Ce que « travailler plus » veut dire
Le nouveau « travailler plus » cherche la mise au travail. Une stratégie qui accentue les inégalités et occulte mal un mépris de classe.
dans l’hebdo N° 1864 Acheter ce numéro

Il faudrait travailler plus pour sauver notre modèle social. Il ne s’agit plus du « travailler plus pour gagner plus » version Nicolas Sarkozy, soit l’augmentation des heures supplémentaires. Ce nouveau « travailler plus » cherche la mise au travail. Ce discours s’appuie sur une note du Conseil d’analyse économique (CAE) (1) qui compare les volumes de travail de la France avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis, réputés avoir des « marchés du travail » plus inégalitaires.
CAE « Objectif “plein-emploi” : pourquoi et comment ? », Focus n° 110, 2025.
Ici, la durée du travail annuelle se rapporte aux habitants de 16 à 74 ans et mélange ainsi deux phénomènes distincts : la durée du travail en emploi encadrée par des dispositifs juridiques et le taux d’activité (rapport entre le nombre d’actifs et l’ensemble de la population correspondante) des différentes catégories de la population. Or les taux d’activité sont déterminés par les rapports sociaux de genre, de production et d’éducation.
Selon cette note, la France travaillerait 100 heures de moins que l’Allemagne. L’écart s’explique presque en totalité par des taux d’activité des jeunes et des seniors plus élevés en Allemagne, et par la faible durée du travail des travailleurs moins diplômés en France. Or l’« offre » de travail n’est pas une question de choix, mais le résultat de rapports sociaux.
On anticipe facilement que cette partie de la jeunesse qu’il faudrait mettre au travail rapidement appartient aux classes populaires.
En France, la montée du niveau d’éducation initiée dans les années 1980 s’est appuyée sur un modèle généraliste fondé sur des universités publiques gratuites. En Allemagne et au Royaume-Uni, l’enseignement supérieur est plus restrictif, voire payant. Une partie plus importante de la jeunesse ne fait pas d’études supérieures et est donc plus fréquemment en activité.
Doit-on limiter l’accès aux études supérieures d’une partie de notre jeunesse afin d’augmenter les taux d’emploi et d’activité ? Étant donné la forte reproduction sociale du système éducatif, on anticipe facilement que cette partie de la jeunesse qu’il faudrait mettre au travail rapidement appartient aux classes populaires. Cette mise au travail est donc inégalitaire.
La faible durée du travail des moins diplômés est le résultat des dynamiques productives et de quatre décennies de flexibilisation de l’emploi. La transformation des modes de production liée à la globalisation, la numérisation et l’automatisation a détruit les emplois intermédiaires au profit des emplois plus qualifiés. Les conditions de travail dans les emplois les moins qualifiés, surtout dans les services, se sont dégradées sous l’effet du développement des temps partiels et des contrats courts.
Enfin, la note du CAE pointe une durée du travail des femmes inférieure à celle des hommes. Les activités familiales sont toujours assurées majoritairement par les femmes, ce qui limite leur temps de travail. Mais faut-il chercher à augmenter ce temps en favorisant les emplois de garde d’enfants ou de ménage ? Qui garde les enfants et fait le ménage ? Les femmes issues des milieux populaires qui n’ont pas fait d’études, ce qui redouble les inégalités du rapport de production. Ne faut-il pas plutôt choisir enfin l’égalité et obliger les hommes à prendre en charge les activités familiales ?
La stratégie du « travailler plus » accentue les inégalités et occulte mal un mépris de classe.
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