Aide à mourir : à l’Assemblée, cinq points de crispation

Les députés ont adopté, mardi 20 mai, l’article 4 sur les conditions d’accès du projet de loi « droit à mourir ». Malgré cette adoption, de réelles divisions persistent sur le fond, avant le vote des député·es prévu mardi 27 mai.

Élise Leclercq  • 22 mai 2025 abonné·es
Aide à mourir : à l’Assemblée, cinq points de crispation
Le vote de la proposition de loi sur l'aide à mourir intervient le 27 mai.
© Richard Stachmann / Unsplash

Le premier volet sur les soins palliatifs du projet de loi sur la fin de vie devrait être voté mardi 27 mai sans difficulté. Le deuxième texte, sur l’aide à mourir, est, lui, vivement débattu depuis vendredi 16 mai. Les principaux opposant·es à droite sont aussi accompagné·es de quelques rares député·es de gauche qui s’inquiètent de potentielles dérives.

Le débat n’est pas nouveau. La commission des Affaires sociales a quasiment repris à l’identique le projet de loi sur la fin de vie de 2024, qui a dû être interrompu avec la dissolution de l’Assemblée nationale. Sur les vingt articles que contient le texte, cinq ont d’ores et déjà été votés depuis le début des discussions.

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Mardi 20 mai, tard dans la soirée, les député·es se sont entendu·es à 164 voix pour contre 103 sur les critères d’accès. La personne doit être majeure, française ou résidente en France ; atteinte d’une affection grave et incurable avec un pronostic vital en phase avancée ou terminale ; confrontée à des souffrances physiques ou psychologiques qui ne peuvent être apaisées d’une autre manière, et apte à manifester sa volonté. Pour autant, les points de crispations persistent. Et pourraient être déterminants lors du vote, mardi 27 mai, clôturant la première lecture de l’hémicycle, avant de passer au Sénat.

Je trouve qu’on est sur un texte de liberté et de choix, et pour moi c’était important de l’avoir jusqu’au bout, jusqu’au geste final.

É. Leboucher

Accorder le droit à mourir est-ce soigner ?

Euthanasie ou suicide assisté ? Samedi 17 mai, les député·es ont choisi de rétablir l’auto-administration qui avait été retirée du texte. Les patient·es en fin de vie devront alors s’auto-administrer le produit létal sauf s’iels sont dans l’incapacité de le faire. Un amendement que regrette la députée insoumise et corapporteuse du texte, Élise Leboucher, pour qui l’auto-administration pourrait dissuader certaines personnes : « Je trouve qu’on est sur un texte de liberté et de choix, et pour moi c’était important de l’avoir jusqu’au bout, jusqu’au geste final. »

Une manière aussi de « sécuriser » la personne en lui permettant de « savoir que si elle ne pouvait pas le faire, dû à la gravité du geste, il était possible de demander à un médecin, sans remettre en cause sa volonté de mourir ».

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Mais ce vote, de 75 voix contre 41, n’a pas permis de rassurer celles et ceux qui souhaitent « protéger les soignants ». La définition du soin est au cœur de la discussion : l’injection d’une solution létale est-elle un acte médical ?

Mardi 20 mai, au perchoir, la députée écologiste de Paris, Danielle Simonnet, a avancé une réponse : « J’aimerais à présent répondre à celles et ceux qui prétendent que les médecins et soignants seraient opposés à une telle évolution. D’après un sondage de l’Ifop réalisé en avril 2025, 74 % des médecins sont favorables à la légalisation de l’aide à mourir et 70 % considèrent que l’aide à mourir est un soin de fin de vie, au même titre que la sédation profonde et continue. » Elle a ajouté que la clause de conscience reste effective et qu’il sera possible pour les médecins de refuser.

Validisme et « notion floues »

Les critères d’accès au dispositif notamment en ce qui concerne les termes de « phases avancées et terminales » ont été longuement discutées car jugées « floues » et donc rendant possible des dérives pour les opposant·es.

L’Assemblée a choisi de reprendre la définition de la Haute Autorité de santé, pour qui la phase « avancée ou terminale » est définie comme « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie ». L’institution avait rendu un avis en ce sens, le 6 mai.

Qui pourrait y prétendre ? Les conditions pourraient-elles changer avec le temps ? « L’euthanasie ne force personne à le faire mais ça pousserait tout le monde à l’envisager », expliquait Sara Piazza, psychologue en soins palliatifs et opposée au texte sur Blast l’année dernière. Si la gauche tente de rassurer en proposant des « garde-fous », les collectifs antivalidistes, eux, sont vent debout. L’argument principal est qu’au lieu d’aider les gens à bien vivre et améliorer les conditions de vie des personnes, la proposition de loi préfère s’attarder à faciliter leur mort.

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Comme si leur existence était réduite à un « fardeau » pour la société et leurs proches. Elisa Rojas, avocate et militante antivalidiste, représente l’une des principales figures de cette opposition, moins audible que celle des collectifs réactionnaires. Pour elle, le texte est une nouvelle preuve de la domination des personnes valides.

« Le texte, tel qu’on est en train d’écrire aujourd’hui, non, n’est pas eugéniste », assure Élise Leboucher. Pour l’élue, « les inquiétudes et les craintes ne reposent pas sur des éléments contenus dans le texte. Ce sont des craintes en lien avec des amendements qui ont été déposés ou qui n’ont pas été adoptés. Ou alors, ce sont des inquiétudes pour la suite ».

L’euthanasie ne force personne à le faire mais ça pousserait tout le monde à l’envisager.

S. Piazza

Mais pour le député socialiste de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier, l’une des seules voix audibles opposées au texte à gauche, le problème est plus grand. Cette « liberté » de choix serait « une fiction libérale et bourgeoise » et donc en totale opposition avec les valeurs portées par la gauche. « Je pense qu’il nous appartient d’être les premiers défenseurs d’une éthique de la vulnérabilité », développe-t-il auprès de Politis.

L’aide à mourir face au système de santé dégradé

Augmenter la capacité des unités de soins palliatifs apparaît comme une priorité pour la grande majorité des député·es. Une vingtaine de départements en sont encore dépourvus en France. Pour certain·es élu·es, dont Dominique Potier, les personnes vulnérables n’ayant pas d’unité de soins palliatifs à côté de chez eux seraient contraintes de songer à l’euthanasie.

« La médecine des soins palliatifs est celle qui évite de choisir entre la douleur et la mort, et qui propose cette troisième voie. » Au cœur de cette différence, selon lui, la notion d’« intention », qu’il qualifie de « rupture anthropologique », comme beaucoup de député·es, et notamment à droite, opposé·es au texte.

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Mais pour la corapporteuse insoumise, les soins palliatifs et l’aide à mourir sont complémentaires. L’augmentation de l’offre de soins palliatifs est « un engagement du gouvernement », explique-t-elle, qui doit aussi « être pris au moment du PLFSS [projet de loi de financement de la sécurité sociale, N.D.L.R.] ». « Moi, je suis aussi de ceux qui pensent qu’une personne ayant accès à des soins palliatifs peut aussi ne pas vouloir y aller et demander l’aide à mourir. Il faut accepter cette possibilité là. On n’impose rien à la personne. »

La loi Claeys-Léonetti n’est pas suffisante, sinon il n’y aurait pas ces personnes qui partent à l’étranger pour demander l’aide à mourir.

É. Leboucher

Pour les collectifs antivalidistes ainsi que pour Dominique Potier, l’argument ne tient pas : « Le désir de mourir serait bien moindre dès lors que nous avons accès à des soins palliatifs. » Aucune étude n’existe cependant sur le sujet. Il ajoute : « Dans le meilleur des cas, il faudra dix ans pour avoir des soins universels sur le plan des soins palliatifs. » Reste à savoir si les élu·es doivent faire dépendre l’ouverture d’un droit à ce que produit ou ne produit pas un contexte économique.

Une loi redondante avec celle de Claeys-Leonetti de 2016 ?

La loi Claeys-Leonetti, adoptée en 2016, permet effectivement aux patient·es de refuser les soins et de pratiquer une « sédation profonde et continue » jusqu’au décès. L’argument est largement repris dans l’hémicycle. Mais, parfois, le décès survient après « plusieurs jours ou semaines », précise Danielle Simonnet.

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« Monsieur Claeys le dit, la loi Claeys-Léonetti n’est pas suffisante en elle-même », explique Élise Leboucher. La députée LFI est convaincue du bien-fondé de cette nouvelle loi et insiste : « Sinon il n’y aurait pas ces personnes qui partent à l’étranger pour demander l’aide à mourir. » Selon la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, une autorité belge, 106 Français·es au minimum se sont rendu·es en Belgique pour en bénéficier en 2024.

À gauche, la question des directives anticipées

À gauche, peu de voix se font entendre en défaveur de l’aide à mourir. « On est un peu à tombeau renversé », analyse Dominique Potier, qui pense qu’une partie de la gauche « a en partie perdu cette boussole de la vulnérabilité ».

Il est important d’avoir un consentement libre et éclairé jusqu’au dernier moment.

O. Falorni

Si les député·es de gauche y sont majoritairement favorables, une question divise encore largement : peut-on inscrire dans les directives anticipées la volonté de recourir au droit à mourir ? Danielle Simonnet en est la principale défenseuse. Elle a déposé plusieurs amendements en ce sens afin de permettre aux personnes en pleine santé, qui seraient soudainement plongées dans le coma par exemple, de pouvoir préalablement demander à bénéficier de l’aide à mourir.

Mais pour le gouvernement, comme pour Olivier Falorni, rapporteur général du texte, il est important « d’avoir un consentement libre et éclairé jusqu’au dernier moment ». Aucun de ces amendements n’a été voté par l’Assemblée.

Il reste à aborder, la collégialité, le délit d’entrave, la clause de conscience, l’inscription de mort naturelle pour les mutuelles… Autant de sujets majeurs pour un texte aussi important. Et de voir si les « garde-fous » prévus par le texte auront suffi à convaincre les représentant·es de la nation, le 27 mai, date du vote final.

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