Déserts médicaux : une proposition de loi transpartisane contestée par la profession

Alors que son examen parlementaire reprend aujourd’hui, la proposition de loi portée par le député socialiste de Mayenne, Guillaume Garot, très contestée par une partie du corps médical, entend réguler l’installation des médecins. Décryptage d’un texte qui divise.

Juliette Heinzlef  • 6 mai 2025 abonné·es
Déserts médicaux : une proposition de loi transpartisane contestée par la profession
Une affiche de recrutement annonçant des postes de médecins locaux à Saint-Jacut-de-la-mer, dans l'ouest de la France, le 11 avril 2025.
© Damien MEYER / AFP

Le diagnostic des déserts médicaux est depuis longtemps établi. Si l’accessibilité aux spécialistes s’est améliorée entre 2022 et 2023, celle aux médecins généralistes et aux infirmières continue à se dégrader, selon les données de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Au total, 30 % de la population française vivrait dans un désert médical. Un chiffre donné par un rapport sénatorial de 2022, qui montre combien les inégalités territoriales en matière d’accès aux soins nécessitent des solutions concrètes.

Reste le choix du traitement à mettre en œuvre, prompt à générer des esclandres. À la suite de la proposition de loi transpartisane du député socialiste de Mayenne Guillaume Garot, médecins et étudiants n’ont pas tardé à manifester dans les rues de Paris, Lille, Lyon, ou encore Toulouse, mardi 29 avril, après avoir appelé à une grève illimitée. En cause : l’article 1, adopté par l’Assemblée nationale, qui instaure une régulation de l’installation des médecins sur le territoire, les orientant vers les zones où l’offre de soins est insuffisante.

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Concrètement, la mesure conditionne une arrivée à un départ dans les territoires suffisamment dotés. « Cette régulation dit la chose suivante : installez-vous partout ailleurs que là où vos confrères sont déjà en nombre suffisant. Là où vous voudrez, mais là où vos patients vous attendent », expose Guillaume Garot à Politis.

Le financement par l’argent public rend logique les contraintes de services publics.

A. Bontemps

Mais pour beaucoup de médecins, ce conditionnement est considéré comme démotivant. Selon Raphaël Dachicourt, président du syndicat des jeunes médecins généralistes ReAGJIR, « cette mesure est liberticide parce qu’elle vient empiéter sur la liberté d’installation. On sent que c’est la volonté de ces parlementaires que de s’attaquer à ce privilège-là ».

La régulation existe déjà

De quoi déconcerter certains, à l’instar d’Arnaud Bontemps, fondateur du collectif Nos services publics : « À mon sens, le financement par l’argent public rend logique les contraintes de services publics. » Dans un texte publié dans La Tribune Dimanche du 4 mai, 1 500 élus locaux ont également appelé à voter la proposition de loi, rappelant que la régulation de l’installation est « déjà appliquée pour de nombreuses professions de santé » et constitue un « nécessaire levier d’une politique à mener par ailleurs sur tous les fronts. »

En effet, concernant les infirmières libérales, la régulation existe depuis 2012. « La régulation de l’installation infirmier a permis de réduire les écarts entre les territoires les mieux et les moins dotés. Mais les déterminants de l’installation chez les médecins diffèrent. Rien ne garantit que limiter les installations dans les zones ‘mieux dotées’ en générera plus dans les zones problématiques. Les médecins pourraient se retrouver dans les zones intermédiaires », explique Guillaume Chevillard, géographe et maître de recherches à l’Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé (IRDES).

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La raréfaction globale de l’offre des médecins généralistes interroge surtout l’efficacité de cette régulation. « Dans de nombreux territoires les départs en retraite sont supérieurs aux installations. Cette situation va encore durer quelques années, avant que les effectifs ne croissent de nouveau. Une régulation pourrait avoir plus de sens à ce moment-là. »

Raphaël Dachicourt argue dans le même sens : « Le diagnostic est erroné car on a une diminution du nombre de médecins généralistes, en particulier en ville. Les zones soi-disant ‘bien dotées’ ou ‘normo-dotées’ sont sous-dotées également. Je parle d’expérience car je suis installé dans une de ces zones, où un nombre important de patients font part des difficultés à accéder à une consultation. »

Le méli-mélo du gouvernement

En réponse, le gouvernement – hostile à la proposition de loi –, a présenté le 25 avril un plan de lutte contre les déserts médicaux. Ce dernier privilégie, en place d’une obligation, une incitation à l’installation dans les zones les moins dotées. La « mission de solidarité territoriale » devait par ailleurs enjoindre les médecins voisins des zones sous-dotées à effectuer un ou deux jours par mois de consultations dans un désert médical. Ce, contre compensation financière. Mais là encore, l’alternative n’a pas convaincu les syndicats.

Les enquêtes montrent que les incitations financières et les aides à l’installation (…) ressortent le moins dans l’installation des médecins.

G. Chevillard

Le ministre de la Santé Yannick Neuder a rapidement rétropédalé en faisant entendre un discours beaucoup plus pondéré lors de son interpellation sur France 3, le 27 avril. Exit l’obligation, place à « une proposition pour inciter ». Idem sur Public Sénat, le 29 avril, où il mentionne une « obligation collective » avec des « incitations financières prévues ». Avant de poursuivre : « Dans le cas où les mesures incitatives ne fonctionnent pas, nous verrons alors ce qu’il faudra mettre en place. » Une opacité qui contrevient aux évaluations de la littérature scientifique pointant l’inopérance des politiques d’incitation.

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« Les enquêtes menées montrent que les incitations financières et les aides à l’installation sont les paramètres qui ressortent le moins dans l’installation des médecins. Ils vont surtout chercher à équilibrer leur vie professionnelle et personnelle. Or on a, depuis 2005, différentes politiques financières d’aide, des exonérations fiscales, des majorations d’honoraire pour les médecins qui exercent dans les déserts médicaux. Cela coûte beaucoup pour peu de résultat », signale Guillaume Chevillard.

Ouvrir la médecine aux ruraux

L’ensemble de la proposition de loi Garot active d’autres leviers. Parmi eux, « une formation a minima de première année en études de médecine dans chaque département ». L’objectif est de « permettre à des jeunes ruraux ou des jeunes des quartiers populaires de s’engager dans les études de médecine. Chose qu’ils s’interdisent parfois aujourd’hui, en raison de la longueur des études […] Sachant que dès la deuxième année, il y a un contrat d’engagement de services publics, le CESP, qui offre des bourses dédiées aux études médicales pour accompagner ces jeunes », détaille Guillaume Garot.

La diversification des profils avec davantage d’étudiants de zones rurales maximise les chances qu’ils s’y installent plus tard.

G. Chevillard

Cette politique d’ouverture est également partagée par le premier ministre qui propose, pour sa part, d’augmenter le nombre de stage dans les territoires ruraux et d’y ouvrir de nouvelles antennes universitaires. Une idée qu’appuie Guillaume Chevillard, pour qui la démocratisation « peut jouer positivement car les médecins s’installent là où ils grandissent. Parmi les étudiants en médecine, il y a une sous-représentation des étudiants issus des zones rurales. La diversification des profils avec davantage d’étudiants de zones rurales maximise donc les chances qu’ils s’y installent plus tard ».

Quoi qu’il en soit, le chemin parlementaire de la loi Garot est loin d’être terminé. Mais le constat est partagé de tous bords : face à l’hémorragie des déserts médicaux, le temps presse.

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