À toutes les mères de Gaza
En ce 25 mai, l’autrice et journaliste Élise Thiébaut s’adresse à toutes les mères, mais d’abord à celles de Gaza.

Le 25 mai c’est leur fête. Alors je voulais vous parler des mères.
Je voulais vous parler des mères seules. Des mères séparées. Des mères voilées. Des mères sans abri. Des mères aux seins gorgés de lait, des mères qui galèrent à allaiter, des mères qui refusent et ça va très bien. Des mères qui ne dorment pas. Des mères qui ont mal, qui ont peur, qui s’émerveillent d’un sourire, d’un premier pas, d’un premier mot. Des mères qui jouent avec leurs enfants. Des mères qui se font chier au parc.
Je voulais vous parler du couscous de minuit que je préparais à ma fille quand elle n’arrivait pas à dormir, de la main décharnée de ma mère à l’hôpital, juste avant son départ pour l’autre monde, cette femme mourante qui disait : « Même là, on luttera toujours pour qu’il soit meilleur ».
Je voulais vous parler des mères qui se lèvent très tôt pour prendre le bus ou le RER, qui ont peur tout le temps qu’on blesse ou qu’on tue leur enfant. Parce qu’il est un garçon. Parce qu’il est noir. Parce qu’il est musulman. Parce qu’il est juif.
Je voulais vous parler des mères qui sont toujours là quoi qu’il arrive, et qui ne vous lâcheront pas même dans les enfers.
Je voulais vous parler des mères qui tremblent quand leurs filles sortent le soir et qui ne savent pas dire à leur fils de ne pas donner de raison aux autres mères de trembler pour leurs filles.
Je voulais vous parler des mères abusives. Des mères violentes. Des mères qu’on a perdues. Des mères alcooliques. Des mères trop défoncées pour te faire un petit déjeuner. Des mères malades que le mec a abandonnées parce qu’un seul sein non merci, j’ai pas signé pour ça. Des mères qui ont oublié qui vous êtes, qui elles sont, qui nous sommes dans leur mémoire trouée. Leur mémoire déchirée.
Je voulais vous parler des mères qui vieillissent.
Je voulais vous parler des mères qui renoncent, de celles que vous ne connaîtrez jamais parce qu’elle ont accouché sous X. Je voulais vous parler des mères qui vous serrent dans leurs bras en disant « je ne pourrais jamais vivre sans toi » alors que vous étiez là depuis le début à manger tranquille votre goûter, sans savoir qu’elle rêvait de partir à l’autre bout du monde.
Je voulais vous parler de nos terres et de nos mères violentées.
Je voulais vous parler des mères qui sont toujours là quoi qu’il arrive, et qui ne vous lâcheront pas même dans les enfers. Je voulais parler des mères avec qui on riait au Gams (Groupement pour l’abolition des mutilations sexuelles) en comparant nos familles polygames ou recomposées. Je voulais vous parler des belles-mères.
Je voulais vous parler de la mienne que j’adorais. De sa main sur ma joue, aussi, à l’instant ultime. De son sourire, de son regard, de sa voix cassée par le cigare. Je voulais vous parler des mères qui vous lâchent et qui vous sauvent, comme Lady B. racontée par sa fille Maya Angelou dans Maman & Moi & Maman, réédité chez Notabilia avec une préface d’Axelle Jah Njiké.
Je voulais vous parler de la Puissance des mères, pour un sujet révolutionnaire, de Fatima Ouassak, et du Front de mères qui braquera la fête ce dimanche à Paris ou ailleurs.
Je voulais parler de tout ça, mais je ne pense qu’à Gaza. Aux mères de Gaza.
Parce qu’à Gaza, il n’y a pas de fête des mères. Il n’y a que nos défaites. Et notre rage de devoir le rappeler : toutes les mères qui meurent en Palestine ont d’abord donné la vie. Comme nous l’avons donnée ou reçue, de toutes les façons possibles. Et nous continuerons sans relâche à défendre cette vie qui est la terre même.
Je voulais vous parler de nos terres et de nos mères violentées.
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