Égypte : la Marche pour Gaza bloquée

Après plusieurs semaines de négociation à distance, la mobilisation internationale pour rejoindre Gaza a finalement été bloquée. Selon les organisateurs, plus de 4 000 personnes venues de 80 pays s’étaient retrouvées ce 12 juin au Caire afin de rejoindre Rafah et le point de passage pour Gaza afin de faire lever le blocus de l’aide humanitaire.

Édith Bouvier  • 16 juin 2025
Partager :
Égypte : la Marche pour Gaza bloquée
Les autorités égyptiennes n'ont pas vu pas les rassemblements d’un bon œil et déployé leur arsenal sécuritaire. Ce qui devait être une mobilisation pour la paix à Gaza a tourné court.
© Édith Bouvier

Le projet, dès le départ, était risqué. Dans un pays comme l’Égypte, où les manifestations sont sévèrement réprimées, obtenir l’autorisation de traverser le Sinaï, une zone sous haute surveillance militaire, s’annonçait difficile.

« Nous avons rencontré les représentations diplomatiques dans nos pays, ils ne nous ont pas clairement opposé de refus. Mohamed Ngem, l’ambassadeur égyptien à Bern, nous a dit  que « toute initiative qui vise à promouvoir la paix dans la région est la bienvenue ». On a considéré cela comme un possible feu vert. On était peut-être trop optimiste, mais on n’a jamais prévu de faire quoi que ce soit d’illégal », explique, avec une pointe de dépit, le docteur Hicham al Ghaoui, basé à Verdier en Suisse et porte-parole de sa délégation.

Sur le même sujet : Flottille vers Gaza : indignation sélective et cynisme d’État

Après plusieurs missions humanitaires à Gaza en 2024, c’est lui qui, avec plusieurs Suisses, lance cette initiative. « Sur place, j’avais l’impression d’être inutile. On soigne la population, mais de toute façon l’issue est la même. L’aide humanitaire ne rentre plus et les gens meurent de faim. Alors, fin avril, j’ai posté un message sur les réseaux disant : « Pourquoi le monde entier ne marche pas sur Gaza ? » J’ai reçu des messages de partout, de citoyens et d’humanitaires. En fait, tout le monde avait l’idée, il fallait juste un catalyseur d’une réaction qui était déjà là. »

Ces derniers jours, plusieurs milliers d’activistes du monde entier s’inscrivent dans des groupes sur les réseaux sociaux et rejoignent donc la capitale du Caire, parmi eux plus de 600 Français. Face à cet afflux, les autorités égyptiennes se prononcent finalement plus clairement. Tout en réaffirmant l’importance des pressions sur Israël pour lever le blocus de Gaza dévastée par la guerre entre l’armée israélienne et le Hamas, l’Égypte fait savoir que « toute forme d’action pro palestinienne de délégations étrangères sur son territoire doit recevoir une autorisation préalable ».

Arsenal sécuritaire

Quelques heures plus tard, plus de 200 internationaux sont expulsés vers leurs pays d’origine. Parmi eux, une vingtaine de Français. Le lendemain, malgré tout, les organisateurs maintiennent l’idée d’un rassemblement pacifique, tout en ajustant la destination. « Quand ils ont refusé clairement le passage vers la ville d’Al Arish et Rafah, on a décidé de tous se rassembler dans la ville d’Ismaïlia, sur les rives du canal de Suez, à 45 km du Caire. De là, on aurait pu être ensemble et continuer à porter la voix des Gazaouis », explique Alice, de la délégation suisse.

Sur le même sujet : Génocide dans la bande de Gaza : le temps de la justice

Mais les autorités égyptiennes ne voient pas les rassemblements d’un bon œil et déploient leur arsenal sécuritaire. Ce qui devait être une mobilisation pour la paix à Gaza tourne court. Les manifestants sont interpellés les uns après les autres sur la route. Marcy était dans un taxi, à quelques kilomètres à peine de son hôtel, avec une amie quand la police l’a arrêté et conduit en interrogatoire dans les locaux de la sécurité générale à l’aéroport.

« Ils n’ont pas été agressifs, mais je pensais vraiment qu’on allait être déportés. Certains ont appelé leur ambassade. Moi, je savais qu’avec Donald Trump à la tête du pays, ça ne servait à rien de chercher de l’aide ». Malgré son stress encore visible, cette professeure américaine garde le sourire. Au bout de 7 heures de détention dans des bureaux de la sécurité générale, elle est finalement relâchée avec une centaine de personnes. Plus de deux cents autres marcheurs sont arrêtés aux check-points et escortés jusqu’à la capitale égyptienne après plusieurs heures d’attente sur le bord de la route.

Personne n’avait anticipé de se faire bloquer comme ça. Ils ont pris nos passeports et on pouvait rien faire.

Dimitris

« On était au milieu de nulle part. Les gens devaient rester dehors, en plein soleil, à attendre et beaucoup s’évanouissaient à cause de la chaleur. Personne n’avait anticipé de se faire bloquer comme ça. Ils ont pris nos passeports et on pouvait rien faire », raconte Dimitris, un militant grec.

« On a eu très peur quand ils ont pris nos passeports. Ils ont noté nos dates d’arrivée mais rien de plus. On était plusieurs centaines, des gens du monde entier. Malgré le stress, les gens se sont entraidés. On a pu rencontrer le petit-fils de Nelson Mandela qui nous a apporté son énergie et ça nous a donné un sentiment de sécurité », explique Hamish, une marcheuse belge. Au moment de monter dans les camions, la situation a dégénéré. « Les activistes qui refusaient de suivre les policiers ont été violemment pris à partie et tabassé par des hommes en civil, masqués qui frappaient les manifestants qui refusaient de monter dans les bus ».

Comité d’accueil

D’autres sont parvenus à rejoindre la ville côtière d’Ismaïlia. Mais là encore, le comité d’accueil ne leur a pas laissé le temps de se mobiliser. Maryvonne est arrivée sur place toute seule, elle n’a pu retrouver son hôtel du Caire que le lendemain à 7 heures du matin. « J’ai eu très peur. On ne savait pas où il nous conduisait, ils avaient nos passeports et rien était clair ».

On voulait que le monde regarde ce qui se passe à Gaza.

Hamish

Passé la frayeur, beaucoup se posent la question de la suite de la mobilisation. « On se sent complètement abandonnés par nos délégations. Plus aucune nouvelle des Français depuis notre arrivée ici. C’est très déconcertant », décrit encore avec colère cette humanitaire de formation. La plupart des participants ont prévu de rester jusqu’au 20 juin en Égypte, mais ne savent plus trop quelle portée donner à leur démarche. Surtout que le convoi humanitaire organisé par l’ONG tunisienne Soumoud est toujours bloquée en Libye et n’a pas l’autorisation de traverser la frontière égyptienne.

Sur le même sujet : Avoir moins de 20 ans dans la bande de Gaza

« Il ne faut pas oublier pourquoi on est venu ici, rappelle encore Hamish, l’activiste belge. On voulait que le monde regarde ce qui se passe à Gaza. Et compte tenu de l’intensification des frappes, il faut continuer à espérer que cette mobilisation soit entendue ». D’autres sont plus énervés, poussés par le désespoir de la situation à Gaza et le sentiment d’impuissance. « Nous on est venus pour aller jusqu’à Rafah et on ira coûte que coûte. On va louer des quads, des voitures, mais on ne lâchera pas », annonce Bilel, un activiste français.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Monde
Publié dans le dossier
Palestine : lutter partout
Temps de lecture : 6 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier