« Il existe une banalisation des pratiques non conventionnelles de soin »
Donatien Le Vaillant, chef de la Miviludes, revient sur le dernier rapport d’activité de la mission interministérielle, révélant une augmentation continuelle des dérives sectaires entre 2022 et 2024 en matière de santé.

La santé et le bien-être concentrent 37 % des signalements à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), ce qui en fait désormais le premier secteur concerné, avant même les cultes ou les spiritualités (35 %). Analyses et perspectives d’évolution présentées par Donatien Le Vaillant, chef de la Miviludes.
Comment expliquez-vous que le domaine de la santé soit devenu propice aux dérives sectaires ?
Donatien Le Vaillant : Le domaine de la santé n’est pas nouveau dans le domaine des dérives sectaires puisqu’il y avait déjà eu en 2013 un rapport du Sénat intitulé « La santé en danger ». Les choses n’ont fait que s’aggraver depuis. De manière structurelle, les croyances d’un grand nombre de personnes se concentrent de plus en plus sur les questions de bien-être de l’ici et maintenant, plutôt que sur l’au-delà ou le salut de leur âme. À travers la sécularisation de la société, les croyances sont restées très présentes et se sont un peu développées, semble-t-il, dans le domaine de la santé.
On peut aussi indiquer que la contestation des pouvoirs publics, celle du monde médical, le complotisme, n’ont fait que prospérer à la faveur de la crise sanitaire et des confinements successifs. Le développement du numérique, responsable de la diffusion d’une partie de ces discours, a pu contribuer à cette augmentation.
Il y a des pratiques d’accompagnement qui peuvent être utiles, mais il faut qu’elles soient coordonnées par les professionnels de santé.
De la même manière, on rencontre un problème de banalisation des pratiques non conventionnelles de soins, dans les hôpitaux, sans que les patients ne sachent toujours s’il s’agit de pratiques médicales ou non, et dans les maisons de santé, avec une pression forte exercée auprès des élus locaux pour avoir des médecins ou professionnels de santé dans certaines régions rurales. Sur place, il peut y avoir un risque de proposer des pseudo-thérapeutes, alors que la déontologie médicale empêche en principe un médecin de s’installer à proximité immédiate d’un pseudo-thérapeute.
Suivre des soins non conventionnels, c’est aussi la liberté de tous, mais à partir de quand peut-on parler de dérive sectaire dans la santé ?
L’un des effets les plus évidents des dérives sectaires est la rupture avec le milieu d’origine, en particulier la famille au profit d’un nouveau groupe. C’est également le détournement des parcours de soins, puisqu’il est très rare que les personnes qui connaissent ce type de dérive continuent de voir le médecin. Des non-professionnels, qui ne sont soumis à aucune déontologie particulière, peuvent ainsi prendre le relais pour mettre en œuvre des pratiques non éprouvées. Il y a beaucoup de pratiques d’accompagnement qui peuvent être utiles, mais il faut qu’elles soient réellement coordonnées par les professionnels de santé et les structures de soins, ce qui n’est pas toujours le cas.
Quels sont les publics les plus exposés à ces dérives sectaires ?
Je vous renvoie à l’étude de l’Institut Descartes qui a pu établir que les personnes qui se renseignent sur les réseaux sociaux peuvent être exposées davantage à des pratiques non conventionnelles de soins. Il y a aussi un enjeu socioculturel : les personnes parfois moins diplômées ont plus tendance à se renseigner sur les réseaux sociaux, même pour des questions de santé et sont alors plus exposées à ce type de pratiques.
Les oncologues constatent aussi que les patients, à des moments de vulnérabilité particulière, sont souvent tentés d’essayer de nouveaux remèdes, notamment au moment du diagnostic, à l’annonce de la maladie, ou à l’annonce d’une récidive. Il y a plus de 430 000 nouveaux cas de cancer par an, selon l’Institut national du cancer (Inca). C’est un chiffre assez massif.
Les pratiques non conventionnelles de soins peuvent apparaître plus ‘douces’, ‘adaptées’.
Beaucoup de pseudo-thérapeutes peuvent profiter de cette situation pour proposer des soins, notamment plus « personnalisés », puisque des patients demandent aussi, de manière générale, des soins plus adaptés à leur personne. Il y a aussi un enjeu d’image : les professionnels de santé sont parfois jugés trop éloignés des réalités humaines ou peu disponibles. À l’inverse, des pseudo-thérapeutes peuvent se montrer disponibles, « empathiques », « à l’écoute » et profiter du fait que les pratiques non conventionnelles de soins peuvent apparaître plus « douces », « adaptées ».
Quels sont les principaux défis actuels en matière de régulation pour prévenir des dérives sectaires dans la santé, dans un contexte où la confiance envers la science et les pratiques conventionnelles est remise en cause ?
La Miviludes reçoit des signalements qu’elle transmet à la justice, dès lors qu’elle estime qu’une infraction pénale est caractérisée. Sur le plan pénal, la loi du 10 mai 2024 visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et l’accompagnement des victimes permettra à davantage d’associations d’exercer les droits attachés à la qualité de partie civile pour un certain nombre d’infractions commises dans un contexte sectaire. Le nouveau délit de placement ou de maintien en état de sujétion psychologique ou physique permettra une meilleure réparation des préjudices des victimes.
Sur le plan des sanctions ordinales, la loi du 10 mai 2024 permet aux ordres des professionnels de santé d’être mieux informés par les parquets, puisque les parquets auront l’obligation de les informer de toute condamnation, même non définitive, ou de tout placement sous contrôle judiciaire d’un professionnel de santé. Ainsi, les ordres des professionnels de santé seront mieux informés et pourront prendre des mesures plus précoces notamment de suspension, en cas de faute caractérisée. Les effets de cette loi pourront être analysés lorsque les procédures initiées sur ce fondement seront achevées.
La stratégie nationale de lutte contre les dérives sectaires met l’accent également sur la prévention, notamment la formation et la sensibilisation des agents de l’État ou des collectivités locales. Ainsi, notamment, chaque autorité régionale de santé (ARS) dispose de référents sur les dérives thérapeutiques et les dérives sectaires, qui ont été formés en particulier par la Miviludes. L’un des principaux défis qui se posent est également celui de la désinformation médicale sur Internet et les réseaux sociaux.
Il serait légitime qu’une information médicale vulgarisée soit davantage mise en valeur.
Le règlement européen sur les services numériques fixe un certain nombre d’obligations aux grands réseaux sociaux, qui peuvent donner lieu en cas de manquement à des sanctions très importantes (jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial). Il nous appartient dès lors de documenter, par exemple, les risques systémiques que font peser les grands réseaux sociaux, notamment sur le plan de la santé des personnes. Au-delà, dès lors que beaucoup de personnes s’informent à travers les réseaux sur les questions de leur santé, il serait légitime, c’est une question en tout cas que je pose, qu’une information médicale vulgarisée soit davantage mise en valeur ou davantage accessible.
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