Sextape, chantage et harcèlement au Sénat : la gestion Larcher sous le feu des critiques

Pour la première fois, le docteur El Hassan Lmahdi, le médecin qui a révélé le scandale du Sénat qui embarrasse son président Gérard Larcher, témoigne.

Nils Wilcke  • 13 février 2024
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Sextape, chantage et harcèlement au Sénat : la gestion Larcher sous le feu des critiques
Gérard Larcher, à Saint-Malo, en septembre 2023.
© Damien MEYER / AFP

Panique au Sénat après les révélations du médecin de l’institution, le docteur El Hassan Lmahdi, sur les pratiques présumées de sa collaboratrice médicale. Cette dernière possède une vidéo intime d’elle et d’un sénateur qu’elle utiliserait comme « un levier de pression ». La collaboratrice visée aurait obtenu par ce biais une importante revalorisation salariale et se vanterait de pouvoir « faire virer n’importe qui », selon Le Canard Enchaîné, qui a révélé l’affaire. Une menace qu’elle aurait mise à exécution avec le docteur El Hassan Lmahdi, renvoyé après avoir dénoncé son comportement auprès des ressources humaines. Le dos au mur, Gérard Larcher a saisi vendredi 9 février le procureur de la République.

C’est une guerre des castes. 

E. Lmahdi

À vrai dire, le président du Sénat n’avait guère le choix. Le matin-même, le praticien, qui se considère comme « un lanceur d’alerte victime d’une cabale », a tout déballé dans un e-mail explosif envoyé à l’ensemble du Sénat. Tout y passe : son renvoi sous des prétextes fallacieux la veille des vacances de Noël, sa quasi-mise à la rue avec sa femme enceinte et leurs deux enfants (1) et surtout, l’attitude de la direction du Sénat. Un courriel qui fait trembler les huiles du Sénat.

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Article mis à jour le 13 février : et non 5 enfants, comme écrit par erreur dans une précédente version.

« Il a tout envoyé à la totalité des 1 300 agents, 348 sénateurs et les 900 collaborateurs, vous imaginez », s’étrangle un sénateur qui fait partie du Bureau du Sénat, l’instance disciplinaire et budgétaire de l’institution. « Ils m’ont viré salement, c’est le lanceur d’alerte qui a été guillotiné », s’émeut le docteur El Hassan Lmahdi auprès de Politis, qui se dit « combatif ». L’affaire sera soumise au tribunal administratif. « Je veux que mon honneur soit lavé et obtenir une réparation financière » pour le préjudice subi.

Et pour cause, ces révélations détruisent la stratégie de Gérard Larcher. Le président du Sénat a tout fait, en vain, pour éviter que l’affaire ne s’ébruite dans la presse, selon nos informations. « Son obsession, c’est l’image de l’institution, nous confirme un haut fonctionnaire du Sénat. C’est la terreur absolue pour les agents, rien ne doit filtrer ». C’est qu’il y a péril en la demeure. La chambre haute se retrouve à nouveau dans le viseur des médias et de la justice. 

En novembre éclatait la retentissante affaire Guerriau, du nom de ce sénateur accusé d’avoir drogué la députée MoDem Sandrine Josso à son insu, en vue de l’agresser sexuellement. Juste avant ces révélations sordides, Le Monde épinglait les folles dépenses d’un autre sénateur, Stéphane Le Rudulier. L’élu LR des Bouches-du-Rhône a mené grand train avec l’argent du contribuable via ses frais de mandat : un stylo Montblanc à 900 euros, une pochette en cuir à 11 000 euros et des dîners gastronomiques somptueux, selon le quotidien du soir. Quelques mois auparavant, le cas de la sénatrice écolo, Esther Benbassa, blanchie par ses pairs de graves accusations de harcèlement moral sur ses collaborateurs malgré un rapport étayé de 386 pages, avait déjà discrédité l’institution.

« La main de l’Élysée »

« Encore un mauvais coup pour notre réputation », fulmine en privé M. Larcher. Quel contraste avec les articles de presse élogieux publiés lors de sa réélection au plateau (l’équivalent du perchoir à l’Assemblée) en octobre 2023. Le président du Sénat est célébré alors comme un politicien « jovial », « bon vivant »« porte-parole des territoires ». Le couronnement d’un long travail de réhabilitation médiatique opéré par son conseiller spécial Patrick Dray, désormais en passe d’être balayé par cette avalanche de scandales. N’a-t-il pas imposé le contrôle des frais de mandat et des sanctions financières en cas d’absentéisme pour les sénateurs récalcitrants ?

Mieux, il a autorisé des commissions d’enquête et pas les plus simples à gérer politiquement, comme lors de l’affaire Benalla ou le scandale du fonds Marianne qui a fait tomber Marlène Schiappa, faisant de lui la bête noire d’Emmanuel Macron. Au sein du Bureau du Sénat, l’organe le plus puissant de l’institution, nombreux sont ceux qui voient dans ce « grand déballage » la « main de l’Élysée », selon l’un de ses membres. La mésentente entre Gérard Larcher et Emmanuel Macron est connue, ce dernier l’appelant « le gros con » en privé, ne cachant pas son mépris envers le président du Sénat, qu’il voit comme « le symbole de l’ancien monde ».

Tout le monde a peur qu’il balance les petits secrets des uns et des autres.

Une sénatrice

Alors, les soutiens de Gérard Larcher tentent de discréditer la parole du docteur Lmahdi El Hassan : ne serait-ce pas lui qui aurait « balancé » la vidéo intime de sa collaboratrice avec laquelle il était en conflit ? Pire, il est soupçonné d’avoir prescrit un « certificat médical de complaisance » au sénateur Guerriau après sa garde à vue, empêchant le Sénat de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de l’élu.

Des accusations que le médecin balaye auprès de Politis : « Le sénateur était en grande détresse psychologique (le docteur affirme s’exprimer avec l’autorisation du sénateur Guerriau, N.D.L.R.). Je considère que j’ai protégé l’institution. S’il s’était pendu dans son bureau, cela n’aurait-il pas eu des conséquences terribles pour le Sénat ? D’ailleurs, le Conseil de l’ordre n’a rien trouvé à redire à mon travail ». « Il a fait un super boulot pendant 5 ans, reconnaît une sénatrice. Mais ses fonctions l’ont amené à nous entendre dans l’intimité de son cabinet, tout le monde a peur qu’il balance les petits secrets des uns et des autres ».

Dans ce petit monde, qui fonctionne en vase clos, l’ambiance est passée de « glaciale » à « polaire », selon les témoins sollicités. « C’est une guerre des castes », affirme le docteur El Hassan Lhmadi. « J’ai bac +10 mais je n’ai pas été au lycée Louis Le Grand ou Sciences Po ». Lui estime entre 20 et 25 % le pourcentage de patients du Sénat « en souffrance » dans leur travail, des « agents de base aux sénateurs, toutes les catégories sont concernées ».

Prison dorée

Un chiffre ahurissant mais cohérent avec les statistiques européennes, comme le rappelle le docteur Marie-France Hirigoyen, psychiatre et spécialiste du harcèlement au travail dans son livre sur le sujet (Le Harcèlement moral au travail, éd. PUF, 2014). « Il y a proportionnellement plus de harcèlement dans le secteur public, cela tient pour une large part l’organisation hiérarchique plus lourde que dans le privé et à la grande stabilité de l’emploi », écrit la victimologue.

Au Sénat, les étiquettes politiques s’effacent derrière le copinage.

Un syndicaliste

Au Sénat, les conditions financières constituent une forte compensation. « Le Sénat offre de meilleures conditions à ses agents et collaborateurs », reconnaît le sénateur PCF Pierre Ouzoulias, vice-président chargé du personnel. Entre 3 000 à 5 000 euros pour les assistants, 7 000 euros pour un chauffeur, 20 000 euros pour le secrétaire général : des chiffres qui donnent le tournis. « C’est une prison dorée, répond le médecin, désabusé.

Le Sénat tente de prouver qu’il prend la situation au sérieux. « Nous voulons redonner aux collaborateurs confiance en l’institution », affirme le sénateur Pierre Ouzoulias. L’élu des Hauts-de-Seine met en avant le recours à un cabinet externe pour signaler les faits de harcèlement et un vote main levé au sein du bureau et non plus à bulletin secret. Insuffisant pour le docteur Lmahdi : « Il y a un problème de fond, celui des compétences. Les administrateurs, les directeurs, les sénateurs etc. qui s’occupent du personnel ne sont pas formés aux ressources humaines. Ce qui peut amener à des dérives ».

« Nous avons conscience qu’il y a eu des dysfonctionnements mais Gérard Larcher est volontariste sur le sujet. Maintenant, il faut aller de l’avant et trouver des solutions pour tourner la page », répond le sénateur Ouzoulias. Un communiste au secours de Gérard Larcher ? « Au Sénat, les étiquettes politiques s’effacent derrière le copinage », grince un syndicaliste de la maison. Il faudra plus que des déclarations d’intention pour restaurer la confiance au sein de l’institution.

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Politique
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