement qui n’aime que les riches ».

À vrai dire, le ton était donné dès le discours de politique générale de Gabriel Attal à l’Assemblée le 30 janvier. Ce jour-là, le nouveau Premier ministre fait savoir qu’il veut notamment saborder la loi SRU, qui prévoit que chaque commune intègre 25 % de logements sociaux à son parc immobilier. Résultat, les logements intermédiaires, beaucoup moins abordables, devraient être comptabilisés dans les quotas imposés jusqu’à présent dans la loi.

Sur le même sujet : « En sabordant la loi SRU, Gabriel Attal attaque un pilier de la République »

Le nouveau Premier ministre promet aussi de « désmicariser » la société française, sans entrer dans les détails. Et pour cause, le député Renaissance Marc Ferracci, chargé de réfléchir à l’acte II de la loi sur la croissance (dite « loi Macron »), a d’ores et déjà proposé cette solution mortifère. « Cette indexation peut s’avérer trop lourde pour les entreprises, notamment les plus jeunes. Cela produit aussi un tassement des grilles salariales », précisait récemment ce proche du président dans Challenges. Sans préciser qu’il s’agissait de désindexer le Smic de la hausse des prix, une solution à court terme fatale pour le pouvoir d’achat des smicards en cas d’inflation.

Mme Belloubet a pour bilan d’avoir mis les 164 barreaux de France en grève totale pendant deux mois en 2020.

D’autres mesures dans les tuyaux comme le travail obligatoire pour toucher le RSA, la fin de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), qui va faire priver les seniors en fin de carrière de cotisations retraites, la sortie de certaines maladies chroniques de la liste des affections longues durées (ALD) ou encore le doublement des franchises médicales font frémir. Nul doute que Catherine Vautrin, nouvelle ministre de la Santé et des affaires sociales, issue de la droite, va s’atteler à cette entreprise de démolition de l’État social.

« Choc d’inégalités » pour l’école

Le gouvernement Attal n’est pas en reste sur l’école. Le nouveau Premier ministre veut imposer un « choc des savoirs » à l’Éducation nationale. La formule est reprise servilement par la nouvelle ministre Nicole Belloubet ce vendredi lors de la passation de pouvoirs avec Amélie Oudéa-Castéra. Qualifiée de « femme de gauche » par la plupart des médias, Mme Belloubet, garde des sceaux sous le gouvernement d’Édouard Philippe, a pour bilan à la Justice d’avoir mis les 164 barreaux de France dans une colère telle qu’ils ont fait la grève totale pendant deux mois en 2020 lors de la réforme de leur système de retraite. Va-t-elle aussi mettre le feu à l’Éducation nationale, confrontée à une fuite des enseignants et un ras-le-bol général face aux réformes décriées par l’ensemble des personnels éducatifs, des organisations syndicales, des chefs d’établissement et même des hauts-fonctionnaires du ministère ?

Le dernier projet du gouvernement « remet en cause le droit égal d’accès à la poursuite d’étude pour tous les élèves », en créant des groupes de niveaux, « ce qui va immanquablement accentuer les inégalités scolaires », s’émeuvent les syndicats (FSU, UNSA, FO, Sgen-CFDT, CGT Éduc’Action et Sud). La pétition lancée contre cette mesure « assumée » par Gabriel Attal a déjà recueilli plus de 30 000 signatures. La gauche semble soufflée par ce programme, qualifié de « musée des horreurs ».

Gabriel Attal assure sur France 2 jeudi soir que la politique sociale qui « sort de la pauvreté, c’est le travail ». Une contre-vérité démentie par les statistiques : le travail ne protège plus de la pauvreté: 1,8 million des actifs en emploi sont sous le seuil de pauvreté et les ménages insérés sur le marché du travail représentent 25% des personnes pauvres, selon une étude de l’INSEE publiée en 2023.

Ce matin, Manuel Bompard, coordinateur de LFI et proche de Jean-Luc Mélenchon, fustige un « attelage brinquebalant » de « macronistes fanatisés » et de « mercenaires sans principe et sans conviction ». Les orientations prises par Emmanuel Macron et Gabriel Attal ne peuvent que lui donner raison.

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