Dans le Lot, loin des maternités, elles luttent pour donner la vie
Dans ce département avec le taux de mortalité infantile le plus élevé de France, il ne reste plus qu’une maternité. Un grand nombre de femmes, qui doivent faire plusieurs kilomètres de route pour l’atteindre, sont contraintes de s’adapter. Leur sage-femme libérale est désormais leur ultime soutien de proximité.
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© Élisa Centis
Le cabinet de sages-femmes de Lacapelle-Marival, un village lotois de 1 200 habitants, est à une heure de la maternité la plus proche. Avant que Nathalie Charbonnier ne décide de quitter l’hôpital et de s’y installer, en 2014, il n’y avait plus aucune sage-femme libérale dans le secteur. « Personne ne venait jusqu’ici pour assurer les Prado [programmes d’accompagnement au retour à domicile, N.D.L.R.] », se souvient l’énergique praticienne de 53 ans, aux grandes lunettes rondes.
« J’ai fait tout le suivi ici. Je ne suis allée à Cahors qu’une fois pour l’inscription à la maternité », glisse, reconnaissante, Précilla, 23 ans, les mains posées sur son ventre rond. « Pour ma première fille, j’ai fait le suivi là-bas. Mais le trajet est fatigant. » La jeune femme habite à une heure du chef-lieu du Lot. « Quand on est enceinte, on est déjà épuisée. En ce moment, je fais pipi six fois par nuit, je n’arrive pas à dormir », confie la jeune femme sans se départir de son rire.
Dans la salle d’examen, les battements de cœur de son bébé résonnent. Précilla achève son dernier monitoring. Ce lundi 5 mai, la poche des eaux s’est rompue. Une fois la consultation terminée, elle va rentrer chez elle, à quelques minutes d’ici en voiture, et attendre son mari, qui la conduira à Cahors.
Jusqu’au dernier jour de sa grossesse, Précilla a pu conduire et se rendre seule aux rendez-vous. Mais, en zone rurale, 20 % des femmes n’ont pas de voiture, selon la revue Transrural Initiatives. À 20 minutes d’ici, à Gramat, un autre bourg lotois où Nathalie Charbonnier réalise des consultations, la sage-femme rappelle à Léana* de faire une prise de sang.
Les prénoms suivis d’une astérisque ont été modifiés.
« On devait y aller, mais la voiture de mon copain est tombée en panne », s’excuse la future mère, âgée de 18 ans. Léana n’a pas le permis. Depuis le début de sa grossesse, elle bataille pour se rendre à chaque rendez-vous. « Ce n’est pas facile de se déplacer, commente la jeune femme brune enceinte de 7 mois. Je dois toujours faire en fonction de ceux qui peuvent m’accompagner. »
Léana habite au cœur du parc naturel régional des Causses du Quercy, à Rocamadour. Pour la transporter sur ces routes en lacets, elle compte le plus souvent sur sa mère. « Mais par exemple, il y a quelques semaines, elle a dû partir à un rendez-vous en urgence, raconte Léana, toujours émue par ce qui aurait pu être un incident dans le déroulement de sa grossesse. Heureusement qu’une amie était là, car c’était très compliqué de décaler. La sage-femme n’avait pas de disponibilité avant plusieurs semaines. J’ai eu une chance inouïe », termine-t-elle dans un grand sourire.
17 % de hausse de la mortalité en treize ans
Dans les cas de grossesse difficile, un suivi avec la sage-femme de proximité ne suffit pas. Munie de porte-documents de différentes couleurs, Wendy, 30 ans, enceinte de jumeaux, enchaîne les consultations. La jeune femme, souffrant d’hyperthyroïdie, doit sillonner deux départements : « J’ai mon endocrinologue et mon cardiologue à Villefranche-de-Rouergue [en Aveyron, N.D.L.R.]. Le gynécologue aussi. Ma sage-femme échographiste est à Figeac [dans le Lot] et mon suivi à Lacapelle. » Le cabinet de Nathalie Charbonnier est à quelques minutes de chez elle, mais l’hôpital de Villefranche est à une heure et le cabinet d’échographie à 25 minutes.
La part de femmes résidant à plus de 45 minutes d’une maternité a augmenté de 40 % depuis 2000.
Avant 2009, il y avait une maternité plus près, à Figeac. Cet établissement, comme d’autres petites structures, a été victime d’une logique qui s’est accentuée avec l’application de décrets rédigés en 1998. Pour des raisons de sécurité, les maternités faisant moins de 300 accouchements par an ont dû cesser leurs activités. De nombreuses maternités ont fermé, éloignant les femmes enceintes des structures qui leur sont dédiées. Selon une étude de la Drees de 2021, la part de femmes résidant à plus de 45 minutes d’une maternité a augmenté de 40 % depuis 2000.
Cet éloignement est pointé du doigt par Anthony Cortes et Sébastien Leurquin dans 4,1. Le scandale des accouchements en France (Buchet-Chastel, 2025). Les deux journalistes s’y interrogent sur les différentes origines de la hausse de la mortalité infantile. En France, en un peu moins de quinze ans, le phénomène a augmenté de 17 %, passant de 3,5 décès pour 1 000 naissances en 2011 à 4,1 décès pour 1 000 naissances en 2024. « La distance entre la maison et la maternité constituerait bien une réduction des chances de survie en cas de complications », suggèrent les auteurs, qui se sont particulièrement intéressés au Lot.
Le département, qui a perdu trois maternités sur quatre en quinze ans, affiche le taux de mortalité infantile le plus élevé de l’Hexagone (6,2 décès pour 1 000 naissances). Vendredi 16 mai, les parlementaires ont adopté une proposition de loi, à l’initiative du groupe Liot, instaurant un moratoire de trois ans sur la fermeture des maternités.
Installée depuis 2014, Nathalie Charbonnier estime manquer de recul en ce qui concerne l’augmentation de la mortalité infantile. À ses yeux, les femmes qu’elle suit souffrent surtout d’une « absence de diversité adéquate de médecins ». Le problème est particulièrement prégnant s’agissant des nourrissons. Pour le nord du Lot, il n’y a que deux pédiatres, le médecin de la protection maternelle infantile (PMI) et, une fois tous les quinze jours, un pédiatre qui tient une permanence à l’hôpital de Saint-Céré.
Je connais une mère qui, pour ses deux enfants, n’a pas eu le temps d’arriver à la maternité.
Claire
Si le sujet de la mortalité infantile et de ses causes fait encore débat, dans le Lot, les femmes font clairement le lien entre la distance et les accouchements inopinés. « Je connais une mère qui, pour ses deux enfants, n’a pas eu le temps d’arriver à la maternité », confie Claire, 38 ans, à la sortie du cabinet de Lacapelle-Marival. « On en connaît une qui a accouché dans la voiture », assurent à leur tour Marie et Thibaut, 31 et 32 ans, dans l’attente de leur deuxième enfant.
Dès le premier cours de préparation à la naissance, Nathalie Charbonnier entend souvent les mêmes questions : « Quand est-ce que je dois partir si j’ai une heure de route ? Qu’est-ce qu’on fait si cela arrive en chemin ? » À la gestion de la distance, s’ajoute l’angoisse d’être livrée à soi-même au moment le plus important.
Un suivi psy après les accouchements inopinés
Pour donner les premières consignes, et venir en aide aux sapeurs-pompiers, Nathalie Charbonnier a proposé ses services trois mois après son installation comme sage-femme libérale. Avec trois autres sages-femmes lotoises, elle forme les pompiers du département et assure une astreinte téléphonique. Si un accouchement imprévu survient, la sage-femme de garde est contactée.
« Il y a deux mois, les pompiers m’ont transféré l’appel d’un homme. Il était en voiture avec sa femme. Je leur ai dit de s’arrêter. Puis, j’ai entendu la dame pousser. Le bébé était là », raconte Nathalie Charbonnier, tout en avalant sa gamelle, pendant la courte pause déjeuner qu’elle s’octroie. « Ensuite, j’ai donné les consignes : sécher le bébé, le mettre en peau à peau, se mettre en sécurité, fermer les vitres et mettre le chauffage à 20 °C, puis attendre les pompiers et le Smur. » Ces quelques conseils peuvent sauver une vie. S’ils ne sont pas appliqués, « une détresse respiratoire peut se développer chez le nouveau-né », prévient-elle.
On nous dit ‘réarmez la France‘ et en même temps ‘débrouillez-vous’.
Précilla
Nathalie Charbonnier a tenté d’obtenir des chiffres sur l’évolution de ces accouchements inopinés. « J’ai demandé au service départemental d’incendie et de secours et aux centres de protection maternelle et infantile [PMI], mais personne ne les a », souffle la sage-femme qui, entre ses consultations et l’aide qu’elle apporte à son mari agriculteur, prépare aussi un diplôme universitaire « 1 000 jours, santé mentale et psychopérinatalité ».
Dans son mémoire, elle s’interroge sur ce qu’il serait possible de faire pour améliorer l’accompagnement des femmes et de leurs maris à la suite de ce type d’événement. « On dit aux femmes : “Bravo, vous avez accouché comme une reine”, mais derrière il n’y a pas forcément de suivi psy », raconte la quinquagénaire, qui ne cache pas son irritation. « La violence » de ces accouchements est sous-estimée, selon elle : « Il ne faut pas oublier que parfois, il y a aussi les enfants à l’arrière de la voiture. »
Surtout, certains voudraient encore aller plus loin. En février 2023, l’Académie de médecine a rédigé un rapport, cité dans 4,1, qui plaide pour la fermeture des établissements réalisant moins de 1 000 accouchements. Dans ce cas, les maternités de Cahors et de Villefranche-de-Rouergue fermeraient. Même si ce n’est qu’une proposition, elle fait immédiatement réagir Précilla peu avant son départ à la maternité.
« C’est du foutage de gueule, lance-t-elle sur un ton mêlant stupéfaction et énervement. On nous dit “réarmez la France” et en même temps “débrouillez-vous”. » À côté, Nathalie Charbonnier, qui a eu trois enfants, renchérit : « Si j’avais dû aller à Toulouse pour mon deuxième enfant, il serait né dans la voiture. Cette proposition est complètement décorrélée de la réalité. » Précilla espère que l’établissement cadurcien restera ouvert pour permettre à d’autres femmes d’accoucher dans le département. Dans la nuit du 5 au 6 mai, c’est là, dans la dernière maternité du département, qu’elle a donné naissance à une petite fille.
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