Expulsion forcée des Roms à Villeron : six habitants, dont le maire, devant le tribunal

Six habitants de cette commune du Val-d’Oise, dont le maire, sont aujourd’hui jugés devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour « voie de fait, destruction de biens et violences à caractère raciste ». En février 2023, ils avaient participé à une manifestation violente pour expulser des Roms, installés dans le bois de la commune.

Pauline Migevant  • 16 juin 2025 abonné·es
Expulsion forcée des Roms à Villeron : six habitants, dont le maire, devant le tribunal
© Montage : Maxime Sirvins

Villeron, petit village du Val d’Oise comptant 1 600 habitants, dimanche 5 février 2023. Les habitants sont venus en famille. Point de rendez-vous : le centre-ville, en face de la boulangerie. Ils empruntent la rue principale de la commune et se dirigent vers le bois, où un camp de Roms s’est installé en septembre 2022. Une semaine plus tôt, le 29 janvier 2023, des Villeronais sont allés les voir pour leur demander de partir. Les familles auraient promis de partir le 5 février.

Une procédure légale d’expulsion est également engagée par la communauté de communes de Roissy Pays de France, à qui appartient le bois. Malgré tout, les habitants organisent une manifestation « Pour les prier de décamper dans les plus brefs délais », comme l’indique le tract diffusé à l’époque sur internet et dans les boîtes aux lettres. « Nous devons TOUS nous mobiliser pour retrouver la tranquillité de notre Village mise à mal ces derniers mois, avec le soutien du conseil municipal et de la mairie. »

« Ce n’est pas humain de faire ça »

Quand les manifestants, environ 150, arrivent à l’entrée du camp, la plupart des Roms, qui étaient 150 en décembre 2022, sont déjà partis. Les Villeronais brandissent des pancartes « RENDEZ NOUS NOTRE BOIS », « Villeroms » ou encore « Stop à l’insécurité »« Des slogans hostiles étaient inscrits sur des banderoles et criés par la foule : “bande de parasites, dégagez, rendez-nous notre bois, on va tout cramer” », témoigne lors de l’enquête, un des capitaines de gendarmerie présents. Des propos confirmant l’ambiance décrite par les journalistes présents sur place.

Sur le même sujet : Antitsiganisme : « On a déjà quitté la Roumanie à cause de ça »

4 jours après les faits, trois personnes Roms déposent plaintes pour « violence commise en réunion ». « Ce n’est pas humain de faire ça », déclare, choqué, Daniel R. « D’habitude cela passe au tribunal et puis ensuite nous partons mais là nous n’avons pas eu [de] tribunal », peut-on lire dans sa plainte, consultée par Politis. Un autre homme, Mugurel M., explique à la gendarmerie avoir demandé une journée « afin de vider le terrain ». « Les habitants refusent et nous jettent encore des objets », poursuit-il. « Les habitants méchants ont dit nous n’en avons rien à faire de vos enfants. Mes enfants sont émotionnellement mal. (…) Une de mes filles ne souhaite plus être en France et repartir en Roumanie ».

Les habitants méchants ont dit nous n’en avons rien à faire de vos enfants.

Mugurel M.

Parmi les six prévenus, les trois habitants ayant organisé et déclaré la manifestation en préfecture : Sylvie T., infirmière, Laurent B., policier, et Valérie P., comptable et conseillère municipale. Lors de leurs auditions ils qualifient la manifestation de « pacifique » et de « bon enfant ». Plus de deux ans après les faits, ils comparaissent ce lundi après-midi devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour « violence sans incapacité commise en raison de la race ou de l’ethnie » et « manœuvre, menace, voie de fait ou contraint pour forcer une personne à quitter son lieu d’habitation commise en raison de la race ou de l’ethnie ».

Le campement détruit à mains nues puis par les tractopelles

Lors de la manifestation, un homme est identifié par les gendarmes comme particulièrement virulent, Quentin D. Ce jour-là, il porte une casquette noire et une longue doudoune grise. Avec une vingtaine d’autres hommes, il tente de contourner le dispositif policier pour accéder au camp. Les gendarmes le décrivent comme le « meneur de la bande. Il s’énerve et devient virulent à notre égard. Sous son impulsion, les individus n’obtempèrent plus à nos injonctions et se remettent à avancer. Ils profitent de leur nombre pour avancer petit à petit et se rapprochent ainsi du camp. Nous redoublons de fermeté et formons un cordon qui les stoppe à l’arrière du camp », témoigne un des gendarmes présents ce jour-là, auditionné dans le cadre de l’enquête.

« À la vue, au loin, des Roms, ils crient des injures et les enjoignent de « dégager » les lieux. (…) L’individu à la longue doudoune, plus énervé que jamais, alpague les gendarmes, crie des insultes envers les Roms, et maintient le niveau d’excitation du groupe. Nous tentons de le raisonner, sans succès ».

Sur le même sujet : Gens du voyage : Le long chemin des luttes

À 15 heures, les Roms mettent des affaires dans leur camionnette, et quittent les lieux. La plupart des Roms étant partis avant la manifestation, ce sont 10 camionnettes qui quittent les lieux dans la précipitation. Le camp vidé de ses habitants, les Villeronais sont « galvanisés », témoignent les gendarmes sur place, confirmant les récits des journalistes présents. « On est chez nous », « on a gagné », crient les Villeronnais. Le groupe d’hommes s’engouffre dans le campement. Peu importe que les gendarmes leur ordonnent de reculer, les manifestants suivent le mouvement. « Certains d’entre eux s’en prennent aux baraquements en entamant leur destruction, dans ce qui semblait être un exutoire », poursuit dans son audition, l’un des gendarmes.

Le maire impliqué

Les prévenus auditionnés ont expliqué que le maire, Dominique Kudla, n’avait pas été impliqué dans la manifestation et avait assuré la sécurité auprès des gendarmes. Pourtant, ceux-ci ont relaté durant l’enquête lui avoir demandé plusieurs fois de calmer les manifestants, ce qu’il n’aurait pas voulu faire. L’un des capitaines de gendarmerie a ainsi rapporté les propos du maire : « les habitants sont excédés, il faut aussi les comprendre ».

Ce même gendarme explique ensuite que lorsque les villageois se sont engouffrés dans le campement, le maire a été « sommé de demander à ses administrés de faire demi-tour. » Ce dernier aurait déclaré « c’est une vague, on ne va pas les arrêter, il faut bien qu’ils se défoulent un peu ». Un autre gendarme confirme cette version : « il me dit quelque chose comme quoi il n’a pas d’influence sur les gens, qui ne sont d’ailleurs plus maîtrisables, toujours selon lui ».

C’est une vague, on ne va pas les arrêter, il faut bien qu’ils se défoulent un peu.

D. Kudla

Le maire finit par dire aux habitants de se calmer. « Certains ont commencé à démonter les cabanons et je suis intervenu pour les en dissuader et les arrêter car cela présentait certains risques, notamment celui de se blesser », a-t-il expliqué lors de son audition. Dans la foulée, Dominique Kudla appelle un homme conducteur d’engins, Jean Claude P., qui travaille de temps en temps pour la commune. Celui-ci passe alors son dimanche en famille et s’apprête à regarder un match de rugby.

Il arrive dans le bois peu de temps après. « J’ai été accueilli sous des cris et des applaudissements », raconte en audition ce dernier, dont le tractopelle a servi à détruire les cabanons et creuser une tranchée, pour empêcher tout accès ultérieur au camp. Lui aussi fait partie des 6 prévenus. Dans la citation directe formée par l’avocat des victimes et l’association la Voix des Roms, il lui est reproché la : « dégradation ou détérioration du bien d’autrui commise en raison de la race ou de l’ethnie ».

Le maire conteste aujourd’hui avoir participé à la destruction des domiciles. Lors de son audition, il déclare : « Mon grand-père et mon père qui construisaient des poulaillers et clapiers pour leurs lapins mettaient plus de soins pour la construction de ces abris que les Roms pour héberger leur famille. »

Poursuivis pour racisme

Les quatre associations s’étant constituées partie civile – La Voix des Roms, le MRAP, la Fondation pour le logement (ex-Fondation Abbé Pierre) et le Collectif national droits de l’homme Romeurope, soulignent dans leurs plaintes le « rôle déterminant » du maire dans « l’expulsion forcée illégale des occupants du bois de Villeron. » Pour appuyer leur propos, elles citent le maire dans le journal de la commune.

En janvier 2023, le Dominique Kudla y avait dénoncé, « les dérives du nomadisme destructeur de la communauté rom », « une population sans foi ni loi ». « Rien que d’évoquer leur nom, mes poils se hérissent » avait-il ajouté. « On se paie littéralement notre tête », avait-il poursuivi au sujet de la procédure d’expulsion, avant d’assurer les habitants de Villeron du soutien des élus dans leur action.

Sur le même sujet : Gens du non-voyage

En audition, le maire conteste l’accusation de racisme, « relevant plus du délire que de faits avérés ». Les autres prévenus se défendent également de cette accusation, invoquant une dimension « environnementale » à leur action. « Cette manifestation n’était pas dirigée contre la population Roms mais juste contre des hommes et des femmes qui ne respectent eux-mêmes pas la loi et qui saccagent et polluent les sols de cette forêt », déclare notamment Valérie P, lors de son audition en février 2024.

Ils contestent également le lien entre leur action et le départ des Roms : « En aucun cas notre action ne peut être associée à leur départ. Je pense que s’ils avaient eu envie de rester ils seraient restés », affirme Laurent B., le fonctionnaire de police. « Je ne connais pas de gens racistes sur ma commune, les habitants de Villeron sont de toutes origines », poursuit-il. Au deuxième tour des législatives anticipées, la commune a voté à 56 % pour le Rassemblement national.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

« On ne peut pas accepter de se faire réprimer alors qu’un génocide se passe sous nos yeux »
Entretien 16 juin 2025

« On ne peut pas accepter de se faire réprimer alors qu’un génocide se passe sous nos yeux »

Anasse Kazib, porte-parole de Révolution permanente, est renvoyé devant la justice ce mercredi 18 juin pour « apologie du terrorisme ». Son organisation et lui comptent faire de ce procès un procès politique contre « ceux qui criminalisent les soutiens à la lutte palestinienne ».
Par Pierre Jequier-Zalc
À Paris, des mères rassemblées pour les enfants de Palestine
Reportage 16 juin 2025 abonné·es

À Paris, des mères rassemblées pour les enfants de Palestine

Des centaines de mères, accompagnées pour nombre d’entre elles de leurs enfants, se sont réunies aux Invalides ce 15 juin pour pousser Emmanuel Macron à agir face au génocide et à la tragédie que vivent les enfants encore vivants à Gaza.
Par Hugo Boursier
Terrorisme d’extrême droite : la mémoire lacunaire des prévenus d’AFO
Extrême droite 13 juin 2025 abonné·es

Terrorisme d’extrême droite : la mémoire lacunaire des prévenus d’AFO

Malgré une procédure d’instruction établissant les projets violents de ce groupe visant la communauté musulmane, les premiers prévenus ont affirmé n’avoir jamais cru aux projets d’attentats, ou de ne pas en avoir eu connaissance. Une forme de légèreté dérangeante.
Par Pauline Migevant
Génocide dans la bande de Gaza : le temps de la justice
Justice 11 juin 2025 abonné·es

Génocide dans la bande de Gaza : le temps de la justice

Ces derniers jours, une Française a déposé plainte contre Israël, et une information judiciaire a également été ouverte par le parquet national antiterroriste contre des Franco-Israéliens. Ces procédures ne stopperont pas le génocide en cours mais elles participent à briser un lourd silence.
Par Céline Martelet