L’héritage du Pape François : réforme plutôt que révolution

Le Pape François a marqué son pontificat par un changement de discours sur des questions cruciales comme l’immigration et la crise climatique, ainsi qu’une ouverture relative sur les questions morales. Il est mort à l’âge de 88 ans ce lundi 21 avril.

Pablo Castaño  • 21 avril 2025 abonné·es
L’héritage du Pape François : réforme plutôt que révolution
Le pape François, sur la place Saint-Pierre au Vatican le 16 novembre 2016. Le souverain pontife est décédé le 21 avril 2025.
© ALBERTO PIZZOLI / AFP

« Le devoir du Conclave était de donner un évêque à Rome. Je sens que mes frères cardinaux sont allés le chercher au bout du monde », a dit le Pape François lors de son premier discours depuis la Basilique Saint-Pierre, le 13 mars 2013. La référence de Jorge Bergoglio, décédé ce 21 avril 2025, au « bout du monde », au-delà d’évoquer son origine argentine, révélait plusieurs clés de son pontificat.

Justice sociale et environnement

Premier pape latino-américain, il a apporté au Vatican la préoccupation pour la justice sociale propre à la Théologie de la Libération, née dans cette région, accompagnée d’une attention à l’environnement et aux droits des migrants jamais vue auparavant au Saint-Siège. Cela représentait un changement radical de priorités par rapport aux pontificats de Jean-Paul II et Benoît XVI, centrés sur la morale catholique traditionnelle.

François a publié trois encycliques, qui sont les déclarations pontificales de plus haut rang. Deux d’entre elles abordaient des questions purement politiques : Laudato si’ (2015) traite de la protection de l’environnement, tandis que Fratelli tutti (2020) aborde la justice sociale. Cette dernière encyclique revendique « le droit de chaque individu à trouver un endroit qui réponde à ses besoins fondamentaux », résumant ainsi une position qui a fait de François une conscience critique d’une Europe de plus en plus hostile à l’immigration.

Diversité sexuelle et genre

Le pontificat de Jorge Bergoglio a également marqué un changement relatif dans la position de l’Église sur le genre et la diversité sexuelle. Le pape argentin a affiché une plus grande tolérance envers l’homosexualité que ses prédécesseurs, comme il l’a démontré en répondant, lors de sa première conférence de presse, par un très chrétien « Qui suis-je pour juger ? » à une question sur l’homosexualité dans l’Église. Bergoglio a suscité la colère des milieux ultraconservateurs lorsqu’il a ouvert la porte à la bénédiction des « couples en situation irrégulière », incluant ainsi les couples de même sexe, et nommé pour la première fois des femmes à des postes clés du gouvernement du Vatican.

Parmi les aspects conservateurs de son bilan, on trouve ses fréquentes dénonciations de « l’idéologie de genre », reprenant le langage de la droite radicale, ainsi que son opposition catégorique au droit à l’avortement, y compris en cas de viol. En effet, Bergoglio a qualifié de « tueurs à gages » les médecins pratiquant des interruptions volontaires de grossesse.

Les réformes les plus difficiles : corruption et abus sexuels

Le pape venu du « bout du monde » a voulu mettre de l’ordre dans la bureaucratie vaticane, ternie par les scandales de corruption révélés par la fuite de documents connue sous le nom de Vatileaks. Il a même fermé 5 000 comptes bancaires suspects, a créé des organismes de contrôle et mis en place des réglementations contre le blanchiment d’argent, mais en 2015, une nouvelle fuite de documents compromettants (Vatileaks 2) a éclaté, et les Panama Papers de 2016 ont révélé des investissements du Vatican dans des paradis fiscaux.

Encore plus grave a été la déferlante de cas d’abus sexuels commis par des prêtres sur des mineurs à travers le monde, souvent étouffés par Karol Woijtila et Joseph Ratzinger. François a tenté de mettre fin à l’impunité, en prenant des décisions fortes comme l’expulsion du clergé, en 2019, du cardinal états-unien Theodore McCarrick, auteur et complice d’agressions sexuelles. En 2019, le Vatican a organisé un sommet contre la pédophilie, qui a établi de nouveaux protocoles de dénonciation. Cependant, cinq ans plus tard, le premier rapport de la Commission pour la protection des mineurs dénonçait le « manque troublant de structures de communication et de services d’accompagnement des victimes/survivants ».

Une rupture géopolitique

Le premier pape procédant du Cône Sud a été innovant aussi dans le domaine géopolitique de ses prédécesseurs. Si Jean-Paul II fut un fidèle allié de Washington dans la lutte contre le communisme, François s’est éloigné des capitales occidentales sur des sujets tels que la relation avec la Chine, l’Ukraine ou Gaza.

En 2018, le Saint-Siège a signé un accord controversé avec le gouvernement chinois pour la nomination des évêques, ce qui a été vivement critiqué par l’administration de Donald Trump. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, le pape a appelé le président ukrainien puis s’est rendu à l’ambassade de Russie pour exprimer son inquiétude, un geste interprété en Occident comme trop indulgent envers Vladimir Poutine. Enfin, le pontife a qualifié l’agression israélienne contre Gaza de « génocide » bien avant l’ouverture du procès devant la Cour internationale de justice, illustrant une posture diplomatique plus proche du Sud global que des centres de pouvoir occidentaux.

Un pontificat réformateur, non révolutionnaire

Les douze années de François à la tête de l’Église ont marqué un changement de discours sur des questions cruciales comme l’immigration et la crise climatique, ainsi qu’une ouverture relative sur les questions morales. De plus, Bergoglio a entrepris de profondes réformes internes au Vatican, malgré les fortes résistances des secteurs les plus traditionnalistes. Le prochain conclave déterminera si les cardinaux ultraconservateurs reprendront le pouvoir dans l’Église ou si l’ouverture initiée par le premier pape latino-américain se poursuivra.

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