Aux États-Unis, le monde du travail contre Donald Trump
Créé dans les années de déclin du syndicalisme américain, le mouvement Labor Notes, en forte croissance ces dernières années, espère pouvoir peser face aux attaques à répétition du président républicain.

© ALI MATIN / MIDDLE EAST IMAGES / AFP
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Présidentielle : vous avez demandé le cauchemar ? Antifascisme : la riposte citoyenne reprend des forces Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »D’où viendra la lumière ? Depuis l’investiture, le 20 janvier, de Donald Trump à la Maison Blanche, pas un jour ne passe sans qu’une actualité vienne nous interpeller. Un ouragan réactionnaire et conservateur déferle sur les États-Unis, et les résistances progressistes sont peu nombreuses, ultra-localisées et minoritaires – voire marginales.
Le salut pourrait-il venir du monde du travail, et, notamment, des organisations syndicales ? « Aujourd’hui, plus que jamais, il est primordial qu’on ait des dirigeants du mouvement syndical qui se rendent compte de l’importance du moment et qui soient prêts à prendre des risques vis-à-vis des directions d’entreprise et de l’État de Trump. Il faut leur montrer qu’on va mener des résistances », clame Marsha Niemeijer, organisatrice syndicale états-unienne dans le secteur de l’éducation.
Mi-mars, celle qui est aussi, et surtout, membre de la direction nationale de Labor Notes depuis vingt-cinq ans est venue en France pour raconter l’état du syndicalisme outre-Atlantique. Lors de deux conférences organisées par la CGT, la FSU, Solidaires et des chercheurs du syndicalisme, elle s’est montrée optimiste – tout en concédant que ce n’était tout de même pas la meilleure période pour l’être. Cet espoir, elle le puise dans la croissance significative de son mouvement, Labor Notes, depuis quelques années.
La grève la plus emblématique est celle menée par le syndicat de l’automobile, l’United Auto Workers (UAW).
Par sa forme et ce qu’elle représente, cette organisation n’a pas d’équivalent en France. Labor Notes se définit comme un « projet médiatique et organisationnel qui est la voix des militants syndicaux ». Créé en 1979, alors que le néolibéralisme entame sa folle expansion et le syndicalisme son déclin massif, Labor Notes veut « représenter la tendance de gauche du mouvement ouvrier américain », souligne Marsha Niemeijer.
« La fin des années 1970 est un moment de crise pour les syndicats, notamment dans le secteur privé, avec une baisse dramatique des effectifs syndicaux et un fort enjeu autour de la bureaucratie syndicale, accusée de corruption et de collusion avec le patronat », explique Marie Menard, doctorante au Lise-Cnam, en cours de rédaction d’une thèse sur « le renouveau du syndicalisme enseignant aux États-Unis ».
Le premier mandat de Donald Trump a déjà été très violent pour les droits syndicaux, avec de nombreux décrets – facilitant les campagnes antisyndicales des employeurs. En 2019, dans plus de 41 % des référendums de syndicalisation – les élections internes aux entreprises pour créer une section syndicale –, les employeurs ont violé le droit du travail. Les conditions de licenciement des travailleurs fédéraux ont été assouplies, accompagnées d’une réduction des normes en matière de sécurité au travail.
Renouveau des pratiques
Aujourd’hui, à peine plus de 6 % des salariés du secteur privé sont syndiqués. « Dans ce contexte où les syndicats ont arrêté, progressivement, d’être un espace légitime de luttes, Labor Notes s’est organisé avec l’idée de les changer de l’intérieur pour créer un renouveau syndical », poursuit Marie Menard.
La méthode est alors simple : aider les syndicalistes « de la base » à instaurer davantage de démocratie au sein d’organisations accusées d’être de plus en plus bureaucratisées et corporatistes. Et, aussi, à mettre en avant des pratiques plus combatives, notamment par l’usage de la grève. Durant toute la fin du XXe siècle, et même au début du XXIe, Labor Notes est resté un mouvement assez marginal. Mais, depuis une dizaine d’années, il connaît une croissance importante.
Lors de sa conférence annuelle organisée en 2024, plusieurs milliers de personnes ont fait le déplacement dans une ambiance festive. « C’était très célébratoire, il y avait beaucoup de monde, des syndicalistes venus de tous les pays pour partager leurs expériences de luttes. C’était vraiment très intéressant », raconte la chercheuse, présente sur place.
Au moment où se tient cette conférence annuelle, l’élection présidentielle n’a pas encore eu lieu et les victoires syndicales s’enchaînent. La plus emblématique, sans doute, est celle de la grève historique dans l’automobile menée par l’United Auto Workers (UAW), le syndicat de l’automobile. Hausse de 25 % du salaire de base, embauches, annulation de plans de licenciements, etc. Les gains obtenus après six semaines de mobilisation sont importants et témoignent de la possibilité de gagner par la grève, possibilité qui n’était presque plus envisagée aux États-Unis.
S’émanciper de la bureaucratie syndicale
Michelle Gonzalez, elle aussi, a gagné une importante bataille syndicale dans son hôpital du Bronx, à New York, où elle est infirmière. Déjà, pour obtenir un véritable syndicat de lutte qui représente ses intérêts.
« En 2019, alors que nous voulions faire grève pour obtenir un meilleur accord collectif, la bureaucratie de notre syndicat est intervenue pour interrompre le préavis de grève », raconte-t-elle, encore amère. « Faire grève aux États-Unis est très difficile. Il faut que le syndicat soit d’accord, sinon ce n’est pas possible. Et ceux qui ne sont pas combatifs ne veulent pas discuter de cet outil et de cette stratégie », explique Marsha Niemeijer
Aidée par Labor Notes, Michelle Gonzalez prépare alors pendant plus d’un an une campagne d’envergure, « transparente » et « au plus près du terrain » pour dépasser la bureaucratie syndicale. Trois ans après l’échec de 2019, lors de la renégociation de l’accord collectif, elle et toutes ses collègues débraient. Inenvisageable, ou presque, quelques années auparavant. Après trois jours de grève, elles obtiennent une hausse significative de leur salaire, des avancées pour pallier les problèmes de sous-effectif et l’abandon de la fermeture du service de post-natalité.
Sur tout le territoire, les exemples de ce type se multiplient sous l’effet conjugué de la hausse du coût de la vie et du post-covid, alors que l’accaparement des richesses devient de plus en plus criant. « On vit un moment du capitalisme particulièrement effrayant et sans entrave qui aboutit à des situations inhumaines. Cela explique qu’on observe des résistances se créer. Les gens n’en peuvent plus », souffle Marsha Niemeijer.
Popularité en flèche
Et son mouvement, à ce moment, devient un lieu central de formations et d’informations syndicales. Un petit manuel pédagogique s’inspirant d’une lutte menée victorieusement par des enseignants à Chicago en 2012, intitulé How to Jump-start Your Union (« Comment relancer votre syndicat »), permet de faire circuler les « bonnes pratiques » combatives. Le syndicalisme regagne alors en popularité, dépassant les 70 % d’opinions favorables fin 2022, un niveau jamais atteint depuis plus de cinquante ans !
Une popularité qui, selon Marsha Niemeijer, s’observe notamment chez les jeunes. En témoignent les mouvements – également inédits – de syndicalisation chez Starbucks – 10 % des établissements possèdent désormais un syndicat – ou dans de nombreux entrepôts Amazon. Des entreprises où les salariés sont souvent jeunes – voire très jeunes.
Les gens adhèrent pour garder leur emploi, mais aussi pour lutter contre le démantèlement de l’État.
M. Niemeijer
Mais cette dynamique encore balbutiante a été heurtée de plein fouet par l’élection de Donald Trump. Avec les mesures antisociales qui ont immédiatement suivi. En quelques semaines, le président a licencié des dizaines de milliers d’agents fédéraux. Le Pro Act, une loi plutôt progressiste pour améliorer les -réglementations du travail, bloquée au Sénat depuis des années, risque de ne jamais voir le jour.
Le président a aussi signé un décret pour reprendre la main sur l’administration en charge de la sécurité et de la santé au travail (OSHA), avec, par exemple, la suppression de l’obligation faite aux employeurs de prévoir un plan de prévention pour les travailleurs lors d’épisodes de forte chaleur. Ou encore cette règle qu’on qualifierait de loufoque si elle n’était pas réelle : pour adopter une nouvelle réglementation sur la sécurité au travail, l’OSHA doit en supprimer dix. « C’est dur d’expliquer le choc qu’on ressent tous les jours, voire à chaque heure, quand on découvre l’actualité. C’est très difficile à vivre », confie Marsha Niemeijer.
FUN, le regroupement intersyndical
Comment résister face à cette déferlante ? « Cela ne peut venir que de la base », veut croire la syndicaliste. Elle cite notamment la création, il y a quelques années, de la Federal Union Network (FUN – « on aime bien les jolis acronymes », sourit-elle), un regroupement de différents syndicats fédéraux qui ne se parlaient pas, ou peu, jusqu’à présent. Depuis l’élection de Donald Trump, ces syndicats échangent et agissent ensemble, notamment grâce à Labor Notes qui leur permet de se retrouver.
Récemment, FUN a organisé une réunion d’information sur les droits des agents fédéraux sur la plateforme Zoom. Elle a été vue plus de 100 000 fois et le taux de syndicalisation dans le secteur fédéral a augmenté de manière notable ces dernières semaines – « des milliers de gens », selon Marsha Niemeijer. « C’est une résistance pour garder leur emploi, mais aussi pour lutter contre le démantèlement de l’État », souligne-t-elle.
Autant de signaux qui laissent espérer que les syndicats pourraient être une vraie voix de résistance face à Donald Trump. Mais, s’ils sont notables, ils restent faibles. « On observe une recrudescence, mais elle est encore modeste », reconnaît la syndicaliste. Sans pour autant que l’abattement la gagne : « Il faut continuer à mettre en valeur ces luttes pour que les gens puissent s’en inspirer ». Ce à quoi s’attelle, désormais quotidiennement, Labor Notes.
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