La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale

Pour Christiane Marty, membre de la Fondation Copernic et d’Attac, en matière de prostitution, une politique cohérente consisterait à la fois à agir contre les réseaux proxénètes et à protéger les personnes en situation de prostitution.

Christiane Marty  • 21 novembre 2024
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La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale
Le quartier De Wallen à Amsterdam, connu aussi sous le nom de "Red light district" ou "Quartier rouge", connu pour ses commerces de prostitution légale.
© Gio / Unsplash

La question de la prostitution est souvent abordée sous l’angle du quotidien des personnes en situation de prostitution, soumises aux contrôles policiers et à une précarisation. C’est le cas dans le hors-série de Politis « Des corps et des femmes ».

S’il est évidemment indispensable de défendre les droits des personnes prostituées, il est indispensable aussi de dénoncer le système prostitutionnel qui organise la marchandisation du corps des femmes. Bien que la prostitution soit réputée aussi ancienne que l’humanité, ce sont les politiques néolibérales, avec la libre circulation des capitaux et la dégradation des conditions de vie de nombreuses personnes, qui ont permis son énorme déploiement au niveau mondial.

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Ce système, très lié au trafic de drogue, génère d’immenses profits, en grande partie dans l’économie souterraine, en s’appuyant sur la traite des êtres humains et sur l’exploitation des personnes les plus pauvres et vulnérables, des personnes racisées, issues d’ethnies minoritaires ou des ex-colonies, des migrant·es et des enfants. Selon l’OIT, en 2021, la prostitution a généré les deux tiers des 217 milliards d’euros de profits illégaux liés au travail forcé… et elle concerne plus de 1,7 million d’enfants.

Combien sont victimes des proxénètes, dépendantes de la drogue, migrantes piégées par les passeurs ?

La Convention internationale de 1949 a affirmé que la prostitution est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine. C’est une violence, comme en témoignent les prostituées qui ont réussi à en sortir, les « survivantes ». Il faut écouter leur parole, et pas seulement celle de quelques femmes qui affirment que c’est leur libre choix. La première des libertés, le droit supérieur à défendre, c’est de pouvoir vivre sans devoir vendre son corps. Lutter contre la marchandisation généralisée promue par le capitalisme néolibéral commence par refuser que le corps humain, des femmes ou des hommes, devienne une marchandise.

Car pour quelques personnes qui revendiquent ce choix et/ou gagnent bien leur vie en étant escortes ou indépendantes, combien d’autres sont victimes des proxénètes, dépendantes de la drogue, migrantes piégées par les passeurs, ou poussées par des contraintes monétaires, comme notamment de plus en plus d’étudiant·es aujourd’hui pour financer leurs études ? Comment parler de choix ? Quelles seront les conséquences psychiques pour ces jeunes ?

La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale. L’acte de prostitution entre deux personnes adultes consentantes dans un cadre privé peut toujours exister. Mais parler de « travail du sexe », vouloir en faire un « métier » comme un autre supposerait d’organiser la prostitution comme une institution de la société, ce qui reviendrait à mettre potentiellement toutes les femmes (surtout elles) sur « un marché ». Va-t-on défendre que bientôt soit créée une formation avec cette orientation à proposer dans les établissements scolaires ? Qui envisage cet avenir pour son enfant ? 

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Une politique cohérente – l’abolitionnisme – consiste à la fois à agir contre les réseaux proxénètes et à protéger les personnes en situation de prostitution en leur garantissant les droits sociaux et la possibilité d’une formation et d’un emploi. Et en amont, à mettre en œuvre des politiques de prévention et à promouvoir l’éducation à une sexualité égalitaire et au respect d’autrui. Beaucoup reste à faire.

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