« Megalopolis », les lauriers de César

Francis Ford Coppola signe une œuvre hors norme sous la forme d’un néo-péplum politique.

Christophe Kantcheff  • 24 septembre 2024 abonné·es
« Megalopolis », les lauriers de César
Megalopolis est une œuvre peu aimable, mais extraordinaire, au sens premier du terme, hors norme, qui ne se livre pas facilement mais qui s’avère passionnante.
© Caesar Film

Megalopolis / Francis Ford Coppola / 2 h 18.

Megalopolis n’est certes pas un film aimable, mais à Cannes, où il était présenté en compétition, on a aimé le détester – un phénomène souvent circonscrit au microcosme du festival. Il est probable que la réception du vingt-quatrième long métrage de Francis Ford Coppola, maintenant qu’il sort sur les écrans, sera plus amène.

Revu pour l’occasion, Megalopolis reste à nos yeux une œuvre extraordinaire, au sens premier du terme, hors norme, qui ne se livre pas facilement mais qui s’avère passionnante. Même si celui qui demeure l’un des plus brillants représentants du Nouvel Hollywood n’a jamais succombé à l’académisme, on aurait pu craindre qu’à 85 ans il s’assagisse. Ce n’est en rien le cas.

Sur le même sujet : « Megalopolis », de Francis Ford Coppola (Compétition) ; « Les Damnés », de Roberto Minervini (Un Certain regard)

Le cinéaste, établissant une analogie entre la situation des États-Unis et l’Empire romain quand il fut au bord de la déliquescence, New York étant rebaptisé New Rome, s’est lancé dans un néo-péplum prophétique. César Catilina (Adam Driver) est le nom du héros de Megalopolis, architecte doué du pouvoir d’arrêter le temps, ayant mis au point une matière révolutionnaire, le megalon, à partir de quoi il a conçu un modèle utopique. Il s’oppose au maire de la ville, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), orateur habile et corrompu, et a reçu l’appui de son oncle, le patriarche Hamilton Crassus III (Jon Voight), le plus puissant banquier de la cité.

L’esthétique du film est à la mesure de la fable : chargée, baroque, extravertie, exploitant, dans le sillage d’un Méliès, tous les effets du cinématographe, ceux que le numérique permet, mais aussi celui-ci, on ne peut plus physique, en « présentiel » des spectateurs, dirait-on aujourd’hui : alors que le personnage d’Adam Driver s’apprête à donner une interview, un homme (en chair et en os), dans le noir de la salle, se glisse devant l’écran pour poser une question, à laquelle César Catilina répond. L’intervieweur s’évanouissant ensuite dans l’obscurité comme il était venu. Ce bref épisode est aussi symptomatique de l’humour, souvent narquois, qui travaille en profondeur Megalopolis.

Le film n’est pas aimable car il joue peu sur l’émotion, mais beaucoup sur une vision funeste de la politique.

Le film n’est pas aimable car il joue peu sur l’émotion, mais beaucoup sur une vision funeste de la politique. Trois « offres » sont en présence, incarnées par trois personnages. Franklyn Cicero, le maire, conservateur et démagogue, ne rechignant pas à recourir aux méthodes mafieuses (son organisateur des bases œuvres étant interprété par Dustin Hoffman, qui fait ici une apparition). Le cousin de César Catilina, Clodio Pulcher (Shia LaBeouf), ambitieux mais limité, qui s’improvise leader populiste afin d’acquérir du pouvoir.

Messianisme et humanisme

Enfin César Catilina lui-même, qui n’est pas sans principes ni fidélité à sa parole, mais dont le projet de bonheur universel dans un nouvel environnement qui serait une « cité-école en constante évolution »  n’a rien d’une proposition élaborée démocratiquement. Il sort de son seul esprit, aussi brillant soit-il. Coppola émet ici une critique du messianisme, qu’il accompagne d’une représentation du peuple quasi invisibilisé, relégué au rang de spectateur. « Les utopies s’achèvent en dystopies », dit un personnage. Ou en happy end d’un angélisme si exacerbé qu’en comparaison le cinéma idéaliste de Frank Capra pourrait passer pour strictement réaliste.

La fable, au fond pessimiste, emprunte aussi à la farce – ce qui là encore contribue à dégonfler l’esprit de sérieux –, notamment à travers le personnage très réussi de Wow Platinum (excellente Aubrey Plaza), une journaliste sans filtre dévorée par l’ambition.

Pourtant, le film instille une dose d’humanisme. Même si la psychologie y a une part congrue, cet humanisme s’exprime à travers les conflits sentimentaux auxquels sont confrontés certains protagonistes. Ainsi, Cesar est hanté par le souvenir de sa femme morte mais est épris de la fille du maire, Julia Cicero (Nathalie Emmanuel). Tandis qu’elle-même, par son amour, « trahit » son père. Histoire de rappeler qu’il n’y a pas d’histoire de l’humanité sans destinées désespérément mais résolument humaines.

Cinéma
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