Travail de sape

Des gens très comme il faut vont, jour après jour, de plateaux en studios, nier les crimes des dirigeants israéliens contre les Palestiniens et assimiler leur critique à de l’antisémitisme. Une façon d’annihiler le droit.

Sébastien Fontenelle  • 4 juin 2024
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Travail de sape
Manifestation de soutien aux Palestiniens, à Paris, en octobre 2023.
© Maxime Sirvins

Le droit, c’est bien. Le droit, ici comme ailleurs, en France comme partout, est ce qui, en nous fixant des limites – et tout aussi bien quelques-uns de ces tabous dont les droites psalmodient tous les trois matins qu’il conviendrait qu’on les brisât – et en nous indiquant ce qu’il nous est permis de dire (ou pas) et de faire (ou pas) en société sans nuire à nos entours, nous protège, individuellement et collectivement, et nous aide à vivre ensemble au sein d’une même humanité.

Ici, le droit dit par exemple qu’il n’est pas permis, comme le rappelle utilement le touffu site officiel de l’administration française, de « manifester de la haine à l’égard de certaines personnes en raison de leur couleur de peau, de leur origine, de leur religion, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ». Autrement (et plus simplement) dit : le droit français punit, en même temps que d’autres provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence, l’antisémitisme, et plus généralement le racisme, comme l’ont expérimenté quelques fameux éditocrates.

Le droit international, tel qu’il a été conçu et installé au sortir de l’immense cauchemar du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale, interdit quant à lui les crimes de guerre et contre l’humanité – dont, singulièrement, le pire d’entre tous : le génocide.

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Mais depuis bientôt huit mois – depuis le début de la riposte israélienne à l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023, riposte qui a déjà fait, au jour où ces lignes sont écrites, plus de 36 000 morts, dont une majorité de femmes et d’enfants –, des gens très comme il faut vont répétant, jour après jour, de plateaux en studios, que les ordonnateurs de ces représailles abominables, contre qui le procureur de la Cour pénale internationale a requis des mandats d’arrêt pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité qu’il les soupçonne d’avoir commis à Gaza (et à qui la Cour internationale de justice vient de nouveau d’ordonner de mettre fin à leurs exactions), n’outrepassent nullement, lorsqu’ils font du hachis de civil·es, leur « droit de se défendre ».

Cette patiente sape des lois communes porte un nom : c’est du nihilisme.

Et depuis bientôt huit mois, au prétexte qu’elles sont perpétrées par l’armée de « l’État hébreu (1) », ces mêmes discoureurs, du haut de leurs chaires télévisuelles et radiophoniques, assimilent sans vergogne chaque dénonciation desdites exactions à de « l’antisémitisme » – galvaudant ainsi ce mot et la haine abjecte qu’il désigne.

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Comme on dit quand on pratique assidûment le journalisme.

Ces gens, par conséquent, abîment (pour le moins) le droit, en niant d’un côté, pour mieux empêcher leur sanction, la réalité de crimes pourtant constatés par la plus haute instance pénale mondiale, et en inventant de l’autre côté, pour interdire aussi leur dénonciation, ce que l’essayiste Guillaume Weill-Raynal appelait déjà, dans un important livre paru en 2005 (et dont c’était le titre), « une haine » antisémite « imaginaire » – pour le plus grand bénéfice des véritables (et bien réels) antisémites.

Cette patiente sape des lois communes porte un nom : c’est du nihilisme.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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