Antifascisme : la riposte citoyenne reprend des forces
Dans les rues lors des manifestations et rassemblements, au sein d’organisations militantes et de collectifs de solidarité, une multitude de voix s’élèvent partout en France pour opposer à la haine un front populaire, solidaire et déterminé.
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© Maxime Sirvins
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Présidentielle : vous avez demandé le cauchemar ? Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »Avec la progression de l’extrême droite en France, les mouvements populaires intensifient leurs mobilisations en diversifiant leurs modes d’action, passant des manifestations de rue à des formes de solidarité concrètes et durables. De plus en plus régulièrement, des milliers de personnes descendent dans les rues de grandes et moyennes villes comme Paris, Lyon, Marseille ou Lorient. Ces rassemblements visibles reflètent leur détermination collective à réaffirmer leur rejet catégorique des discours autoritaires et xénophobes qui gagnent du terrain.
Depuis les années 1980, les mobilisations contre l’extrême droite en France ont accompagné chaque poussée électorale du Front national (FN). Le 1er mai 2002, 500 000 personnes défilaient à Paris – 1,3 million dans toute la France – en réaction à la qualification de Jean-Marie Le Pen au -deuxième tour de la présidentielle.
Malgré ces mobilisations, le poids électoral du FN, devenu Rassemblement national (RN) en 2018, n’a cessé de se renforcer, le faisant passer d’un phénomène marginal à une force politique majeure. Le réseau Ras’le Front, qui s’était constitué en 1990 à la suite d’un appel de 250 personnalités et qui déclarait : « Quelles qu’en soient les conséquences judiciaires, nous affirmons ici que Le Pen, en filiation directe avec l’idéologie nazie, est un fasciste et un raciste », s’est peu à peu éteint après l’élection de Jacques Chirac, en 2002.
Plus récemment, notamment après la présidentielle de 2017 et l’arrivée au second tour de Marine Le Pen, les mobilisations sont devenues moins massives. Il faudra attendre les législatives de 2024 et le choc des européennes, où le RN a raflé 31,36 % des voix, pour qu’un mouvement unitaire reprenne corps. Pendant un mois, des dizaines de manifestations se sont improvisées, sans atteindre toute-fois l’ampleur des rassemblements de 2002.
La lutte prend des formes concrètes. Des collectifs s’organisent ainsi quotidiennement pour venir en aide aux populations migrantes.
Raphaël Arnault, député LFI et porte-parole de la Jeune Garde, collectif antifasciste, est lucide sur cette situation : « Il y a un discours que j’entends souvent dans les milieux militants et que je rejette : “Ça ne sert à rien, on manifeste depuis les années 1980 et l’extrême droite progresse toujours.” En réalité, on n’a jamais été aussi faibles sur le plan antifasciste », déplore-t-il. Il estime que la « surmobilisation » des années 1980-1990 « permettait de contenir en partie la progression de l’extrême droite ».
Mais pas question de baisser les bras pour autant. « Il faut juste éviter de se raconter des histoires : la situation est grave et il faut en prendre la mesure, explique le député. Pendant des années, on a entendu : “Ils n’arriveront jamais au pouvoir”, ou “lutter contre eux, ça ne sert à rien”. Il y avait du déni, ou alors une forme de résignation. » Aujourd’hui, l’heure est à l’urgence.
Agir préventivement
À Paris, le 16 février, une violente agression néonazie contre des militants du collectif antifasciste Young Struggle a provoqué une vive réaction populaire : plusieurs milliers de manifestants se sont rapidement rassemblés pour exprimer leur colère, mais également leur volonté d’organiser activement la résistance. Sur place, Politis avait recueilli les propos de plusieurs militant·es : « Ce qui s’est passé n’est ni un fait divers ni un cas isolé. Ils [les agresseurs néonazis] savent qu’ils évoluent dans un pays où on parle du “grand remplacement” » ; « On n’est pas assez ou mal organisés » ; « Il faut lier la lutte antifasciste à un programme social offensif. Il ne faut pas s’attaquer aux conséquences du fascisme, mais à ses causes. »
À Lorient, dans le Morbihan, la mobilisation antifasciste a également pris une ampleur remarquable le dimanche 2 mars, alors que les attaques des groupuscules d’extrême droite se multiplient dans la ville. Près de 2 000 personnes ont participé à une grande manifestation régionale, avec pour mot d’ordre : « La meilleure défense, c’est l’attaque. » Ce message traduit une volonté populaire de ne plus simplement subir les violences de l’extrême droite, mais d’agir préventivement et concrètement pour protéger les populations menacées.
« De plus en plus d’informations personnelles de camarades sont publiées en ligne par ces groupes, explique Alex*, un militant antifasciste lorientais. Ils essayent de se montrer de plus en plus, mais on parvient toujours à les chasser. » Alex considère que la pluralité des méthodes d’action est une force qu’il faut utiliser, même si « les mobilisations sont toujours nécessaires, qu’elles soient populaires ou radicales ».
Les prénoms ont été modifiés.
Ces dernières années, plusieurs contre–manifestations offensives ont eu lieu en Bretagne, comme à Saint-Brévin, où l’extrême droite a violemment rejeté la création d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile en 2023, et à Callac, où elle avait multiplié les attaques et les pressions contre un projet d’accueil de réfugiés, fin 2022. « Il est important d’être dissuasif », conclut Alex.
Tissu local
La lutte antifasciste ne se limite pas aux manifestations. Elle prend aussi la forme de solidarités concrètes et durables, souvent moins visibles mais tout aussi importantes. « Il faut être présent à travers un tissu local pour convaincre les gens perdus politiquement et empêcher les fascistes d’agir », rappelle le militant. Même conviction chez Raphaël Arnault : « Une manifestation, ce n’est pas une finalité, c’est un moyen d’action, au même titre que l’engagement sur les réseaux sociaux, les prises de parole à l’Assemblée ou la bataille culturelle dans les médias. Tout ça forme un ensemble. »
Des collectifs citoyens s’organisent ainsi quotidiennement pour venir en aide aux populations migrantes, particulièrement exposées. Ces initiatives locales permettent d’offrir un soutien indispensable face aux menaces constantes d’expulsions et aux discours xénophobes banalisés dans l’espace médiatique et politique.
Cet hiver, depuis le début du mois de décembre, des centaines de mineurs isolés ont occupé la Gaîté lyrique, à Paris. Ousmane*, délégué du Collectif des jeunes du parc de Belleville, en fait partie. « Quand on est allés à la Gaîté lyrique, on a dit à la mairie qu’on ne voulait pas rester et qu’on voulait uniquement un logement, raconte-t-il. On n’a jamais vraiment eu de réponse, pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que la police arrive, et c’était très violent. »
Le mardi 18 mars, le lieu est violemment évacué par les forces de l’ordre. Face aux matraques, des militants antifascistes, des syndicalistes et quelques élus présents forment un cordon serré. « Ils sont restés toute la nuit pour nous soutenir et nous protéger », atteste Ousmane. Pendant plusieurs heures, ils vont subir coups et nasses, pacifiquement et sans broncher.
Le 22 mars, au lendemain de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale, plus de 90 000 personnes ont défilé en France contre l’extrême droite, à l’appel de syndicats, d’associations et de partis de gauche. Ousmane, qui y a participé, a compris « qu’avec la montée de l’extrême droite, ça serait de pire en pire ». Avec ses compagnons, le jeune mineur n’est pas près d’abandonner la lutte : « On ne fait pas ça que pour nous, mais aussi pour les autres qui vont se retrouver à notre place un jour. Il faut continuer de se mobiliser encore et encore. »
Les organisations antifascistes doivent également contrer les récupérations politiques de certaines luttes par des groupuscules d’extrême droite. Ainsi, samedi 8 mars, lors de la marche pour les droits des femmes, la manifestation parisienne a connu un épisode particulièrement marquant. Le collectif identitaire Némésis, qui se prétend féministe, a voulu intégrer le cortège, qui est resté en rangs serrés place de la République pour lui en barrer l’accès.
Élan de solidarité
Pour forcer les manifestants à avancer, les forces de l’ordre ont alors chargé à l’arrière. Dans un élan de solidarité, des militants de partis, d’organisations et de la Jeune Garde ont constitué des services d’ordre et, ensemble, ils ont formé un rempart qui encaissait les attaques policières. Finalement, le petit groupe de Némésis a renoncé. Une militante s’est réjouie : « Ça y est, on l’a fait aujourd’hui, le 8 mars 2025 : le mouvement féministe a repoussé l’extrême droite dans la rue. »
Cette intersectionnalité des luttes – féministe et antifasciste ce 8 mars – se retrouve sur d’autres terrains, comme lors de la mobilisation contre les mégabassines. Ainsi, au Village de l’eau installé à Melle, dans les Deux-Sèvres, en juillet 2024, où 7 000 personnes ont convergé du monde entier pour dénoncer l’accaparement de l’eau, les multiples débats et tables rondes ont été l’occasion d’affirmer la nécessité de lier ce combat à celui contre l’extrême droite, dont les idées progressent dangereusement dans les zones rurales.
Ces différentes initiatives, visibles ou plus discrètes, illustrent un changement profond dans l’approche des mobilisations antifascistes. Face à la progression inquiétante des idéologies autoritaires et xénophobes, l’opposition symbolique ne suffit plus : les mouvements populaires adoptent une stratégie plus globale, combinant contestation publique et solidarités concrètes.
Leur message est clair : face à l’extrême droite, ce sont la force collective et l’organisation populaire qui permettront de protéger durablement les libertés fondamentales et la cohésion sociale. « Aujourd’hui, plus que jamais, il faut se réveiller, conclut Raphaël Arnault. Ça passe aussi par autre chose que les manifs : il faut reconstruire un tissu local, associatif, politique. C’est une lutte de long terme, sur plusieurs terrains. »
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