La production non-marchande, face cachée de la richesse

La richesse des Nations est mesurée par le PIB. La construction de cet indicateur, rentré dans le langage courant, est pourtant souvent méconnu, notamment en ce qui concerne la valorisation des activités non-marchandes.

Jérôme Gleizes  • 11 juin 2025
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La production non-marchande, face cachée de la richesse
© Mathieu Stern / Unsplash.

Quand nous évoquons le PIB, nous pensons souvent, à tort, qu’il ne mesure que la production marchande, c’est-à-dire l’ensemble des biens et des services vendus sur le marché. Pourtant, cette vision est réductrice : depuis longtemps, les comptables nationaux de tous les pays intègrent également la production non marchande dans le calcul du PIB, conformément aux normes internationales établies par les Nations unies et régulièrement mises à jour, la dernière en date ayant été adoptée le 20 mars 2025 en remplacement de celle de 2008.

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Ainsi, la comptabilité nationale distingue deux secteurs institutionnels majeurs regroupant les acteurs économiques à comportement similaire en matière de production non marchande : les administrations publiques et les institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLSM). Ces dernières, qui incluent notamment l’économie sociale et solidaire, produisent des biens et services fournis gratuitement ou à des prix faibles, jouant un rôle essentiel dans le tissu économique et social, au-delà des seules logiques marchandes.

Une convention comptable

La mesure de cette richesse repose sur une convention comptable : la production non marchande est évaluée à son coût de production, c’est-à-dire la somme des salaires versés et de l’ensemble des consommations intermédiaires nécessaires à la fourniture de ces biens et services. Un paradoxe en découle : si les salaires du secteur non marchand augmentent, la richesse produite telle que mesurée par le PIB augmente également.

Ce paradoxe n’est toutefois qu’apparent, car il révèle en réalité une sous-évaluation structurelle de la production non marchande. En comparaison, la richesse marchande intégrée au PIB est mesurée par la valeur ajoutée (VA), c’est-à-dire le chiffre d’affaires diminué des consommations intermédiaires. Ainsi, le PIB ne reflète pas la totalité de la production, mais seulement une fraction, et la contribution du capital et du travail y est appréhendée de manière différente selon qu’il s’agit du secteur marchand ou non marchand : un coût pour le premier, une richesse pour le second.

Les limites de la comptabilité nationale

Ce paradoxe s’explique par le fait que, dans le secteur marchand, la VA inclut le paiement des salaires, lesquels, dans une perspective marxiste, ne sont que l’appropriation d’une partie de la valeur produite. À l’inverse, dans le secteur non marchand, la VA se limite aux seuls salaires versés, alors même que le travail fourni génère une valeur sociale souvent bien plus importante, mais non mesurée dans le PIB. Il serait possible d’adopter une autre convention de mesure, par exemple en cherchant un équivalent marchand pour ces productions.

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Ainsi, un cours dispensé à l’université publique est évalué à son coût de production, tandis que le même cours dans une école privée est mesuré au prix payé par l’usager. Cette différence de traitement met en lumière les limites de la comptabilité nationale actuelle pour saisir toute la richesse créée au sein de la société. En France, la production non marchande représente environ 22,8 % du PIB total. Avec un PIB de 2 917,4 milliards d’euros en 2024, cela correspond à une valeur d’environ 665 milliards d’euros pour le secteur non marchand (administrations publiques et ISBLSM).

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