Licenciée trois fois en six mois, une aide-soignante gagne son combat contre un Ehpad
Astrid, salariée à la Villa d’Avril, Ehpad privé en Moselle, a été réintégrée par décision des prud’hommes après une série de licenciements abusifs. Une victoire importante face aux dérives managériales documentées au sein des établissements de soin.

© SEBASTIEN BOZON / AFP
« J’ai pleuré. De joie. J’étais trop contente. » Au bout du fil, Astrid a du mal à contenir son soulagement. L’aide-soignante de 59 ans vient d’apprendre que le juge des prud’hommes de Forbach en Moselle a tranché en sa faveur. Son employeur, l’Ehpad privé la Villa d’Avril, appartenant au groupe Colisée, est obligée de la réintégrer à son poste, après avoir tenté de la licencier à trois reprises en l’espace de six mois.
Rappel des faits. Depuis août 2024, Astrid, aide-soignante au sein de la Villa d’Avril, un Ehpad privé du groupe Colisée, vit un véritable enfer au travail. En six mois, son établissement l’a d’abord licenciée pour faute grave. Un licenciement illégal du fait du statut protégé dont bénéficiait la salariée, candidate pour devenir représentante de proximité dans son établissement.
Réintégrée quelques semaines plus tard – juste après les élections – Astrid est, de nouveau, licenciée pour le même motif. Un licenciement cette fois rejeté par l’inspection du travail. Plutôt que de la réintégrer, son entreprise décide alors de muter Astrid à près de 80 kilomètres de son domicile. L’aide-soignante conteste cette mutation. Au vu de la dégradation de son état psychologique, elle est alors placée en arrêt maladie. Trois semaines après le début de son arrêt, elle est de nouveau licenciée, cette fois pour « absences répétées ».
La dénonciation des conditions de travail dans le viseur de la direction ?
Qu’est ce qui a pu se passer pour que la situation dégénère ainsi, au point que la salariée la qualifie désormais « d’acharnement » ? Astrid travaille pour la Villa d’Avril depuis plus de 3 ans. Jusqu’en août 2024, ces entretiens annuels sont très bons. Pour elle, cela ne fait donc aucun doute : c’est sa candidature pour devenir représentante de proximité qui a mis le feu aux poudres.
Ce matin […] j’ai remarqué qu’aucun résident n’a été changé la nuit. Les résidents sont donc souillés de la tête aux pieds, frigorifiés.
D’autant plus que l’aide-soignante alertait depuis plusieurs mois sur une dégradation visible de ses conditions de travail. « Ce matin […] j’ai remarqué qu’aucun résident n’a été changé la nuit. Les résidents sont donc souillés de la tête aux pieds, frigorifiés. Cette négligence m’oblige à faire double travail. […] Il est compliqué pour moi de continuer à travailler dans de telles conditions. Je vous remercie de prendre en compte mon mail », avait-elle, par exemple, écrit à ses supérieurs, avec une élue membre du comité social et économique (CSE).
Des licenciements jugés abusifs
Dans le jugement, que Politis a pu consulter, les prud’hommes de Forbach ont donné raison sur tous les points à la salariée. La mutation forcée de l’aide-soignante constitue ainsi « une violation délibérée de la décision de l’inspecteur du travail ». Son dernier licenciement, pour « absences répétées » après seulement trois semaines d’arrêt maladie, « est fondé sur [l’] état de santé [de la salariée] et non sur une prétendue désorganisation objective de l’entreprise » et constitue donc un « trouble manifestement illicite qu’il importe de faire cesser ».
Le jugement va même plus loin, pointant du doigt « l’intention délibérée » de l’employeur. « Il doit également être relevé que cette procédure de licenciement a été engagée dès le 4 mars 2025, soit 4 jours à peine après la fin de la protection de 6 mois prévue par l’article L2411-9 du Code du Travail, ce qui démontre l’intention délibérée de l’employeur de rompre le contrat de travail [d’Astrid] y compris en se fondant sur son état de santé. »
« Une victoire importante contre la répression »
En conclusion, les prud’hommes ordonnent donc la réintégration de l’aide-soignante à son poste, dans son établissement initial, dans un délai de 10 jours. L’Ehpad devra payer 200 euros par jour s’il ne respecte pas cette décision. « C’est une victoire importante contre la répression », se félicite Romane Bartoli, l’avocate de la salariée. Contactée, la direction de la Villa d’Avril n’a pas donné suite à notre sollicitation. L’établissement peut faire appel du jugement, mais celui-ci n’est pas suspensif. Un recours de la décision de l’inspection du travail auprès du ministère du Travail est également en cours.
Les conditions de travail qui ne sont toujours pas améliorées selon les dires de mes collègues.
Astrid
En attendant les suites administratives et judiciaires, l’aide-soignante est, elle, heureuse de pouvoir reprendre son travail. Même si elle confie « stresser à mort ». De l’attitude de la direction à son égard ? « Absolument pas ! Mais des conditions de travail qui ne sont toujours pas améliorées selon les dires de mes collègues. Donc je m’attends à ce que ce soit toujours aussi difficile. » Pour continuer de pouvoir se battre pour améliorer lesdites conditions, Astrid s’est d’ores et déjà présentée pour être conseiller des salariés. Elle est aussi désormais syndiquée à la CGT. Cet « acharnement » ne l’aura donc pas fait taire.
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