À Marseille, de très sales conditions de travail 

Des agents de blanchisserie hospitalière, salariés de Pamar, sont en grève. Victimes de situations indignes et même de menaces de mort, ils portent plainte contre l’agence régionale de santé pour inaction.

Timothée Vinchon  • 17 avril 2024 abonné·es
À Marseille, de très sales conditions de travail 
© Théo Giacometti


Le mercredi 28 mars, une petite délégation composée d’agents de blanchisserie hospitalière et de représentants de la CGT s’invite peu avant midi au commissariat de police de Félix-Pyat, dans le 3e arrondissement de Marseille, pour une action symbolique inédite. Ces petites mains invisibles et indispensables de l’hôpital veulent porter plainte contre une institution, l’agence régionale de santé (ARS), pour « inaction ». «On a baissé la tête trop longtemps. Ce n’est pas seulement notre problème à nous, c’est aussi un problème de santé publique », lance Kalathoumi Ibouroi, déléguée du personnel et représentante syndicale.

Depuis plus de trois mois, une quinzaine de salariés de la blanchisserie Pamar, localisée à Marseille et au service de plusieurs structures hospitalières dans le Sud, sont en grève à la suite de menaces de mort proférées par leur supérieure hiérarchique en décembre. Après avoir vu leurs plaintes pénales classées sans suite, après trois mois de débrayage et une consolidation de leur lutte contre des conditions de travail qu’ils estiment indignes, les agents de production ont décidé de porter plainte contre l’organisme qui veille à la sécurité sanitaire des habitants de la région. Alors que les représentants sortent du bâtiment, les encouragements de l’assemblée sont vite douchés. Le commissariat n’a pu recevoir la plainte en raison d’une « coupure internet généralisée ».

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Le lendemain, au cœur d’une zone d’activité du 15e arrondissement de Marseille, il faut ouvrir l’œil pour trouver la blanchisserie Pamar. À l’adresse indiquée, aucune signalétique et un portail qui reste désespérément fermé. Le ballet des camions qui se délestent de leur linge sale passe par une entrée secondaire. Les dizaines d’autocollants avec des poings levés, d’un rouge vif, laissent présager que l’accès principal est devenu celui de la lutte. À 7 h 30, quelques courageux arrivent, équipés de drapeaux rouges floqués de l’inscription CGT Quartiers Nord qu’ils s’empressent d’accrocher aux grilles. La fatigue se lit sur les visages après plus de cent jours de mobilisation et en raison du ramadan qui a commencé une quinzaine de jours plus tôt. Très vite, les klaxons de soutien réveillent tout le monde.

Pamar, la lessiveuse à employés

La blanchisserie Pamar est une émanation du groupe Sainte-Marguerite, qui regroupe huit cliniques privées dans les Bouches-du-Rhône et dans le Var. Chaque jour, les 25 agents lavent à haute température les blouses des 1 800 salariés et les draps de centaines de patients. En milieu hospitalier, cette fonction, bien qu’invisible, est essentielle. Ainsi, un lit « consomme » de 2 à 7 kg de linge par jour. Le secteur de la blanchisserie à l’hôpital en traite 1 500 tonnes dans toute la France et 12 000 personnes y travaillent.

On nous fait passer d’un poste à l’autre sans changement de tenue. Tout ça pour augmenter la cadence de travail .

Islam

Au service de structures hospitalières, la blanchisserie Pamar doit respecter des règles très strictes en matière de lavage et de manipulation du linge. La séparation du sale et du propre est un impératif absolu dans un secteur où l’on ne plaisante pas avec les risques de contamination. Chaque année, 10 000 personnes meurent des suites d’une infection nosocomiale contractée à l’hôpital. Or 17 % de ces contaminations peuvent être imputées au linge. «Le tri du linge n’est pas correctement réalisé. Il est souvent très sale, avec des fluides corporels. Or on nous fait passer d’un poste à l’autre sans changement de tenue. Tout ça pour augmenter la cadence de travail », explique Islam, un salarié mobilisé, tout en cherchant sur son smartphone un son du rappeur Jul pour ambiancer la mobilisation matinale.

Humiliations et intimidations

C’est la cheffe d’équipe, arrivée en avril 2023, qui cristallise les griefs. Les employés parlent d’un management d’un autre temps, mêlant humiliation et relents racistes. Lorsqu’un salarié exprime des réserves sur les conditions de travail, il est aussitôt affublé du surnom de « l’avocat des pauvres ». Tous décrivent une infantilisation extrême et une tendance des responsables à profiter des situations sociales souvent précaires des uns et des autres pour asseoir leur pouvoir. « Ils nous menacent en nous disant qu’ils reçoivent plein de CV et qu’à tout moment la porte est ouverte, ils nous envoient chez “Paul” [Pôle emploi, NDLR] », raconte Madi, une agente, tout en inscrivant le nombre de jours de mobilisation sur la grille et en scotchant des tracts syndicaux.

Si l’arrivée de la nouvelle direction a exacerbé les tensions, travailler chez Pamar n’a jamais été une partie de plaisir. Les plus anciens, dans l’entreprise depuis six ans, racontent un turn-over intense, avec son lot d’abandons de poste. « C’est leur façon de faire : harceler la personne jusqu’à ce qu’elle lâche tout et s’en aille », explique Madi. « Ce n’est pas un boulot très compliqué, mais c’est quand même physique », ajoute Sonia, ancienne caissière devenue blanchisseuse notamment pour les horaires, qui lui permettent de s’occuper de ses enfants. La journée est décalée : on commence tôt, mais on finit aux alentours de 15 h 30.

C’est leur façon de faire : harceler la personne jusqu’à ce qu’elle lâche tout et s’en aille.

Mehdi

Alors qu’un remix mêlant remontrances de la directrice et musique techno est lancé à tue-tête, chacun y va de son anecdote pour décrire le quotidien chez Pamar : on est rabroué avec moquerie si l’on demande une bouteille d’eau, et le droit aux quinze minutes de douche est bafoué. Puis les salariés évoquent le moment où tout a « dégénéré », le 19 décembre 2023. Ce jour-là, la tension monte à propos d’un courrier que les salariés veulent envoyer à l’inspection du travail. Les esprits s’échauffent. À la sortie du travail, les opérateurs se retrouvent coincés devant la blanchisserie par des « gros bras », dont « le mari et le frère de la cheffe d’équipe », d’après une salariée gréviste. « Un vrai guet-apens, raconte Madi. Le mari a même dit qu’il était prêt à tuer pour sa femme. »

Une plainte est déposée le jour même par six salariés pour « menaces et intimidations ». Quinze salariés sur les vingt-trois que compte l’entreprise exercent leur droit de retrait, espérant un compromis avec les dirigeants. Après dix-huit jours de retrait, ils se mettent en grève à la suite du licenciement de deux collègues. Ils exigent un changement de direction, sans lequel ils n’envisagent pas de revenir sereinement. Contactée, celle-ci ne fait « aucun commentaire » sur la situation.

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L’inspection du travail, interpellée par les salariés et la CGT, a reçu fin janvier les deux parties pour une médiation. Une procédure est en cours et l’organisme aurait procédé à des contrôles au sein de l’entreprise. Selon Paul Michel, de l’union locale CGT des quartiers Nord, plusieurs anomalies auraient été relevées dans un rapport envoyé au procureur. La blanchisserie aurait notamment fait appel à des intérimaires pendant le mouvement de grève, ce que la loi interdit. Le 16 février, plusieurs salariés ont été reçus par l’ARS pour exposer leurs conditions de travail. Contactée, l’agence explique qu’il n’y a pas de compétence de l’ARS sur ce dossier, mais qu’elle reste attentive au fait que ce conflit n’affecte pas l’offre de soins du groupe Sainte-Marguerite.

La force du collectif

« Leur détermination est incroyable. Au début, il y a eu des hésitations et c’est normal. Mais maintenant ils sont déterminés à aller jusqu’au bout. Cent jours, ce n’est pas rien ! » s’exclame le syndicaliste Paul Michel. Ces salariés fragiles se sont petit à petit armés pour mener un véritable combat autour de leurs conditions de travail. « C’est un défi financier, mais heureusement il y a de la solidarité et nos familles sont vaillantes. Jusqu’ici, nos enfants ne manquent de rien, on arrive à payer nos loyers », explique Kalathoumi Ibouroi.

On lutte pour que les choses changent et que les conditions de travail deviennent humaines.

Sonia

« Auparavant, chacun se battait pour son propre cas. Aujourd’hui, on est une famille et on ne se laissera plus faire, explique Sonia, l’ancienne caissière. On lutte pour que les choses changent et que les conditions de travail deviennent humaines. » Les petites améliorations glanées sont à chaque fois célébrées comme de vraies victoires. Dernière en date, l’installation d’une sonnerie pour signaler les pauses et la fin de journée. Avant, les agents devaient attendre « le ‘top départ’ annoncé par les chefs selon leur bon vouloir, ce qui pouvait nous ajouter vingt minutes de travail sans qu’on puisse se plaindre ». Sonia sourit à ses camarades, elle est confiante pour la suite : « J’espère que la justice sera avec nous, on est les petites mains qui font tourner la France. »

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