Loi Duplomb : comment le gouvernement éteint les voix paysannes



La « loi Duplomb » est discutée en commission mixte paritaire à partir de ce lundi 30 juin. Le texte ne bénéficiera qu’à une poignée de gros agriculteurs et invisibilise celles et ceux qui défendent une agriculture paysanne et vertueuse.

Vanina Delmas  • 30 juin 2025 abonné·es
Loi Duplomb : comment le gouvernement éteint les voix paysannes
Blocage de l'usine Phyteurop, dans le Maine-et-Loire, le 27 juin 2025, par des opposants aux produits agrochimiques.
© Maxime Sirvins

À huis clos et sans débat. C’est ainsi que le sort de la « loi Duplomb », ce lundi 30 juin, va être scellé. Après le vote d’une une motion de rejet à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » se retrouve coincée dans une commission mixte paritaire (CMP) composée de quatorze parlementaires (sept députés et sept sénateurs). Mais de quels agriculteurs parle-t-elle réellement ?

« Cette loi tourne le dos à l’écologie, donc elle laisse les agriculteurs bio de côté, elle fragilise les paysans les plus vertueux, et attaque les sols agricoles car elle va affaiblir des protections environnementales sur les zones humides, l’usage des pesticides… », énumère Astrid Bouchedor, chargée de plaidoyer à l’association Terre de liens, qui travaille depuis 20 ans à racheter des terres agricoles pour faciliter l’installation de nouveaux paysans et paysannes.

Sur le même sujet : Agriculture : la santé mise au ban

Censée répondre aux colères du monde agricoles après les semaines de manifestations, cette loi se concentre, en réalité, sur l’affaiblissement des normes environnementales en proposant la réintroduction des néonicotinoïdes – ces insecticides fatals pour les abeilles, la remise en cause de l’indépendance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), ou encore la facilitation pour la construction de fermes-usines et de mégabassines.

Cette séquence politique et médiatique a mis en lumière les liens entre les politiques et les lobbies de l’agriculture productiviste et chimique.

Le poids de la FNSEA

« L’article 3 sur le relèvement des seuils des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en élevage ne concerne que 2 % des exploitations en France. Cette loi vient donc aggraver les inégalités et renforcer cette minorité ultra-puissante alors qu’aujourd’hui, on a déjà les 10 % les plus riches du secteur agricole qui ont un niveau de vie 4,5 fois supérieur aux 10 % les plus modestes », ajoute-t-elle.

Un sujet explosif qui tend à confirmer le rôle des lobbies de l’agro-industrie et de la FNSEA sur cette loi. Dans un communiqué de presse, la Confédération paysanne a dénoncé un rendez-vous entre les ministères de la Transition écologique et de l’Agriculture et un seul syndicat, la FNSEA, pour élaborer une nouvelle version de l’article 3, une semaine avant la CMP.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Cette séquence politique et médiatique a, une fois de plus, mis en lumière les liens intimes entre les politiques et les lobbies de l’agriculture productiviste et chimique. Elle a aussi entretenu le mythe de l’unité du monde agricole. « Ce mythe date du temps où il n’y avait qu’un syndicat, mais il perdure car les gouvernements continuent de n’avoir qu’un seul interlocuteur, la FNSEA. Cela s’est renforcé sous Macron, notamment avec les ministres Marc Fesneau et Annie Genevard…»

« Ce syndicat, omniprésent dans les médias, ne cesse d’affirmer qu’il représente LES agriculteurs. Or, il y a de vraies différences de fonds sur le plan politique, et de grandes disparités économiques et sociales », analyse Fanny Métrat, l’une porte-parole de la Confédération paysanne. Éleveuse de brebis et productrice de châtaignes en Ardèche, elle regrette que la complexité du monde agricole français ne figure pas dans le débat public.

Sur son territoire, les fermes sont quasiment toutes similaires, que les agriculteurs soient d’un syndicat ou d’un autre : polyculture-élevage, petites fermes isolées en zone de montagne… « La situation agricole française ne devrait pas être décrite de manière manichéenne, mais la complexité a du mal à être entendue. »

« Sur la loi Duplomb, on n’entend la position que d’une toute petite partie des agriculteurs français, qui n’est même pas représentative des agriculteurs de la FNSEA car il y a des divisions. La FNSEA fait croire à l’ensemble de la société que c’est la solution pour résoudre les problèmes des agriculteurs alors que ça ne répond en rien aux colères paysannes, notamment sur les revenus. »

Sur le même sujet : Laurent Duplomb, l’agriculteur devenu sénateur porte-voix de la FNSEA

Un sondage Ifop réalisé en février 2024 auprès de 600 agriculteurs à la demande du Collectif Nourrir – qui rassemble des dizaines d’ONG de défense de l’environnement, dont Greenpeace, WWF ou Générations futures – a montré que « le dérèglement climatique et ses conséquences » est la principale préoccupation pour 21 % d’entre eux, devant « les lois et normes encadrant les pratiques » (19 %) et « l’augmentation des coûts, des charges, des prix d’achat » (18 %). Seuls 4 % des agriculteurs répondants se disent préoccupés par « l’interdiction et la réduction de l’usage des phytosanitaires ».

Maintenir et contenir l’agriculture bio

La potentielle réintroduction de trois substances néonicotinoïdes, dont l’acétamipride, dans l’article 2, ouvre à nouveau un boulevard à l’usage des pesticides et redonne des couleurs au mantra de la FNSEA « Pas d’interdiction sans solution ». Où sont les problématiques des fermes en agriculture biologique dans cette proposition de loi ? Selon les chiffres de l’Agence bio, les surfaces en première année de conversion ont chuté de 40 % en 2022 et l’année suivante, les pertes économiques pour les agriculteurs biologiques ont été estimées entre 250 et 300 millions d’euros.

« Cette loi Duplomb ne me concerne pas particulièrement car je suis en bio, je n’utilise pas les produits dont elle parle, mais elle nous concerne tous car les pesticides représentent aujourd’hui un problème de société, et même de société civile ! Mais les bios sont les grands oubliés de ce débat car nos politiques n’ont pas une croyance forte en la bio et ne nous soutiennent pas », clame Loïc Madeline, coprésident de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), et polyculteur-éleveur dans l’Orne.

Où sont les problématiques des fermes en agriculture biologique dans cette proposition de loi ?

La Loi d’orientation agricole, votée en mars dernier, a écrit l’objectif de 21 % de surface en bio d’ici à 2030, en accord avec les objectifs de la Stratégie nationale biodiversité et de la planification écologique. Sur le papier, c’est le gage d’un cap ambitieux pour la transition du monde agricole. Dans les faits, ce n’est qu’un abandon progressif des pouvoirs publics. Dernièrement, l’Agence bio a failli être totalement supprimée. Sauvée in extremis, elle subit tout de même la suppression de 15 millions d’euros de son budget, dont une partie était destinée à une opération de communication sur trois ans.

Sur le même sujet : En Haute-Loire, « la loi Duplomb est une vraie catastrophe pour nos abeilles »

Pour Loïc Madeline, il y a une volonté politique de seulement « maintenir et contenir » l’agriculture bio. « La maintenir car elle sert de caution : avec 10 % des exploitations, on n’est pas dangereux, pas gênant pour le reste de l’agriculture. C’est frustrant parce que ça signifie qu’on ne fait pas partie des solutions. Il n’y a pas de projet agricole, seulement des projets de production de volumes. L’agriculture n’est vue que comme une balance commerciale, qui ne doit pas se dérégler », déplore-t-il.

« La loi Duplomb est clairement une loi pour l’agro-industrie ! Cette loi ne changera en rien la vie des petites et moyennes fermes. Comment faire entendre ces voix ? C’est un vrai défi… Pour nous, ça se joue aussi dans la rue », affirme Fanny Métrat. Dimanche 29 juin, des mobilisations ont eu lieu à l’appel du collectif Nourrir qui revendique 10 000 participants dans 60 villes.

Paysans et paysannes, médecins, scientifiques, victimes de pesticides, organisations environnementales et syndicats de travailleurs ont décidé de se faire entendre pour dénoncer un « coup de force antidémocratique » et « une loi qui brade notre santé ».

Tout Politis dans votre boîte email avec nos newsletters !

Pour aller plus loin…

Les cadeaux de Macron à l’agro-industrie
Agriculture 30 juin 2025

Les cadeaux de Macron à l’agro-industrie

La loi Duplomb offre de nombreux cadeaux aux défenseurs de l’agriculture productiviste. Cette générosité a émaillé les deux quinquennats d’Emmanuel Macron notamment en matière de pesticides, de fermes-usines et de mégabassines.
Par Vanina Delmas
« Stop aux marchands de mort » : au blocage de l’usine Phyteurop, avec les opposants aux pesticides
Reportage 27 juin 2025 abonné·es

« Stop aux marchands de mort » : au blocage de l’usine Phyteurop, avec les opposants aux pesticides

Plusieurs centaines de militants, paysans et habitants ont bloqué ce 27 juin cette usine de produits agrochimiques, à Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire. À quelques jours du vote de la loi Duplomb, ils dénoncent un système agricole toxique qui empoisonne les corps, les sols et les récits.
Par Maxime Sirvins
« Pour battre l’extrême droite, le réalisme, c’est encore et toujours se battre pour l’union »
La Midinale 25 juin 2025

« Pour battre l’extrême droite, le réalisme, c’est encore et toujours se battre pour l’union »

Alexis Corbière, député de Seine-Saint-Denis, cofondateur de l’Après qui tenait son congrès constituant ce week-end, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Immigration, wokisme, dépenses publiques… Les obsessions de l’extrême droite au Sommet des libertés
Reportage 25 juin 2025

Immigration, wokisme, dépenses publiques… Les obsessions de l’extrême droite au Sommet des libertés

Mardi 24 juin, dans une ambiance de meeting politique qui ne s’assume pas, le « Sommet des Libertés » a réuni des têtes d’affiche de l’extrême droite française, de Jordan Bardella à Sarah Knafo, sous l’impulsion des milliardaires ultra-libéraux, Bolloré et Stérin.
Par Thomas Lefèvre