« Six mois après son internement, il m’a demandé à être euthanasié »
Au sein de l’hôpital public, la psychiatrie fait figure de parent pauvre. Dominique Bergougnoux nous raconte la terrible histoire de son fils.
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© FRED TANNEAU / AFP
Au sein de l’hôpital public, la psychiatrie fait figure de parent pauvre. À raison : recherche en berne, pénurie et manque de formation des personnels. Confrontés à des diagnostics fluctuants et des parcours thérapeutiques contradictoires, patients et familles se retrouvent dans un complet désarroi. Dominique Bergougnoux nous raconte la terrible histoire de son fils.
Je suis la mère d’un garçon de 31 ans, porteur d’un handicap psychique à plus de 80 % et hospitalisé sous contrainte depuis deux ans dans une unité pour malades difficiles (UMD). Il est suivi en psychiatrie depuis l’âge de 16 ans. Sa première hospitalisation s’est faite dans un service pour adultes au milieu de cas lourds. Il mesure 1,93 m et pèse près de 100 kg. Un physique qui l’a desservi dès le début de sa prise en charge.
Au sortir de son adolescence, ce fut un vrai traumatisme. Il a d’abord été diagnostiqué bipolaire. À la suite d’une bouffée délirante aiguë avec crise hallucinatoire à l’âge de 25 ans, il est tombé dans un état de catatonie (immobilité totale, mutisme) dont seuls les ECT (électrochocs) lui ont permis de sortir. Cette crise a donné lieu à une hospitalisation de huit mois dans son secteur des Hauts-de-Seine et à un nouveau diagnostic de troubles schizo-affectifs par le centre expert de Créteil. Il a alors été à peu près stabilisé. Dans les années qui ont suivi, il s’est révélé capable de vivre seul dans un appartement et de s’adonner à ses passions : danse, théâtre, musique et sport.
À l’été 2022, il a exprimé à sa psychiatre son souhait de changer de traitement. Il avait jusque-là une médication antipsychotique puissante. Il avait grossi de 35 kg et son taux de triglycérides était inquiétant. Le changement a été initié en ambulatoire malgré les risques connus lors d’un sevrage. L’arrêt rapide de la clozapine a provoqué le retour d’hallucinations qui a conduit à une nouvelle crise majeure. Il a, dans les mois suivants, été hospitalisé à de nombreuses reprises, le plus souvent à sa demande, mais la politique de gestion des flux imposée aux hôpitaux a conduit à le laisser sortir prématurément plusieurs fois, sans avoir été stabilisé.
Le cercle vicieux est bouclé : hospitalisation sous contrainte, régime dur en UMD, aggravation des symptômes…
Ses voix intérieures lui ordonnaient de se jeter par la fenêtre. Il m’a demandé de le conduire aux urgences pour être soulagé. L’équipe médicale de secteur s’est déclarée au bout de deux mois en « impasse thérapeutique » à force de superposer des traitements sans succès. En l’absence de solutions, de moyens de surveillance et de capacité à gérer un nouveau sevrage, les médecins ont décidé d’envoyer mon fils en UMD.
On m’a expliqué à quel point ce serait « une chance pour lui » car ce type de service était censé avoir des moyens supérieurs à ceux d’un hôpital de secteur. Les UMD sont dédiées à la gestion de malades dangereux – ce que n’était pas mon fils. Là encore, c’est son gabarit qui a influencé cette décision de mise à l’écart. J’ai découvert que l’UMD était un service totalement fermé, et qu’il fonctionne avec un manque cruel de moyens, une équipe insuffisante en nombre et instable, composée d’infirmiers intérimaires et de psychiatres de passage.
Il y a une totale privation de libertés : pas de téléphone mobile, pas d’internet, pas de sorties possibles dans la nature, surveillance de sa chambre 24 h/24 par caméra, accès très limité à des moyens culturels (musique, lecture : 2 heures par jour), deux appels téléphoniques autorisés par semaine, une seule visite autorisée par mois de 2 heures sous surveillance d’un infirmier, interdiction de prendre une photo de mon fils pendant les visites, etc. Le résultat de cet enfermement est contre-productif et débouche sur une stagnation, voire une aggravation de son état.
Je suis révoltée contre ces traitements déshumanisants.
Le placement en UMD s’est refermé sur lui comme un piège. Depuis, il a manifesté des comportements violents. C’est une des conséquences du régime de contrainte extrême et cela « donne raison à son maintien ». Le cercle vicieux est bouclé : hospitalisation sous contrainte, régime dur en UMD, aggravation des symptômes, justification du maintien d’un régime de plus en plus dur. Six mois après son transfert en UMD, mon fils m’a appelé au secours pour demander à être euthanasié.
Je suis révoltée contre ces traitements déshumanisants, qui sont la conséquence d’un manque de moyens dans l’ensemble de la psychiatrie. Je veux alerter sur ce dispositif des UMD, renforcé par Nicolas Sarkozy en 2008 à la suite de faits divers violents commis par des malades. Dix-sept ans plus tard, le fonctionnement de ces structures reste opaque. Leur règlement intérieur échappe à tout contrôle démocratique. D’autres structures intermédiaires entre l’hôpital de secteur et l’UMD devraient être pensées. On ne peut pas condamner un homme de 31 ans à cette vie qui n’en est pas une quand son seul tort est d’être malade et handicapé.
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