Le Salon du Bourget devant la justice contre la présence d’entreprises liées au génocide à Gaza

Plusieurs associations ont assigné le Salon du Bourget en justice pour interdire notamment la présence d’entreprises vendant des armes à Israël. Le verdict de l’audience, qui s’est tenue ce mercredi, est attendu le 10 juin.

Juliette Heinzlef  • 5 juin 2025 abonné·es
Le Salon du Bourget devant la justice contre la présence d’entreprises liées au génocide à Gaza
Le salon du Bourget.
© Captainm / Wikipédia

La 55e édition du Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget (SIAE) doit-elle rendre les armes ? C’est l’objet de l’audience en référé qui a eu lieu au tribunal de Bobigny, ce mercredi 4 juin, dans un contexte international marqué par les crimes de guerre à Gaza.

En cause : la promotion et la présence à ce salon d’entreprises, de délégations et d’intermédiaires soupçonnés de participer directement ou indirectement aux crimes internationaux (crimes de guerre, crime contre l’humanité et génocide) dans les territoires palestiniens. À cette première assignation en justice, portée par les associations Al-Haq, Union juive française pour la paix (UJFP), Attac, Stop Fueling War (SFW) et Survie, s’ajoute une seconde.

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Les trois dernières associations blâment la SIAE de promouvoir et d’accueillir des entreprises alimentant indirectement les conflits en Ukraine et au Soudan. Ce, à travers la livraison d’armes aux entreprises de pays tiers, à l’instar des Émirats arabes unis. Une déclaration étayée d’un travail en sources ouvertes auquel s’est attelée la plateforme Droits et mouvements sociaux, épluchant rapports d’ONG, travaux journalistiques et communication des entreprises.

Des armes israéliennes sur le sol français

« Ce n’est pas un secret. Les entreprises israéliennes, pour la plupart, affichent un soutien indéfectible à Israël », signale à Politis la coordinatrice de la plateforme, qui conseille juridiquement les associations plaignantes. « Elles revendiquent parfois que leurs armes sont testées au combat à Gaza, que la guerre constitue un laboratoire pour leur technologie d’armement. »

Ce n’est pas un secret. Les entreprises israéliennes, pour la plupart, affichent un soutien indéfectible à Israël.

Au total, huit sociétés israéliennes et une délégation du ministère israélien de la défense doivent participer au salon qui accueille, tous les deux ans, près de 300 000 visiteurs. Parmi les armes exposées, celles d’Elbit Systems, fabricant israélien dont le drone Hermes 450 a tué sept humanitaires de l’ONG World Central Kitchen à Gaza le 1er avril 2024. Celles aussi d’Israel Aerospace industries qui produit le drone Heron TP. D’après une enquête de Disclose et les chiffres de l’Unicef, cet équipement militaire serait responsable de 48 000 morts dont plus de 14 000 enfants, entre le 13 octobre 2023 et le 15 janvier 2025.

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« Des familles le dimanche passeront devant les stands israéliens qui pourront défendre le bien-fondé de leur opération dans les territoires palestiniens », a ainsi souligné Matteo Bonaglia, l’avocat des associations, durant l’audience.

Il avait rappelé plus tôt la situation dans les territoires palestiniens, et les différentes décisions de justice qui en ont résulté : le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre Benyamin Netanyahou et son ex ministre de la défense, l’ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) demandant à Israël de prévenir tout acte de génocide, ainsi que les rapports d’ONG portant sur les crimes de guerre d’Israël. Et de conclure : « Cette seule liste témoigne du sérieux de ceux qui ont eu à s’intéresser de près à l’opération qui a lieu dans les territoires occupés. Il faudrait être sourd, aveugle et isolé pour ne pas en avoir conscience. »

La responsabilité du salon mis en cause

Mais le Bourget prétend ne pas avoir les moyens d’enquêter sur les entreprises exposantes ou leurs intermédiaires. C’est en tout cas la ligne de défense adoptée par Sylvain Pavillet, l’avocat de la société SIAE, qui a ironisé : « Vous voulez qu’on embauche des détectives pour aller dans les banlieues de Calcutta pour voir s’il ne s’agit pas de sociétés-écrans ?» Un argument irrecevable pour Laura Monnier, seconde avocate des associations, qui a insisté sur le caractère « chevronné » d’un salon ouvert depuis 100 ans, dont la « vigilance minimale » est à ce titre requise.

D’autant plus lorsque la communication met en avant « la conquête de nouvelles parts de marché » pour les entreprises présentes, et crée, de fait, de nouveaux partenaires commerciaux dans le secteur de l’armement. En 2023, le salon déclarait avoir signé près de 150 milliards de dollars de contrats. Au vu de son poids financier, « l’apparence de neutralité » équivaut à « une irresponsabilité organisée », selon l’avocate.

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« On vous demande d’entrer dans un débat politique pour juger de l’intervention militaire en cours [à Gaza]. On cherche à vous émouvoir sur les atrocités, d’ailleurs commises de part et d’autre », a rétorqué Sylvain Pavillet, en prenant à partie les juges. Et d’avancer – en virant lui-même au discours politique : « Nous sommes ici pour faire du droit. On ne peut pas dire qu’Israël ne peut pas jouir d’un droit de légitime défense, et il ne vous appartient pas de juger si cette défense est proportionnée. »

L’avocat du salon a cherché à décrédibiliser l’action en la qualifiant de procès politique et moral.

La coordinatrice Droits et Mouvements sociaux en tire un propos « malvenu »  au regard de la déclaration conjointe des dirigeants de la France, du Royaume-Uni et du Canada, qui qualifiait « l’escalade » de « totalement disproportionnée », le 19 mai dernier.

« L’avocat du salon a cherché à décrédibiliser l’action en la qualifiant de procès politique et moral alors que les plaidoiries des avocat.es comme les assignations écrites se fondent sur un travail de recherche très précis », glisse un militant du collectif anti-militariste Guerre à la guerre, venu assister à l’audience en soutien.

Complicité et devoir de vigilance

Pour « faire cesser un trouble manifestement illicite », les avocats des associations se sont appuyés sur plusieurs fondements : d’abord la violation du devoir de vigilance par la SIAE, en raison de la dangerosité des armes exposées. En matière pénale, la complicité possible de crimes contre l’humanité est interrogée, les entreprises visées contournant les sanctions internationales, et la SIAE facilitant leur promotion en leur louant des stands.

En 2024, le ministère des Armées avait annulé la participation des industriels israéliens au Salon mondial de la défense et de la sécurité Eurosatory 2024, statuant : « Les conditions ne sont plus réunies pour recevoir les entreprises israéliennes, dans un contexte où le président de la République appelle à ce que les opérations israéliennes cessent à Rafah ». La cour d’appel de Paris avait fini par autoriser leur présence, après que le tribunal de commerce ait jugé « discriminatoire » l’exclusion des exposants israéliens du salon. Le délibéré aura lieu mardi 10 juin.

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