Comment les pro-Netanyahou colonisent le langage médiatique

Galaxie Bolloré, chaîne d’infos en continu ou incursion dans l’audiovisuel public, la propagande du premier ministre israélien et de son armée continue d’envahir les médias français, non sans une relative vigilance des sociétés de journalistes.

Hugo Boursier  • 20 juin 2025
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Comment les pro-Netanyahou colonisent le langage médiatique
© Montage : Maxime Sirvins

Quarante-huit heures pour prendre le soin de bien tout répéter. D’utiliser les mêmes mots, de faire ricocher les mêmes éléments de langage. Lundi 16 juin, Laurence Ferrari calque son édito dans « Punchline », son émission quotidienne sur CNews, sur le discours qu’a tenu Benyamin Netanyahou, après les premiers bombardements lancés sur l’Iran, dans la nuit de jeudi à vendredi 13 juin. Quand le premier ministre israélien parle d’une « menace claire et immédiate pour la survie même d’Israël », la porte-voix de la galaxie Bolloré alerte sur « la survie du seul État démocratique du Moyen-Orient qui est en train de se jouer ».

D’un côté, l’Iran travaillerait sur « un nouveau plan pour détruire Israël », de l’autre, Ali Khamenei réclamerait « l’éradication d’Israël de la surface de la Terre ». En « nous défendant, nous défendons aussi les autres », argue l’architecte du génocide à Gaza, Israël « se bat pour une certaine conception de la civilisation, la nôtre », insiste celle qui est aussi rédactrice en chef politique de Paris Match. « C’est le seul moment où je dis, moi, ce que je pense », justifiait-elle sur l’autre satellite bolloréen, Europe 1, le 17 juin. Dans les faits, Laurence Ferrari pense très souvent comme Benyamin Netanyahou.

CNews adoubé

Une copie conforme qui est même félicitée par Diaspora Defense Forces (DDF). Le 27 mai, lors d’un gala organisé par cette association qui défend les intérêts d’Israël en France et dont le porte-parole de Tsahal, Olivier Rafowicz, était « le grand parrain », la DDF a remis à « l’invitée d’honneur », Laurence Ferrari, un « trophée » des « justes du 7-Octobre » (1).

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Le député insoumis de Paris, Aymeric Caron, a annoncé avoir saisi la procureure de la République de Paris, au sujet de ce gala faisant, selon lui, une « apologie de crimes d’atteinte à la vie, apologie de crimes de guerre, apologie de crimes contre l’humanité, voire complicité desdits crimes ».

L’animateur de cette soirée, Olivier Benkemoun, est aussi présentateur sur CNews. Le « trophée des justes » vise à récompenser celles et ceux qui ont « continué à défendre Israël au lendemain de la pire attaque islamique [sic] depuis le XXIe siècle », comme l’a noté Arrêt sur images. Le publicitaire, communicant de Nicolas Sarkozy en 2007 et fondateur de l’association, Frank Tapiro, n’a pas manqué de féliciter CNews pour son traitement médiatique sur Israël et Gaza.

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Le système Bolloré a ouvert les vannes du soutien au gouvernement israélien, et dans cette logorrhée complice, le mot de « génocide » est scrupuleusement interdit. Soit il est totalement absent – Laurence Ferrari ne l’a jamais utilisé. Soit il est immédiatement contesté lorsqu’il est à peine prononcé. Mis en débat, minimisé à un « conflit entre Israël et le Hamas ». Mais cette bataille rhétorique ne se limite pas à celle orchestrée par CNews, Europe 1 ou le JDD.

La fable d’un ‘génocide à Gaza’ est le plus gros mensonge du XXIe siècle.

R. Enthoven

D’autres la mènent aussi vaillamment, à l’instar du « philosophe » Raphaël Enthoven. Le chroniqueur n’est pas avare en désinformation sur la situation en Palestine. Mais l’on peut citer un tweet, parmi d’autres : « La fable d’un ‘génocide à Gaza’ est le plus gros mensonge du XXIe siècle. Il y a juste une guerre, qui cessera le jour où le Hamas rendra les otages et les armes. » Faire commencer la guerre menée par Israël à partir du 7-Octobre est un refrain habituel pour l’hebdomadaire Franc-Tireur, qu’il a confondé.

Faire « attention au mot » de génocide

La négation de l’histoire coloniale dans laquelle s’inscrit la guerre à Gaza est habituelle. Sur les plateaux de télévision, le rappeler peut s’avérer risqué. « La configuration des débats n’est pas de nature à pouvoir exposer ces faits établis », pointe le député insoumis de Seine-Saint-Denis Thomas Portes, qui avait proposé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les ingérences politiques du lobby pro-Netanyahou, Elnet. Le groupe d’influence a payé des allers-retours pour Jérusalem à des parlementaires français, mais aussi à des journalistes. « Ils se font le relais du gouvernement du premier ministre israélien. »

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La directrice de la rédaction de Franc-Tireur, Caroline Fourest, préfère, de son côté, faire « attention au mot » de génocide afin d’éviter de sombrer dans le « populisme sémantique ». Dans sa chronique hebdomadaire dans « 24 H Pujadas », sur LCI, le 28 mai, la journaliste tente une bien difficile acrobatie rhétorique. « Je vais tenter une pédagogie dont je ne sais pas si elle est encore possible dans l’époque que nous vivons », avertit-elle, d’un air grave.

Caroline Fourest commence par entamer un large détour : « Même si le ratio combattants/morts civils est le même que dans toutes les guerres, dont celle que nous avons menée contre Daesh [sans citer de source, N.D.L.R.], même si la pause humanitaire a été de courte durée et que 100 camions sont entrés dans Gaza pour finalement ravitailler la population, commence-t-elle, ça reste une guerre d’une violence absolue », finit-elle par concéder.

Des alertes balayées

Pour l’éditorialiste, il s’agit surtout d’une « volonté d’employer un mot plus fort [pour que] les gens [réalisent] la violence de cette riposte qui n’a que trop duré ». Une exagération délibérée pour susciter l’émotion. L’interprétation a de quoi choquer, surtout lorsque l’on constate que le mot de génocide est employé trois mois seulement après le début des bombardements, à la suite du 7-Octobre, en décembre 2024, dans un rapport d’Amnesty International. Puis en mars 2024, par la Rapporteure spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens.

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Un an plus tard, en mars dernier, cette fois-ci par la commission d’enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Enfin, au Conseil de sécurité, par le chef de l’humanitaire de l’ONU, deux semaines avant la chronique de Caroline Fourest.

Malgré les rapports, les alertes onusiennes, les enquêtes journalistiques, Caroline Fourest, s’interroge : « Est-ce que le mot convient à des bombardements non-ciblés, ou mal-ciblés, qui visent des cadres du Hamas mais qui peuvent taper des écoles où il y a des armes, tuer des enfants utilisés comme bouclier humain ? »

Israël n’a pas mis fin à l’aide humanitaire définitivement à Gaza, elle a fait une pause pour réorganiser cette aide.

C. Fourest

La minimisation des actes génocidaires se poursuit quelques semaines plus tard, le 10 juin, lorsque Caroline Fourest évoque le blocus humanitaire, constitutif d’une famine organisée portant un grave danger pour les enfants, comme le déplorait l’Unicef. « Israël n’a pas mis fin à l’aide humanitaire définitivement à Gaza, elle a fait une pause pour réorganiser cette aide de façon à ce qu’elle arrive aux populations gazaouies et pas directement au Hamas et à ses tunnels », explique-t-elle, en précisant que c’était ainsi qu’Israël justifiait cette décision, et que l’on « n’était pas obligé d’être d’accord ».

Le novlangue technique qui édulcore la réalité

Cette interprétation des bombardements israéliens trouve d’autres échos, que ce soit sur BFMTV ou le service public. Comme l’a précisément relevé une précieuse enquête d’Acrimed, plusieurs médias sont devenus adeptes d’un novlangue technique pour éviter de parler des actes guerriers menés par Israël. « Agrandissement des opérations militaires », pour BFM, le 5 mai, « plan d’expansion offensive » à Gaza sur TF1, le même jour, « évacuation stratégique et méthodique » sur France 2, le surlendemain.

Le site critique des médias examine aussi la construction de l’information auprès du JT de la chaîne publique. Laquelle reprend à plusieurs reprises les éléments de langage de l’armée israélienne. Notamment le 14 mai, lorsque le 20 heures évoque le bombardement de l’hôpital européen à Khan Younès et précise qu’il couvrait un « centre de commandement du Hamas », sans que la rédaction n’ait de « confirmation de sa présence ».

Les diversions techniques pour déshumaniser la mort de la population palestinienne s’accompagnent aussi d’un autre outil : « l’humour ». Pas tant pour minimiser la gravité de la situation à Gaza que pour cibler les personnes souhaitant alerter sur celle-ci. Ce fut le cas avec l’humoriste Sophie Aram, dans sa chronique sur France Inter du 16 juin. Pendant plus de 3 minutes, celle-ci ironise sur le sort réservé aux centaines d’Européens partis rejoindre la Marche pour Gaza, tout en ciblant l’eurodéputée insoumise Rima Hassan et la militante écologiste Greta Thunberg, toutes deux membres de l’équipage du Madleen et arrêtées par la marine israélienne avant d’être expulsées vers la France. La SDJ du Parisien, dans lequel la chronique a d’abord été publiée, accuse Sophie Aram de « racisme ».

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Une autre SDJ, celle de BFMTV et de RMC, dénonce une série de propos de la part de l’enseignante et essayiste Barbara Lefebvre. D’abord, au fameux gala de la DDF où l’on retrouvait Laurence Ferrari, fin mai. La chroniqueuse régulière des « Grandes Gueules » sur RMC organisait un « quiz durant lequel il était proposé au public de deviner la part de civils gazaouis morts depuis le début de la guerre ». Mais aussi en février, sur la chaîne israélienne i24 News, où l’habituée d’Alain Marschall et Olivier Truchot a conseillé de « décider une bonne fois pour toutes que la bande de Gaza doit devenir une zone vierge ». « Il faut que ces gens-là aillent vivre ailleurs », ajoutait-elle. Elle peut aussi, avec sa clique qui nie le génocide, quitter les plateaux de télé.

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