Comment le RN tient l’avenir du gouvernement Barnier entre ses griffes

Le parti de Marine Le Pen continue de souffler le chaud et le froid sur le futur du nouveau gouvernement, tout en préparant la suite.

Nils Wilcke  • 23 septembre 2024 abonné·es
Comment le RN tient l’avenir du gouvernement Barnier entre ses griffes
Jordan Bardella ne prédit « aucun avenir » au nouvel exécutif.
© Telmo Pinto / NurPhoto / AFP

Malgré les efforts d’Emmanuel Macron pour composer un gouvernement bleu marine, le Rassemblement national juge la date de péremption du gouvernement Barnier d’ores et déjà dépassée. « Vous reprendrez bien un peu de ce plat avarié ? », a lancé sur X, le jeudi 19 septembre le président délégué du groupe à l’Assemblée nationale, Sébastien Chenu, tandis que Jordan Bardella a sèchement prédit « aucun avenir » à ce nouvel exécutif mêlant LR et des représentants de l’ancienne majorité macronistes, dans une interview à BFM. (1)

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Cet article est une nouvelle version de celui initialement publié le 21 septembre à midi, avec des ajouts et des modifications pour tenir compte des annonces du gouvernement Barnier, intervenues dans la soirée du 21.

Même constat pour Marine Le Pen, qui regrette « un gouvernement remanié, éloigné du désir de changement et d’alternance exprimé en juin dernier. » Au point de voter la censure, une position partagée par la gauche depuis plusieurs jours ? Le RN prend un malin plaisir à brouiller les pistes, tout en se laissant la possibilité de renverser le gouvernement à l’Assemblée.

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« Nous verrons bien », affirme Philippe Ballard, le porte-parole du parti, interrogé sur RMC ce dimanche 22 septembre. « Il y aura un discours de politique générale, et s’il ne va pas dans notre sens, nous censurerons », ajoute le député. De quoi susciter la crainte d’Emmanuel Macron, qui a nommé Michel Barnier à Matignon précisément pour éviter un tel scénario.

Zizanie

Désireux de s’afficher comme le premier parti d’opposition, le RN a décidé de « faire tourner en bourrique » la Macronie, croit savoir un député EPR, qui dialogue souvent avec ses collègues d’extrême droite. « C’est la stratégie de la zizanie. ». Sous la menace permanente d’une motion de censure, l’exécutif tente de minimiser son pouvoir de nuisance sans convaincre car l’Élysée scrute chaque prise de parole du RN sur les nominations potentielles, selon les informations de Politis.

Après Xavier Bertrand ou Bernard Cazeneuve, pressentis pour Matignon mais recalés par Marine Le Pen, la dernière victime en date du RN s’appelle Gérald Darmanin, qui a annoncé lui-même vendredi 20 septembre qu’il ne redeviendrait pas ministre sous le gouvernement Barnier. Selon un soutien du nouveau premier ministre, Michel Barnier n’a pas manqué de relever les propos tenus par Jordan Bardella, lundi 16 septembre, sur RTL, menaçant de faire tomber son gouvernement s’il lui venait l’envie de « recycler M. Darmanin, M. Dupond-Moretti et les pontes de la Macronie jusqu’à Xavier Bertrand ».

Le RN veut le pouvoir, ce n’est plus un parti d’amateurs comme certains continuent, à tort, de le percevoir. 

J-Y. Camus

Emmanuel Macron s’est exécuté. De quoi ulcérer une partie de ses troupes. « On donne bien trop d’importance au RN », s’étrangle le député EPR (Ensemble pour la république, ex-Renaissance) Ludovic Mendes, pour qui le deal du chef de l’État est une « erreur stratégique ». « Madame Le Pen ne cherche qu’une seule chose, destituer le président pour prendre le pouvoir, comme LFI », ajoute l’élu de Moselle. « Le RN veut le pouvoir, ce n’est plus un parti d’amateurs comme certains politiciens et commentateurs continuent, à tort, de le percevoir », confirme Jean-Yves Camus, politologue et spécialiste de l’extrême droite.

« Nous avons réussi à éviter le pire. Les personnalités qui ne respectent ni les électeurs ni la République, dehors. Donc c’est toujours ça de pris », se félicitait Jean-Philippe Tanguy dimanche sur LCI. « Nous avons gagné ces élections (législatives, N.D.L.R.) en nombre de voix mais pas en nombre de sièges, nous ne tentons pas de réécrire l’histoire comme la gauche », ajoute le député RN. Traduction : « Le RN ne veut s’afficher ni comme un soutien de Macron ni du gouvernement Barnier mais faire la démonstration à ses électeurs qu’il a évité un gouvernement du NFP, la moins bonne solution à ses yeux », observe Jean-Yves Camus.

Ligne de crête

En coulisse, le parti de Marine Le Pen met la pression sur le gouvernement Barnier pour faire passer les mesures les plus susceptibles, à ses yeux, de lui faire gagner des points dans l’opinion : « Faire passer la TVA sur l’énergie de 20 à 5,5 % », un procédé qui profiterait surtout aux plus aisés selon l’Insee ; la « suppression de l’aide médicale d’État », malgré l’opposition du corps médical, qui pointe les risques sanitaires encourus ; et surtout « faciliter les expulsions de délinquants étrangers », l’obsession du RN, en dépit des traités internationaux dont la France est signataire.

Retailleau, on a de la peine à lui trouver des divergences avec le RN sur la sécurité et l’immigration.

C’est sur ce dernier point que la nomination de Bruno Retailleau à l’Intérieur à la place de Gérald Darmanin est censée donner des gages au RN, même si Michel Barnier s’en défend. « Retailleau, on a de la peine à lui trouver des divergences avec le RN sur la sécurité et l’immigration », souffle un conseiller de l’exécutif. Comme l’extrême droite, le nouveau locataire de la Place Beauvau, défend des mesures contraires à la Constitution, comme l’instauration d’une préférence nationale pour l’accès aux prestations sociales.

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Même suivisme sur le budget. À peine Marine Le Pen met-elle en garde sur une hausse des impôts que le nouveau ministre de l’Économie, Antoine Armand s’empresse de la rassurer en donnant sa première interview à l’hebdomadaire d’extrême droite le JDD, tablant plutôt sur « des réductions de dépenses » et de possibles « prélèvements exceptionnels et ciblés » pour rétablir les comptes publics. Pile le programme défendu par le RN.

Guet-apens

Reste l’épineuse question de la réforme des retraites. Le RN « proposera toujours d’abroger la réforme des retraites », lors de sa niche parlementaire le 31 octobre, assure le député Jean-Philippe Tanguy, lundi 23 septembre sur France Inter. « Je fais confiance aux partenaires sociaux, pas à Michel Barnier », lance l’élu. Pourtant, la mesure ne pourra être adoptée qu’avec les voix de la gauche à l’Assemblée. Si LFI s’affiche contre, les socialistes doivent encore en débattre et le PCF est plutôt favorable à voter la mesure. 

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Le piège tendu par le parti d’extrême droite semble parfait. « C’est un guet-apens ce débat », admet le sénateur communiste Ian Brossat auprès de Politis. Lui propose de ne pas dévoiler son vote : « Je ne vois pas pourquoi on s’emmerderait à l’annoncer à l’avance, le RN ne le fait jamais et on a que des coups à prendre ». La stratégie de la zizanie fonctionne à plein régime. « Au fond, le seul programme de Marine Le Pen, c’est d’obtenir une nouvelle dissolution d’Emmanuel Macron d’ici un an en consolidant ses candidats pour de nouvelles législatives », observe le politologue Jean-Yves Camus.

Pour ce faire, RN a lancé un grand ménage en interne. Les députés Thomas Ménagé et Julien Odoul ont pour mission de « former de futurs candidats capables de répondre aux médias et en mesure de prendre la parole en public. » Le premier est accusé de tenir des propos climatosceptiques, remettant en cause les rapports du GIEC. Le second défraye la chronique : insultes contre la journaliste Nassira El Moaddem en mai 2024 sur CNews, diffusion de fake news sur la gauche lors des dernières législatives ou encore une « blague » sur le suicide d’un paysan lors des élections régionales en 2021.

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Plus que jamais, le RN semble avoir du mal à s’extraire de ses contradictions. « Le RN est sur la ligne de crête, il doit se normaliser mais sans devenir un clone de LR, sinon, il n’offrira aucun avantage comparatif », explique Jean-Yves Camus. En attendant, Le Rassemblement national continue de brandir la menace d’une censure du gouvernement à peine nommé : « C’est nous qui déciderons s’il a oui ou non un avenir », martèle Jean-Philippe Tanguy ce lundi. « On jugera sur pièce », ajoute l’élu, qui attend le discours de politique générale de Michel Barnier devant l’Assemblée pour se prononcer. Le compte à rebours a commencé.

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