« Castèls dins la luna », la fièvre dans le son

Propulsant un rock sous très haute tension, chanté en occitan, le duo français CXK publie un foudroyant album, enregistré avec le légendaire producteur Steve Albini, mort début mai.

Jérôme Provençal  • 29 mai 2024 abonné·es
« Castèls dins la luna », la fièvre dans le son
Un peu trop brouillonne sur leur premier album (Directe, 2019), l’énergie viscérale de CXK semble ici parfaitement canalisée, concentrée, et se révèle d’autant plus imparable.
© Cedrick Not

Castèls dins la luna/ CXK / Sirventès - L’Autre Distribution. En concert le 30 mai au Metronum, Toulouse (31), le 7 juin au Paloma, Nîmes (30).

Après avoir joué ensemble dans divers groupes, le guitariste Paulin Courtial et le batteur Dimitri Kogane – qui vivent tous deux en Occitanie, le premier dans un petit village près d’Arreau, le second à Saint-Gaudens – ont décidé en 2017 de se lancer dans une nouvelle aventure en duo. « Cette expérience nous apparaissait comme une évidence tant nos sensibilités musicales sont accordées, raconte Paulin Courtial. Par ailleurs, j’avais envie de monter un groupe dont je serais le chanteur afin de pouvoir exprimer des choses plus personnelles. »

Leur projet est baptisé CXK – le C et le K faisant référence à leurs noms de famille, le X traduisant la multiplication des forces ainsi réunies. Fondé sur le désir d’un retour aux sources du rock’n’roll, il tend à générer une musique aussi directe et secouante que possible. Quant aux paroles, parti pris audacieux, l’occitan s’impose. Originaire de l’Aveyron, Paulin Courtial en a hérité la pratique de son père. Né en Dordogne, Dimitri Kogane n’a pas un rapport aussi intime avec elle (ses parents ne la parlent pas) mais il a tout de même pu l’entendre dans sa jeunesse.

Universalisme et musicalité

À travers le choix du chant en occitan, dénué de toute arrière-pensée identitaire, le duo, pas plus régionaliste que passéiste, revendique au contraire un positionnement universaliste et cherche à atteindre un large public, bien au-delà du cercle occitaniste. « Dans le monde actuel, globalisé, on a tendance à gommer les différences pour toucher le plus grand nombre, mais je pense qu’il faut faire l’inverse, souligne Paulin Courtial. Avec CXK, nous abordons des sujets généraux en utilisant une forme d’expression qui nous est propre. » Le parti pris de l’occitan tient aussi bien sûr à la musicalité de cette langue, à la fois rugueuse et mélodieuse, s’accordant très bien avec le rock.

« D’ont mai prigond, davalarà / Espeliràn, liuras las brancas / D’ont mai prigond, s’enraiçara / Pas que pus naut butaràn las brancas » (Au plus profond, il descendra / Écloront, libres les branches / Au plus profond, il s’enracinera / Plus haut encore pousseront les branches) : telles sont les premières paroles, très explicites, qui jaillissent dans « Fial », le morceau placé en ouverture de leur excellent nouvel album, Castèls dins la luna (voir en fin d’article).

Le credo de Steve Albini consistait à capter la musique telle qu’elle est jouée, à réaliser une empreinte sonore la plus fidèle possible.

D. Kogane

Un peu trop brouillonne sur leur premier album (Directe, 2019), qui flirte parfois avec le rock fusion, l’énergie viscérale de CXK semble ici parfaitement canalisée, concentrée, et se révèle d’autant plus imparable. Il faut dire que l’enregistrement et le mixage ont été réalisés – fin septembre 2023, en six jours, dans son studio à Chicago – par un certain Steve Albini, ingénieur du son et producteur (par ailleurs également musicien) en activité depuis les années 1980, aux manettes de plusieurs albums phares du rock indépendant de la fin du XXe siècle – notamment Surfer Rosa des Pixies, Pod des Breeders et In Utero de Nirvana.

« Comme un rêve de gosse »

Réputé pour son éthique sans concession autant que pour son rendu sonore sans fioriture, il a débranché les amplis pour toujours le 7 mai dernier, emporté par une crise cardiaque, CXK étant le dernier groupe français avec lequel il a travaillé. « C’était assez incroyable, comme un rêve de gosse devenu réalité, se souvient Dimitri Kogane. La collaboration s’est très bien passée. Il n’a pas cherché à intervenir sur les morceaux. Son credo consistait à capter la musique telle qu’elle est jouée, à réaliser une empreinte sonore la plus fidèle possible. L’aspect occitan l’intéressait, il nous a posé des questions à ce sujet ».

Sec et brut, à fleur de nerfs, l’album délivre au total neuf morceaux. Agrégeant riffs électriques, martèlements rythmiques et saillies poético-politiques, l’ensemble s’avère aussi puissant que cohérent, sans le moindre petit tiédissement. « Castèls dins la luna », ode ulcérée à l’affirmation de soi envers et contre tout, « 24 de febrièr de 2022 », brûlot antiguerre conçu en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et « Enrico », colossal instrumental tendu vers la transe, foudroient tout particulièrement.

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Musique
Temps de lecture : 4 minutes