Musique et panafricanisme
Portrait croisé de la chanteuse Miriam Makeba et de l’activiste Stokely Carmichael, Un couple panafricain d’Elara Bertho apporte un éclairage original sur l’histoire du panafricanisme.
dans l’hebdo N° 1864 Acheter ce numéro

© AFP FILES / AFP
Un Couple panafricain. Miriam Makeba et Stokely Carmichael en Guinée, Elara Bertho, éditions Ròt-Bò-Krik, 160 pages, 13 euros.
Kinshasa, octobre 1974, en marge du combat qui oppose Mohamed Ali à George Foreman, un concert célébrant l’amitié panafricaine est organisé. Au programme, des stars de la musique noire américaine, Bill Withers, BB King, James Brown et une chanteuse sud-africaine, apôtre des arts africains et militante contre l’apartheid : Miriam Makeba.
Sur scène, dans un français parfait, Makeba introduit la chanson « Qongqothwane » en fustigeant les colonisateurs qui, dans son pays, du fait de la prononciation de certains mots en langue xhosa, apposent à ce répertoire le nom péjoratif de « click song ». À Kinshasa, la multilingue Miriam Makeba défend la noblesse des langues africaines et invite ses auditeurs, des Zaïrois indépendants depuis une décennie, à préserver leur héritage culturel.
Depuis 1967, Miriam Makeba vit en Guinée. En 1959, elle a dû quitter l’Afrique du Sud après sa participation à un film dénonçant l’apartheid. Elle voyage, en Europe, puis aux États-Unis, où elle remporte un Grammy Award pour sa collaboration avec le chanteur, acteur et activiste Harry Belafonte.
Invitée en 1967 par Sékou Touré, président de la Guinée, Miriam Makeba décide alors de rester sur le continent africain, commentant son exil par ces mots : « Chaque fois que je retourne en Afrique, c’est comme si je renaissais. Mais c’est une expérience douce-amère car je ne peux pas vraiment rentrer chez moi. Des gens comme le président Touré le savent et ils ont le grand plaisir de m’adopter. »
En Guinée, Miriam Makeba se lie avec un activiste à la pensée politique complexe : Stokely Carmichael. Carmichael est né à Trinidad, mais c’est aux États-Unis que se développe sa carrière de militant. À l’université de Howard à Washington, il devient membre du Student Nonviolent Coordinating Committee, mouvement phare de la lutte pour les droits civiques, puis rejoint le Black Panther Party.
En 1967, il rédige avec Charles V. Hamilton Black Power, un livre incontournable dans lequel il décrit la communauté noire américaine comme une colonie interne aux États-Unis, exploitée politiquement et économiquement, régie par un racisme institutionnel, et invite par conséquent ses membres à rejoindre les luttes anticoloniales qui animent le continent africain.
Traqué par le FBI, Stokely Carmichael décide de mener son combat depuis l’Afrique et rejoint la Guinée, où un autre militant du panafricanisme est en exil : l’ancien président du Ghana, Kwame Nkrumah. À Conakry, Miriam Makeba et Stokely Carmichael vont vivre une idylle d’une dizaine d’années. Makeba est très présente dans la presse locale et chacun entretient des relations étroites avec le gouvernement de Sékou Touré.
Multiplicité
Court récit d’un peu plus de cent pages, Un couple panafricain d’Elara Bertho revient sur cette histoire d’amour faite de politique, d’art et de militantisme. À travers les trajectoires de Miriam Makeba et Stokely Carmichael, le livre évoque une multiplicité de mobilités qui, entre les années 1960 et 1980, ont redéfini les relations entre Afrique et Amérique, diaspora noire et habitants du continent, politique de luttes contre le racisme et construction de nations indépendantes en Afrique.
Elara Bertho s’interroge avec finesse sur la circulation d’idées entre nationalisme culturel africain et activisme africain-américain.
Depuis la Guinée, et là est toute son originalité puisque ce pays est trop souvent délaissé dans le récit panafricain, Elara Bertho s’interroge avec finesse sur la circulation d’idées entre nationalisme culturel africain et activisme africain-américain, et sur le rôle de l’art, de la danse et de la musique en particulier, dans ces échanges et dans la propagande d’État.
Elle décrit la richesse culturelle et idéologique née de ces brassages sans toutefois manquer de soulever la passivité de Makeba et Carmichael face aux dérives autoritaires et meurtrières de Sékou Touré. Histoire incarnée, originale, simple dans sa formulation mais riche d’enseignements, Un Couple panafricain est une entrée idéale pour quiconque s’intéresse aux rouages du panafricanisme et aux dialogues complexes entre art et politique dans ce contexte.
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