La théorie des blocs électoraux : stratégies d’élargissements et perspectives majoritaires

Francis Daspe, président de l’AGAUREPS-Prométhée, explore dans ce texte les moyens et manières de sortir de l’impasse politique pour chacun des trois blocs, et insiste sur les tâches et défis de la gauche.

Francis Daspe  • 10 octobre 2024
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La théorie des blocs électoraux : stratégies d’élargissements et perspectives majoritaires
© Ludovic Marin / AFP

Le champ politique français a longtemps été structuré en fonction du clivage gauche / droite, vecteur de bipolarisation caractérisée par des alternances, avec ou sans alternative, de moins en moins sans alternative au fil du temps. Désormais, la théorie des trois blocs s’impose pour donner à voir la réalité.

Un bloc central, aussi nommé bourgeois ou élitaire, s’est constitué autour du président Macron. Un bloc nationaliste, clairement d’extrême droite, a émergé en bénéficiant des ruines de la droite dite républicaine, sommée de choisir à qui se rattacher entre le bloc précédent et celui-ci. Un bloc populaire a subsisté, arrimant la gauche à un programme de ruptures, et non plus d’accompagnement qui réduisait à néant les chances d’alternative.

Nous sommes bien confrontés à une impasse posant de multiples questionnements.

L’équilibre entre ces trois blocs a conduit à des blocages démocratiques dont nous voyons les effets aujourd’hui. Ce n’était en fin de compte pas si imprévisible pour peu que l’on se soit donné la peine d’observer ce qui se passait sur le continent européen.

Nous sommes bien confrontés à une impasse posant de multiples questionnements. Comment en sortir ? Par quels moyens accéder à la perspective majoritaire ? De quelle manière procéder pour parvenir à de nécessaires élargissements ? Car, en filigrane, émerge l’enjeu de l’élargissement de chaque bloc pour se rapprocher d’une majorité, sinon absolue, au moins relative mais qui permettre de s’en rapprocher et d’accéder à une certaine stabilité.

Au centre, la récusation du verdict des urnes

Le bloc central est plus que jamais minoritaire dans le pays, tant sociologiquement que politiquement. Pour autant il n’est pas démuni de stratagèmes pour y pallier. Il y a la volonté de contourner le verdict des urnes par la tentation de retour déguisé au suffrage indirect, par des carambouilles et des procrastinations d’après élection.

C’est en somme ce qui s’est réalisé avec la constitution du gouvernement Barnier dont la finalité a été d’invalider les trois enseignements majeurs du verdict des urnes : la victoire du Nouveau Front populaire, la défaite de la Macronie, le rejet du Rassemblement national. Il existe également le recours visant à agréger à soi les quelques marges et périphéries en quête de maroquins.

Sur le même sujet : Le bloc central ou la tentation du retour au suffrage indirect et censitaire ?

Dans une logique identique, se dévoile en arrière-plan la récusation du suffrage universel, avec une nostalgie du suffrage censitaire. Le bloc central se satisfait en effet de taux d’abstention élevés, écartant du champ démocratique les catégories les plus précaires et les plus modestes. Enfin, la Macronie table sur le privilège de la centralité, véritable pompe à aspirer permettant de bénéficier de fronts républicains, quant bien même seraient-ils déséquilibrés et sans réciprocités.

L’extrême rempart des possédants

Pour le bloc d’extrême droite, il ne peut y avoir d’issue favorable sans briser la cage de verre qui l’enserre. Une cage composée d’un plafond de verre (un seuil aux élections l’empêchant bien souvent de gagner au second tour) et de parois de verre (la difficulté à être accepté dans des coalitions ou des alliances). L’opération passe par un processus de dédiabolisation.

L’extrême droite représente pour les possédants et autres nantis le rempart contre les fronts populaires.

C’est ce à quoi s’emploie la droite et la Macronie. En témoigne le caractère asymétrique du front républicain au second tour des législatives qui visait à faire barrage aux candidats du Rassemblement National : réellement sincère pour les électeurs du Nouveau Front populaire, plus qu’imparfaitement (et c’est un doux euphémisme) pour ceux du bloc bourgeois. La droitisation préoccupante du débat public y contribue pour sa part. Et ce d’autant plus que l’extrême droite représente pour les possédants et autres nantis le rempart contre les fronts populaires, sur le modèle de la formule ô combien éclairante et hélas éprouvée, « Plutôt Hitler que Blum ».

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Faire coïncider les aspirations populaires et le vote des urnes

Pour le bloc populaire, incarné par la coalition du Nouveau Front Populaire, il s’agit de faire d’abord avec les réalités comptables. Le total des forces de gauche dépasse à peu de choses près les 30 %. C’est potentiellement insuffisant pour accéder à la perspective majoritaire. Une solution consiste à mobiliser l’électorat du quatrième bloc, celui des abstentionnistes, des dégoutés, des non-inscrits et des mal-inscrits sur les listes électorales. Ce qui valide la stratégie de La France insoumise.

Il s’agit d’un autre projet de société que celui porté par le bloc central qui méprise la France d’en bas, les gens qui sont rien, la populace, la masse etc. Car pour le bloc populaire, les données sont claires. Pas de révolution citoyenne sans perspective majoritaire ; pas de perspective majoritaire sans stratégie d’élargissement.

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À cet effet, il ne peut pas retomber dans les travers du passé. La nostalgie d’une resucée de la gauche plurielle persiste pourtant dans les mentalités de certains. Elle se double bien souvent d’une acceptation d’un programme d’accompagnement, estimant que les ruptures validées dans le cadre des programmes de la Nupes en 2022 et du Nouveau Front populaire en 2024 sont trop radicales ou clivantes. Quant il ne s’agirait pas d’une franche et résolue opposition plus ou moins masquée…

Le bloc populaire doit compter sur la participation à l’élection et l’implication populaire en dehors des temps électoraux.

Il en résulterait alors le triomphe de la règle du plus petit dénominateur commun, équivalant la plupart du temps au plus grand renoncement, sanctionnant le primat de l’arithmétique (les rentes) sur la dynamique (la visée d’espoir). Au contraire, l’équation consiste en définitive à faire coïncider les aspirations populaires et le vote des urnes, ainsi que la majorité sociologique à une majorité politique.

Sortir du blocage politique

Devant le blocage politique que constitue l’équilibre entre les trois blocs les solutions peuvent apparaître chiches pour la Macronie et l’extrême droite. Elles misent leur salut sur des expédients, ne faisant plus confiance au suffrage universel, préférant les carambouilles et les alliances post-élections, à l’occasion déconnectées des programmes de campagne, en vertu du principe que les promesses n’engagent que ceux qui veulent bien les croire.

Ce n’est pas le cas du troisième bloc, qui doit compter sur la participation à l’élection et l’implication populaire en dehors des temps électoraux. L’alternative est simple. C’est cela ou la gestation d’une nouvelle grande coalition, réalisant l’union de toutes les droites (à commencer par celles qui affectent de ne pas en être comme la Macronie) et de l’extrême droite, c’est-à-dire la coalition des deux blocs.

Sur le même sujet : Comment le RN tient l’avenir du gouvernement Barnier entre ses griffes

Emmanuel Macron ne suffit plus à protéger les intérêts de l’oligarchie. Il est vrai qu’en 2017, il constitua à lui tout seul une sorte de grande coalition symbolisée par le « et en même temps ». Aujourd’hui, il doit l’élargir jusqu’aux confins de l’extrême droite. Le gouvernement Barnier en constitue un jalon décisif, à ne pas sous-estimer en tout cas. Pour éviter cette inquiétante dérive, le seul rempart est désormais le bloc populaire qui doit franchir un seuil supplémentaire en termes d’élargissement afin de rendre possible la perspective majoritaire.

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