« J’ai autre chose à faire que de répondre aux gens qui sont choqués dans la vie »

« Benyamin Netanyahou, c’est une sorte de nazi sans prépuce. » Pour cette formule, Guillaume Meurice, l’humoriste star de France Inter, a reçu une convocation devant la police judiciaire. Dans son nouveau livre, Dans l’oreille du cyclone, il revient sur cette polémique et rappelle l’importance de défendre la liberté d’expression.

Pierre Jequier-Zalc  et  Léa Lebastard  • 20 mars 2024 libéré
« J’ai autre chose à faire que de répondre aux gens qui sont choqués dans la vie »
"Pour moi, l’humour, ça annule le pouvoir de domination, ça désacralise le pouvoir. Le pouvoir ayant besoin de sacré pour exister, il n’aime pas trop ça."
© Maxime Sirvins

Dans l’oreille du cyclone, Guillaume Meurice, éditions du Seuil, 176 pages, 16 euros.

Guillaume Meurice est humoriste, comédien, et auteur de plusieurs livres, essais comme romans. Il est notamment connu pour tenir une chronique humoristique sur France Inter dans l’émission de Charline Vanhoenacker, « Le Grand Dimanche soir ». Il y réalise des micros-trottoirs sur des sujets d’actualité. Une pratique devenue, aujourd’hui, sa marque de fabrique. Il tourne actuellement partout en France pour son nouveau one man show, Meurice 2027.

Votre livre raconte comment votre blague sur Benyamin Netanyahou, le 29 octobre 2023, s’est transformée en un drame médiatico-politique. A posteriori, comment qualifieriez-vous cette polémique ?

Guillaume Meurice : Pour moi, c’est assez clair. Elle montre bien comment l’extrême droite impose son agenda et comment tous les autres suivent, par opportunisme comme la Macronie, qui veut installer un duel face au Rassemblement national, ou par paresse intellectuelle. CNews lance le sujet, pose une question à un politique qui réagit, puis on demande à un autre politique ce qu’il pense de cette première réaction, et ainsi de suite. C’est un manège qui s’autoalimente. Je m’en suis aperçu après coup. J’ai ainsi découvert que CNews arrivait à parler de ce sujet pendant dix minutes, sans aucune information. C’est une performance artistique d’arriver à ne parler de rien pendant autant de temps et avec autant de conviction.

Vous n’en êtes pas à votre première polémique. Toutefois, celle-ci a été particulièrement importante, la direction de Radio France décidant même de vous adresser un avertissement. Comment expliquez-vous cela ?

Je pense qu’il y a plusieurs facteurs. Le premier, c’est l’histoire française. Il y a eu tellement de collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale que tout le monde essaye de se présenter comme intouchable sur la question de l’antisémitisme. Il y a aussi des facteurs plus techniques : on était en vacances la semaine suivant ma chronique polémique, donc il y a eu un long silence. Enfin, je pense que ça correspond à un agenda politique. Beaucoup de gens veulent privatiser le service public audiovisuel. Cette blague était un bon prétexte pour faire avancer cet agenda parce qu’elle venait d’une grande gueule, humoriste, catégorisée comme le gauchiste de service. Donc ils y sont allés à fond.

Un facho dit un truc sur CNews et ça devient un sujet national.

Après, je ne suis pas le premier à qui ça arrive et je ne serai pas le dernier. Mais ça reste fascinant de voir que ça fonctionne toujours de la même manière. Un facho dit un truc sur CNews et ça devient un sujet national. Comme dernièrement avec la polémique sur la chanteuse Aya Nakamura. C’est assez fou que ça fonctionne, c’est quand même des dingos qui parlent sur CNews. Ou alors, récemment, la dessinatrice Coco a aussi subi un emballement de ce type. Qu’il y ait des gens qui soient choqués par son dessin ou par ma blague, c’est normal, je n’ai aucun souci avec ça. Mais moi, j’ai autre chose à faire dans la vie que de répondre aux gens qui sont choqués.

Sauf que, pour vous, cette histoire s’est terminée dans les locaux de la police judiciaire. Pouvez-vous nous raconter cela ?

L’audition a duré deux heures. Je n’y connaissais rien, mais ça a commencé par une enquête de personnalité avec des tas de questions pour savoir qui je suis, avec qui je vis, etc. Dans un deuxième temps, les policiers m’ont parlé de mon sketch. Ils ne savaient même pas que ce n’était pas un sketch sur Netanyahou mais sur Halloween ! C’était tellement absurde. Ils m’ont quand même demandé qui était le « nazi absolu ». Ils essayaient sans cesse de me relier à l’antisémitisme en me citant des personnes qui ont pu avoir des propos antisémites. Mais je n’ai pas vocation à répondre à tous les dingos de la terre. Moi, j’ai fait une blague, qui n’est pas antisémite, dans une chronique d’humour dans une émission d’humour. C’est tout.

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Quand vous faites cette blague, sentez-vous son potentiel explosif ?

Le fait qu’elle ait été reprise par CNews ne m’a pas du tout étonné. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle prenne une telle ampleur. Dans cette histoire, ce qui m’a intéressé, c’est d’observer les rapports de force, la lâcheté. La comédie humaine m’intéresse de façon générale. Donc là, c’était marrant parce que j’étais au centre. J’ai quand même eu des journalistes du Figaro qui m’ont envoyé des messages de soutien. Même un ministre l’a fait !

Qui ?

Je ne vous le dirai pas. Mais ce n’est pas Darmanin [rires].

Pourtant, face à cette polémique, la direction de Radio France ne vous a pas vraiment soutenu…

J’ai été surpris de leur panique. Je l’ai d’ailleurs dit à Laurence Bloch, la numéro 2 d’Inter. On n’est pas obligé de réagir à toutes les indignations morales de l’extrême droite. Moi, j’ai immédiatement dit que je ne m’excuserais pas car je n’ai pas commis de faute. Si je devais m’expliquer à chaque fois que je choque quelqu’un, je passerais ma vie à ça. Pour la direction, le choix était simple : si vous jugez que ma blague est antisémite, virez-moi car ce sont des propos délictuels et qu’on ne maintient pas un antisémite à l’antenne. Si ce n’est pas le cas, soutenez-moi à fond. Ils n’ont fait ni l’un ni l’autre, ce qui a donné des communiqués lunaires. L’avertissement que je prends, ce n’est même pas sur ma blague, mais sur mon refus de prendre la parole ensuite. C’est absurde.

Pour moi, ma blague n’a rien d’antisémite, c’était une formule outrancière, un point Godwin.

Des personnalités et des auditeurs se déclarant « de gauche » ont aussi été choqués par votre blague. Cela n’illustre-t-il pas aussi le malaise qu’il y a eu parfois à gauche après le 7 octobre ?

Je pense que ce malaise s’est créé parce que La France insoumise a dit de la merde assez rapidement. Des gens qui butent mille personnes, si ça n’est pas du terrorisme ! Donc ça, c’était lamentable. Mais ce n’est pas vraiment le sujet. Pour moi, ma blague n’a rien d’antisémite, c’était une formule outrancière, un point Godwin comme on en fait très souvent dans l’émission, donc toutes ces accusations étaient débiles. La direction de Radio France m’a beaucoup parlé du contexte pour justifier son avertissement. Mais moi, j’ai fait mon métier. J’ai fait une blague sur une personne qui, accessoirement, est en train de massacrer une population entière.

Guillaume Meurice Livre

Depuis quelque temps, on assiste à de nombreuses tentatives d’intimidation par l’institution judiciaire pour des faits liés à l’humour ou à la satire politique. Ainsi, des militants CGT se baladant dans un camion siglé « Macron démission » ont été poursuivis en justice. Considérez-vous que votre convocation à la police judiciaire s’intègre dans ce cadre ?

Clairement, la justice est de plus en plus utilisée à des fins politiques. Je pense que c’est efficace malgré tout. Moi, ça ne m’a pas affecté plus que ça, j’ai les moyens de me défendre. Mais le signal envoyé aux jeunes générations qui veulent faire mon métier, c’est : « Si vous ne voulez pas qu’il vous arrive la même chose qu’à Meurice, tenez-vous à carreau. » Toute l’ambiance actuelle est assez terrifiante.

L’humour politique, notamment de gauche, est-il menacé ?

Le pouvoir a toujours eu peur des contre-pouvoirs. Quand il achète Canal+, Vincent Bolloré supprime l’investigation et l’humour parce que ce sont les deux choses qui lui portent préjudice. Cela m’intéresse, parce que je considère que c’est une grande preuve de fragilité de la part de ces gens. Et c’est là où on se rend compte qu’ils ne sont pas si sûrs d’eux. On pense toujours qu’ils sont puissants, habiles. Mais ce n’est pas du tout le cas. Ce qui m’intéresse en tant qu’humoriste, c’est la structure du pouvoir, pas tellement les bords politiques. La hiérarchie verticale du mec en cravate qui arrive en montrant qu’il serait supérieur à toi, je trouve ça ridicule.

« Quand il achète Canal+, Vincent Bolloré supprime l’investigation et l’humour parce que ce sont les deux choses qui lui portent préjudice. Cela m’intéresse, parce que je considère que c’est une grande preuve de fragilité de la part de ces gens. » (Photo : Maxime Sirvins.)

C’est pour ça qu’on s’amusait à tutoyer les hommes politiques dans « la Matinale » avec Charline [Vanhoenacker, N.D.L.R.]. Pour moi, l’humour, ça annule le pouvoir de domination, ça désacralise le pouvoir. Le pouvoir ayant besoin de sacré pour exister, il n’aime pas trop ça. La satire politique, je ne sais pas vraiment si c’est de gauche ou de droite. Aujourd’hui, c’est plutôt de gauche car le pouvoir est clairement à droite. Mais on n’a jamais pu tester l’inverse ! Si Philippe Poutou devenait président, je ferais certainement de l’humour de droite [rires].

Comment réussir à faire vivre cette satire politique, que vous décrivez comme de plus en plus menacée ?

La tendance est mauvaise. La redevance a été supprimée et les audiences ne nous protègent même plus. On l’a vu l’été dernier quand notre émission quotidienne, qui cartonnait, est passée en hebdomadaire [« Le Grand Dimanche soir » a remplacé « Par Jupiter ! », N.D.LR]. L’histoire nous le rappelle, pour privatiser un service public, il faut le faire dysfonctionner. C’est désespérément classique. Malgré tout, si j’étais dans le système dominant, je me servirais de cette « tolérance » à l’égard de la satire pour montrer mon ouverture. Comme le roi se servait du bouffon.

Les gens à la tête de ce système de domination – les gros richous – flippent de ce qui est en train de se passer.

Radio France s’est beaucoup servi de ça : oui, on a Dominique Seux le matin, mais on a une troupe de punks à chien l’après-midi. Mais même cela, désormais, ça coince. Pourtant, c’est peut-être contre-productif. Beaucoup de nos auditeurs ne nous disent pas « bravo », ils nous remercient. Si tu enlèves ces quelques respirations aux gens, dans une actualité toujours plus plombante, ça peut les énerver. Pour moi, la structure du pouvoir a aussi besoin de cela. Mais bon, je ne vais pas leur donner de conseils !

On décrit souvent France Inter comme une radio de « gauchistes ». Pourtant, les nombreux chroniqueurs et éditorialistes qui parsèment les tranches d’information sont plutôt de droite et de centre droit. La gauche, à l’antenne, semble cantonnée à l’humour, à la satire. Comment expliquez-vous que ce qualificatif colle à la peau de France Inter ?

C’est parce que les autres radios sont pires ! Tout est tellement décalé à droite que France Inter garde cette image de radio progressiste. On a quand même des émissions comme la nôtre ou « La Terre au carré », où on peut inviter les Soulèvements de la Terre. Après, c’est vrai que c’est une remarque qu’on nous fait souvent : la gauche n’est presque plus cantonnée qu’à l’humour sur Inter. Je suppose que c’est vrai, mais moi je n’écoute jamais France Inter, et encore moins « la Matinale ». Faut être complètement masochiste pour se lever avec une interview de Bruno Le Maire.

‘Je suis Charlie‘, ce n’est pas uniquement pouvoir faire des blagues sur les Arabes. C’est avoir le droit de faire des blagues sur tout le monde.

Aujourd’hui, le débat sur la liberté d’expression est souvent l’apanage de la droite, voire de l’extrême droite, se plaçant du côté d’une France « Charlie » face à une autre qui serait « islamo-gauchiste ». Pour certains, vous en êtes même l’un des représentants. Pourtant, dans votre livre, vous parlez beaucoup de l’influence de Charlie Hebdo sur votre pratique disruptive de l’humour tout en niant appartenir à ce que certains appellent « l’esprit Charlie ». Pouvez-vous nous expliquer cette nuance ?

Parce que je ne me revendique de rien du tout. Mais c’est vrai que Charlie Hebdo fait partie de mon influence. Ça a d’ailleurs été ma réponse à cette polémique. On m’a dit que je mettais de l’huile sur le feu. Sauf qu’il y a cette une de Charlie, dessinée par Charb, avec un petit bonhomme qui tient dans chaque main de l’huile et du feu. Le titre, c’est : « La définition de l’humour ». Je me retrouve là-dedans. C’est ce que j’ai envie de leur dire : « Je suis Charlie », ce n’est pas uniquement pouvoir faire des blagues sur les Arabes. C’est avoir le droit de faire des blagues sur tout le monde.

Comment expliquez-vous que CNews, dont vous parlez beaucoup dans votre livre, ait une telle influence dans l’agenda politique ?

Répondre à cette question est intéressant parce qu’on explique vraiment ce qu’est le système de domination actuel, basé sur le pognon. Les gens à la tête de ce système de domination – les gros richous – flippent de ce qui est en train de se passer. Ils se rendent compte que les gens sont de plus en plus informés sur les inégalités. Et, du coup, révoltés. On l’a vu avec les gilets jaunes ou les agriculteurs. Donc ils commencent à paniquer.

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L’histoire a toujours été comme ça. Dans des moments de tension comme actuellement, l’alliance des droites est quasi systématique. C’est la fameuse phrase « plutôt Hitler que le Front populaire » : on préfère s’allier avec des racistes plutôt que de perdre nos privilèges et de partager notre argent. C’est de ça qu’on devrait se méfier, car eux ne s’arrêteront pas. Ils sont en train de défoncer notre écosystème, mais ils préféreront faire crever la planète et les gens plutôt que de partager leur argent et leurs privilèges.

Créer des polémiques comme celle qui vous touche, cela participe-t-il au maintien de ce système de domination ?

Oui, c’est logique que ça arrive comme cela, avec ces personnes-là. Tout est instrumentalisé par ces gens-là, les autres suivent. Même si je pense que la plupart d’entre eux ne le font ni consciemment ni par machiavélisme. Mais ils sont tellement dans la panique qu’ils préfèrent Pascal Praud à Philippe Poutou.

En conclusion, pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez décidé de reverser l’intégralité des droits d’auteur de Dans l’oreille du cyclone à l’ONG Médecins du monde ?

Pour que Pascal Praud, même involontairement, puisse sauver des vies.

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