« L’Époux », la peau délivre

Patrick Autréaux signe un livre d’amour et d’émancipation, qui raconte comment le narrateur a perdu la foi pour entrer dans la religion de l’écriture.

Christophe Kantcheff  • 16 avril 2025 abonné·es
« L’Époux », la peau délivre
L’Époux est un livre d’apprentissage où sont souvent liées, parfois étroitement, lectures et rencontres.
© Francesca Mantovani / Gallimard

L’Époux / Patrick Autréaux / Gallimard, coll. « Sygne », 208 p., 20 euros.

La plupart des livres de Patrick Autréaux sont d’ordre autobiographique. Les lisant les uns après les autres, on y reconnaît certains événements – en particulier sa traversée, jeune encore, du cancer, et sa rémission, à quoi il a consacré un cycle de quatre livres –, mais abordés avec un éclairage différent et surtout une autre focale. Car chaque livre suit une piste singulière, s’attache à extraire du parcours intime de l’auteur les repères déterminants, les facteurs d’explication et d’émancipation, qui tous renvoient à la nécessité de l’écriture.

L’Époux s’ouvre sur le mariage entre le narrateur – alter ego de l’auteur – et son compagnon, célébré dès que la loi l’a permis. D’emblée des antagonismes sont posés. Deux en particulier : d’une part, les parents de son compagnon acceptent mal l’homosexualité de leur progéniture, plus difficilement encore leur (futur) beau-fils ; d’autre part, le rejet de l’homosexualité par la religion catholique (ainsi que par toutes les autres), qui a pourtant eu une importance capitale pour le narrateur. Le livre va se poster sur ces deux fronts.

Sur le premier, ses beaux-parents, installés en Israël car son compagnon est de famille juive, opèrent une guerre de tranchées, avec quelques périodes de détente. Sur le second, ce dont le narrateur va rendre compte, c’est la voie qu’il a suivie le menant à « décroire », à se détourner de la foi. Celle-ci n’était pas un héritage – il ne vient pas d’un milieu pieux. Comme il le dit lui-même, il y est entré « par la porte buissonnière ». Il n’en sort pas avec pertes et fracas, façon renégat.

Dieu n’est plus un mystère, mais n’est pas devenu une figure honnie. Parce que, sans plus la nommer ainsi, le narrateur continue à désirer habiter une nuit en lui que n’éclaire aucun déterminisme, aucune raison consciente. « Comment ne plus croire sans perdre l’infini ? », écrit lumineusement Autréaux. L’écriture sera le recours, qui lui permet de rejoindre le « puits des âmes ».

Apprentissage

L’Époux est ainsi un livre d’apprentissage où sont souvent liées, parfois étroitement, lectures et rencontres – surtout la rencontre avec le compagnon, d’abord amant, époux ensuite, une histoire d’amour qui ne s’est pas faite toute seule, dont l’épanouissement a demandé plusieurs années. Une série de livres jalonne le parcours intellectuel que retrace L’Époux, qui n’est pas le moins intéressant des axes du livre tant il s’agit de connaissances qui influent sur l’existence du narrateur, et non d’une accumulation stérile de savoir.

L’Époux est sans nul doute le texte de Patrick Autréaux le plus empreint de lyrisme, pourtant travaillé de l’intérieur par son contraire même.

Le premier d’entre eux est Le Livre des questions, si bien nommé, d’Edmond Jabès, qu’il prend dans la bibliothèque de son amant et qui l’entraîne vers la culture juive. Dès lors, « lire est une manière d’aimer ». Ou encore : « Par toi et pour toi, j’entre dans le judaïsme. » Ses voyages en Israël, en particulier à Jérusalem, ville biblique, outre le mauvais accueil de ses beaux-parents, le déçoivent et lui font prendre la mesure de ce « ghetto des vainqueurs », une expression de Mahmoud Darwich, qu’il cite, face au déni de tant d’Israéliens quant à l’injustice faite aux Palestiniens.

Sur le même sujet : Patrick Autréaux : « Au cœur de l’écriture, il y a : “je ne sais pas” »

Le goût de l’auteur pour la biologie, lui qui a suivi des études de médecine, a aussi constitué une clé d’émancipation. Il révèle qu’il avait fait sienne, adolescent, cette devise : « Ad veritatem per scientiam » (« Aller vers la vérité par la science »). Non sans sourire de cette naïveté, il n’a pas abandonné ce pan de l’exploration du monde. Il raconte notamment sa découverte de l’essai de Jean-Jacques Kupiec, L’Origine des individus, qui introduit la possibilité du hasard dans la génétique, le délivrant d’une représentation pesante de son hérédité.

L’Époux est sans nul doute le texte de Patrick Autréaux le plus empreint de lyrisme : « Oh, la ferveur de mots qui brûlent et calment ! » Un lyrisme pourtant travaillé de l’intérieur par son contraire même : une inclination au dénuement qu’emblématise son compagnon, économe de paroles, auquel il consacre des pages enluminées et reconnaissantes. « Ce que je cherche se met à danser avec mon amour pour toi. » L’Époux est le récit de cette quête enjouée.

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Littérature
Temps de lecture : 4 minutes