« Se rencontrer, échanger et essayer de se comprendre »
Pour dépasser les traumatismes et les stigmatisations après la mort de Thomas, en novembre 2023, à Crépol, et celle de Zakaria, à Romans-sur-Isère, 200 personnes venant de la Drôme des collines et du quartier de la Monnaie ont marché pour la fraternité.
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© Sylvain THOMAS / AFP
Pour dépasser les traumatismes et les stigmatisations après la mort de Thomas, en novembre 2023, à Crépol, et celle de Zakaria, à Romans-sur-Isère, quelques mois plus tard, et pour s’opposer à l’instrumentalisation de ces drames par les discours racistes, 200 personnes venant de la Drôme des collines et du quartier de la Monnaie ont marché pour la fraternité.
Le 6 avril, quelque 200 personnes se sont rejointes sur la colline de Saint-Ange, à Peyrins (où le maire nous a accueillis), à mi-chemin entre Crépol et Romans-sur-Isère. L’aboutissement de plusieurs mois d’organisation entre un collectif citoyen de la Drôme des collines – dont je fais partie –, des habitants de Crépol, dont la maire, et des résidents du quartier de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, dont le collectif Je vote donc je suis, créé pour inciter les habitants des quartiers populaires de cette ville à voter aux dernières élections législatives.
Nous avons tous été marqués par la mort dramatique de Thomas dans une rixe à la sortie d’un bal en novembre 2023, à Crépol. Tous, nous avons été terriblement touchés par celle de Zakaria, tué dans le quartier de la Monnaie alors qu’il tentait, lui aussi, de s’interposer dans une bagarre. Pourtant, depuis ces drames, seul celui concernant Thomas a fait l’objet d’une campagne d’instrumentalisation politique d’extrême droite ignoble. C’est contre cela que nous avons voulu nous battre. Plutôt qu’opposer les personnes, les quartiers, les villages, nous avons voulu montrer que ces gens partageaient les mêmes souffrances et, surtout, bon nombre d’espérances communes, pour eux comme pour leurs enfants et petits-enfants.
Cela fait donc plus de six mois que, régulièrement, je retrouve ces personnes qui refusent cette lecture identitaire. Dès nos premières réunions, à l’automne 2024, l’émotion et la joie d’être ensemble étaient fortes. Et ce 6 avril a montré que nous avions bien fait d’y croire. Trois cortèges sont partis respectivement de la salle des fêtes de Crépol, où Thomas a été tué, du quartier de la Monnaie, où Zakaria a été tué, et du bois des Ussiaux, dans la Drôme des collines, près de Saint-Donat.
On s’est tous retrouvés sur la colline de Saint-Ange dans une joie communicative. Quelles émotions, ces minutes d’applaudissement, ces embrassades pour accueillir chaque cortège, qui s’était garni au fil de la marche ! J’étais tellement heureux de voir que nous avions réussi notre pari. Organiser un événement loin de toute récupération politique et du battage médiatique qui a fait tant de mal à notre région. Faire que des gens de Crépol et de la Monnaie se rencontrent, accompagnés par d’autres Romanais et des habitants de la Drôme des collines, échangent et essayent de se comprendre.
Il n’y avait aucun drapeau, aucune pancarte. Simplement des femmes et des hommes de toutes les générations.
Comme nous l’avions demandé, il n’y avait aucun drapeau, aucune pancarte. Simplement des femmes et des hommes de toutes les générations, prêts à se parler, à s’écouter, à partager cette ambiance de fête au-delà de leurs différences sociales, politiques, culturelles ou cultuelles.
Le rassemblement a commencé par la lecture de textes poétiques. « Nous avons tellement en commun […]. Les mêmes douleurs et les mêmes espoirs nous unissent dans l’amitié, dans la fraternité. À ceux qui cherchent à diviser pour mieux régner, souvenez-vous que la Drôme et le Vercors ont toujours résisté. Vous ne ferez jamais de notre terre l’étendard de la haine de l’Autre. » Puis des chants entonnés tous ensemble, avec du cœur, et, enfin, un peu de musique. Inès, jeune fille de la Monnaie, jouant Vivaldi au violon, et une belle farandole au son de l’accordéon de Michel. Des moments de partage, de joie. J’ai eu les larmes aux yeux toute la journée.
Mercredi 9 avril, notre initiative s’est poursuivie avec un « concert de la Fraternité » dans le quartier de la Monnaie, donné par un groupe de cinq femmes, Évasion, créé en 1986 dans les ateliers-chants de la MJC Noël-Guichard. Parce que, contrairement à ce que disent les discours de haine, la Monnaie a produit et produit toujours de belles choses. Plus qu’un concert, cette soirée a été une vraie fête, prolongeant la fraternité du dimanche.
Pour que nous soyons aussi plus forts face aux agressions de l’extrême droite, qui n’hésite pas à instrumentaliser ces drames.
Aujourd’hui, je suis heureux d’avoir pu participer, avec tous les autres, à l’organisation d’une telle initiative. Nous voulons la poursuivre, dans un format qu’il nous reste à imaginer. Pour que cette fraternité, cette amitié demeure dans le temps. Et que nous soyons aussi plus forts face aux agressions de l’extrême droite, qui n’hésite pas à instrumentaliser ces drames – la dernière en date étant la venue à Romans-sur-Isère de Sarah Knafo, eurodéputée Reconquête ! et compagne d’Éric Zemmour.
En conclusion, je vous laisse avec la phrase de l’un d’entre nous, qui résume si bien notre volonté et notre combat : « Nous sommes la France, nous sommes Romans, nous sommes Crépol. »
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