Dialogue social piétiné, CFDT isolée, patronat triomphant

La fumée noire s’est élevée lundi soir, concluant six mois de négociations sur les retraites par un échec retentissant. Un épilogue sans surprise tant les conditions du dialogue étaient faussées dès le départ. La faute à un patronat toujours plus radicalisé. Et à des syndicats incapables d’imposer un rapport de force.

Pierre Jequier-Zalc  • 24 juin 2025
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Dialogue social piétiné, CFDT isolée, patronat triomphant
Manifestation contre la réforme des retraites, Paris, 7 février 2023.
© Lily Chavance.

La CFDT aime l’orange, comme celui d’un soleil qui se lève. Et elle a voulu s’en approcher. La centrale de Marylise Léon a voulu croire qu’un compromis était possible. Elle s’est investie dans cette tentative de sauvetage d’un régime mis à mal par la réforme de 2023, espérant voler vers un accord pour améliorer les retraites des « essentiels », des mères de famille.

Le Medef a joué sa partition à merveille.

Mais on ne change pas la mythologie. Comme pour Icare, la cire a fondu et la première centrale syndicale du pays a chuté. Au fond, ce fiasco en dit moins sur une CFDT « humiliée » que sur un mal plus profond : l’affaiblissement structurel du dialogue social depuis l’élection d’Emmanuel Macron, assorti de la surpuissance du patronat.

Tiré à contrecœur dans une négociation qu’il n’avait pas souhaitée, le Medef s’est contenté de gagner du temps. Sa stratégie était limpide : ne rien céder, laisser pourrir la situation et maintenir l’ordre établi, c’est-à-dire l’application sans partage de la réforme de 2023. Mission accomplie. Le Medef a joué sa partition à merveille. Et il fallait encore écouter son numéro 1, Patrick Martin, à l’issue de l’échec de la négociation, verser des larmes de crocodile, expliquant à quel point son organisation avec fait des « ÉNORMES » (sic) concessions.

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Mais lesquelles ? Une légère amélioration pour les mères de famille. Une avancée de six tout petits mois de l’âge d’annulation de la décote. Rien sur la réparation de la pénibilité. Rien sur l’âge légal de départ. Rien sur le nombre d’annuités. Rien sur l’essentiel, en fait.

Le vrai révélateur de cette négociation, c’est la manière dont elle illustre la toute-puissance idéologique du patronat en France aujourd’hui. En refusant catégoriquement de remettre la main à la poche, en verrouillant toute discussion budgétaire, Medef et CPME ont posé une ligne rouge intangible : pas un euro de plus, au nom de l’équilibre du système. Une position idéologique pure, dans un contexte où aucune force politique ou sociale ne semble en mesure de leur imposer des contreparties.

Preuve en est : la proposition acceptée par les syndicats – mais refusée par le patronat – faisait reposer les futurs efforts financiers quasiment exclusivement sur les retraités. En effet, le texte prévoit une sous-indexation des pensions permettant d’économiser plus de 6 milliards d’euros. Quand le patronat, lui, ne participerait qu’à hauteur de 900 millions. Une broutille déjà trop importante pour eux.

Le vrai révélateur de cette négociation, c’est la manière dont elle illustre la toute-puissance idéologique du patronat en France aujourd’hui.

En même temps, comment ne pas les comprendre quand cela fait huit ans qu’on ne leur demande aucun effort ? « Tout ce qu’on peut prendre pour les travailleurs, on le prendra », expliquaient la CFDT et le PS lors de l’annonce de la mise en place du conclave. Pour le patronat, c’est l’inverse : « On prend tout, on ne donne rien. » La verticalité macronienne a miné les espaces de négociation, transformant le dialogue social en mise en scène ponctuelle plutôt qu’en levier démocratique. Ce conclave sur les retraites n’a pas fait exception : sans cadre contraignant, sans obligation de résultat, il s’est révélé une impasse annoncée.

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Dans ce contexte, la tentative de François Bayrou pour relancer une discussion in extremis en conviant les partenaires sociaux à Matignon ressemble à une manœuvre de la dernière chance. Ce mardi 24 juin, un accord de dernière minute n’est pas totalement exclu. Mais le simple fait que le débat ait basculé vers l’idée même de capitalisation – défendue sans complexe par le patronat – montre que celui-ci a déjà remporté une victoire idéologique.

Le rapport de force est désormais totalement inversé. Ce qu’il faut désormais regarder en face, c’est que sans un sursaut collectif des forces sociales le patronat continuera de dicter l’agenda. Non pas par force brute, mais parce qu’on lui en laisse tout simplement la possibilité.

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Parti pris , Société , Travail et Économie

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