Des femmes fortes

Où notre chroniqueur de bonne humeur revient sur deux romans qui livrent des portraits féminins marquants : Le mur invisible de Marlen Haushofer et les Aventures véridiques de Liddie Newton de Jane Smiley.

Sébastien Fontenelle  • 15 mai 2024
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Des femmes fortes
© Annie Spratt / Unsplash

Il y a des livres qu’on lit tard, et dont on découvre alors qu’ils font l’objet d’un véritable culte et qu’une telle dévotion est plus qu’amplement justifiée. Tel est le cas du Mur invisible (1), époustouflant roman de l’écrivaine autrichienne Marlen Haushofer paru en 1963 – dans une époque où l’humanité, au sortir d’une guerre abominable, frémissait par surcroît d’une terreur nouvelle : celle d’une possible apocalypse nucléaire.

1

Le Mur invisible, Marlen Haushofer, traduit de l’allemand par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon, Babel, 347 pages, 9,20 euros.

Son intrigue, d’un minimalisme saisissant, tient dans ces quelques mots : après la fin du monde, une femme, dont tout indique qu’elle est probablement la dernière survivante de l’espèce humaine, se retrouve enfermée, entre le chalet forestier où elle était venue se reposer quelques jours et un alpage de haute altitude, dans un pan de montagne intégralement ceint par un mur invisible. Là, entourée de quelques autres animaux, elle survit, puis vit, tout simplement, au fil des saisons.

Libérée des trépidations du temps d’avant, elle apprend, dans des paysages grandioses où elle voit au loin l’effacement progressif des vestiges de l’histoire humaine, « le pas tranquille du paysan », quand « le corps reste détendu et les yeux ont le temps de regarder ». L’autrice livre, dans le récit de ces jours presque immuables mais toujours recommencés, un prodigieux chant d’amour, de confiance – et de force, car un jour paraît un « mâle humain ».

L’héroïne des Aventures véridiques de Liddie Newton (2), roman virtuose de la Californienne Jane Smiley, est, elle aussi, une forte femme : mariée selon son gré, en 1861, à un activiste de Boston farouchement opposé à l’esclavage, elle quitte son Illinois natal pour le suivre au Kansas, où le couple rejoint les Free Staters, « partisans d’un État libre où régneraient ‘liberté du sol, liberté de parole, liberté des hommes’ ». 

2

Les Aventures véridiques de Liddie Newton, Jane Smiley, traduit de l’anglais par Françoise Adelstain, Rivages poches, 572 pages, 9,50 euros.

C’est une vie rude. L’immensité américaine autorise quelquefois, quand l’été revient après le grand froid, quelques trêves contemplatives : « Il nous arrivait parfois de passer toute une journée sans parler, et, le soir venu, au lieu de lire, de nous asseoir sur le pas de la porte et de regarder la prairie, les ombres qui s’allongeaient, le crépuscule doré, le ciel vaste et affairé. » Mais de tels répits restent rares, car les raids toujours plus brutaux des Missouriens, esclavagistes fanatiques venus de l’État voisin, se multiplient – dans un long et sanglant prélude à l’immense boucherie qui vient : la guerre de Sécession.

Jusqu’au bout, cependant, entre drôlerie et gravité, rudesse et truculence, Liddie Newton, du haut de sa vive intelligence – mélangée souvent d’une fausse ingénuité ravageuse –, se tient au récit méticuleux d’un apprentissage de toutes les adversités et de toutes les libertés, où des personnages dont aucune tribulation ne décourage la foi (3) écrivent en somme l’histoire états-unienne – et cela fait un beau et fort livre politique.

3

Et dont la vérité oblige à dire aussi qu’ils sont, de fait, des colons.

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Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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