« Daria », à la guerre comme à l’amour
Dans ce roman autobiographique, Ada D’Adamo confie ses joies et ses tourments de mère d’une enfant handicapée.
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Daria / Ada d’Adamo / traduit de l’italien par Nathalie Bauer / Grasset, 240 pages, 20,90 euros.
Un récit en clair-obscur. Ada D’Adamo est gravement malade et passe ses derniers mois à écrire pour témoigner du combat de sa vie : rendre l’existence de sa fille polyhandicapée plus légère. Rien n’avait préparé cette danseuse contemporaine, décédée trois mois après la publication de son livre dans son pays, l’Italie, à l’expérience de maternité qui l’attendait.
Tout est à apprendre au jour le jour dans ce « combat » pour lequel les comparaisons guerrières ne sont pas galvaudées. Pourtant, dans cette douloureuse traversée écrite à la première personne, éclate tout l’amour parental porté à cette jeune Daria. Une odyssée rythmée par des saynètes plus légères de rencontres avec d’autres enfants qui ont l’art de présenter la réalité sous un nouveau jour.
Les chapitres concentrés sur Daria avancent de manière linéaire, permettant d’observer ce nouveau-né devenir jeune femme, contrairement à ceux qui s’attardent sur le parcours d’Ada uniquement – son accouchement, son premier amour, des bribes d’enfance, la danse ou son couple –, sa fille constituant ainsi la colonne vertébrale de cette autofiction. Cette construction littéraire permet également d’imbriquer la vie de l’une dans celle de l’autre, tels des miroirs.
Des existences qui finiront d’ailleurs par se lier encore davantage dans l’expérience de la maladie. Il faut alors tâcher de trouver des éclats de vie auxquels s’accrocher, même lorsque le corps fatigué sépare plus qu’il n’unit. « Chaque maladie brise un équilibre », résume l’autrice. En effet, de son côté, la fatigue et sa fragilité nouvelle l’empêchent de porter sa fille comme auparavant et l’éloignent malgré elle. Tandis que, pour Daria, les appareils sophistiqués servant à la maintenir forment un obstacle croissant à l’étreinte maternelle.
« Handicapée par procuration »
À cette solitude physique s’ajoute l’éloignement des proches et « des autres ». L’autrice se sent progressivement devenir une « handicapée par procuration ». Un phénomène qu’elle observe aussi chez les parents d’autres enfants malades. Or, loin de se complaindre, Ada d’Adamo rend compte de cette ostracisation par une langue simple et précise, empruntant parfois à la prose poétique lorsque le langage commun se montre impuissant. Même dans la solitude, son attention portée à la beauté, que ce soit celle du geste, de la littérature ou des corps, agit comme de brefs moments de répit, aussi bien dans son quotidien que pour les lecteurs.
Plusieurs chapitres exposent crûment l’accueil que la société réserve aux personnes polyhandicapées.
Mais gare à ne pas réduire ce récit à sa dimension intime. Plusieurs chapitres exposent crûment l’accueil que la société réserve aux personnes polyhandicapées. Qu’il s’agisse de la froideur du personnel médical, de l’énergie délirante, mais indispensable, pour faire respecter les lois d’inclusion – tout particulièrement à l’école – ou des jugements incessants d’inconnus, le portrait du système est glaçant. Tant qu’il en devient lassant pour cette mère à bout de souffle, fatiguée de toujours renouveler le combat et d’ouvrir de nouveaux fronts.
D’autant que le droit à disposer de son corps et à avorter est aussi une zone à défendre qu’Ada D’Adamo souhaite investir. Un autre pavé dans la mare jeté sans complexe par l’autrice, qui relate en détail son expérience ainsi que sa tentative ratée de « fausse couche volontaire ». D’ailleurs, n’y aurait-elle pas sérieusement songé une nouvelle fois si elle avait su que sa fille, si désirée, portait en elle le germe de tant de douleurs et d’heures passées à l’hôpital ?
C’est la question qu’elle pose avec subtilité dans un manifeste publié par le quotidien La Repubblica, qui lui vaudra aussi bien des remerciements et des centaines de témoignages que des menaces et des insultes de la part de ceux qui ne souhaitent pas entendre l’ineffable difficulté d’une relation pourtant portée par un amour infini. Ni les nuits blanches ni la solitude n’annihilent ces moments de bonheur à l’intensité insoupçonnée. Ils sont au service l’un de l’autre, tels des camarades de combat.
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