En Iran, l’effroi de la population civile
« Rising Lion » – le soulèvement du lion –, c’est le nom de l’attaque massive lancée le 13 juin à l’aube par Israël contre l’Iran. Une nouvelle opération militaire qui a fait basculer les deux pays dans la guerre. La population iranienne, déjà opprimée par un régime totalitaire théocratique, craint le pire.
dans l’hebdo N° 1867 Acheter ce numéro

© Fatemeh Bahrami / Anadolu via AFP
Dans le même dossier…
La folle fuite en avant de Netanyahou « Il revient aux Iraniens de changer leur régime, pas à Netanyahu »Peu d’images nous parviennent d’Iran. Juste quelques vidéos diffusées par les différentes chaînes de télévision, contrôlées par la République islamique. Sur l’une d’elles, diffusée le 14 juin, on peut voir une centaine d’habitants de Téhéran défiler au milieu des voitures. Ils hurlent « mort à Israël, mort à l’Amérique ». Des femmes prennent la parole pour se réjouir des salves de missiles balistiques tirées sur Tel-Aviv. Des enfants agitent sans conviction des drapeaux iraniens.
Un rassemblement aux airs d’opération de communication organisée dans l’urgence pour donner l’image d’un pays uni. Loin de cette propagande, les Iraniennes et les Iraniens racontent leur effroi, leur sidération. « La situation est grave, on a peur, confie par message audio Parisa*. On est toujours à Téhéran parce que mon père ne veut pas partir, alors on reste avec lui. » La mère de famille de 38 ans s’interrompt. Un bruit sourd résonne derrière elle : « Vous entendez les bombes ? »
L’identité des personnes interrogées en Iran a été modifiée pour préserver leur sécurité.
Depuis le début de la guerre, des milliers de familles ont fui la capitale en voiture pour se réfugier à la campagne. Depuis son réseau social Truth Social, Donald Trump, le président des États-Unis, a appelé les neuf millions d’habitants de cette mégalopole à quitter leur domicile. « Des amis ont pris la route mais ils sont restés bloqués, les embouteillages sont énormes. Certains ont dû faire demi-tour », ajoute Parisa.
Les stations-service ont été prises d’assaut ces derniers jours partout dans le pays, et chaque propriétaire de voiture n’est autorisé qu’à prendre 25 litres de carburant. Les rues de Téhéran sont vides. Toutes les administrations, les entreprises sont fermées. Seuls les magasins qui vendent de la nourriture sont encore accessibles. L’accès à internet se dégrade d’heure en heure.
Les derniers bilans évoquent plusieurs centaines de morts, dont des femmes et des enfants, selon les autorités iraniennes. Sur les réseaux sociaux, le visage des jeunes victimes commence à circuler. Ces fillettes et ces garçons sourient dans des tenues de fête, ou d’écoliers. Tous ont été tués dans des frappes aériennes israéliennes. « J’ai dû expliquer à mon fils de 9 ans que les bombardements ne frappaient que les méchants. J’ai menti, mais c’est comme cela que j’ai pu le calmer les dernières nuits », raconte Marjan*, une mère de famille qui vit dans l’une des grandes villes iraniennes également prises pour cible.
Benyamin Netanyahou affirme pourtant sans sourciller agir au nom du peuple iranien. Quelques heures seulement après le lancement de son opération militaire, le premier ministre israélien leur adressait un message : « Le jour où vous pourrez vous libérer de cette tyrannie est plus proche que jamais, je n’ai aucun doute à ce sujet […]. Ensemble, nous construirons un avenir de prospérité, de paix, d’espoir. » Un discours rodé, désormais familier. Le même narratif a déjà été employé à l’égard des Libanais, que Benyamin Netanyahou disait vouloir libérer du Hezbollah, le parti-milice chiite.
On ne demande pas l’aide de pays étrangers et surtout pas si elle vient des mains tachées de sang des dirigeants israéliens.
Golnaz
« On est très en colère contre les autorités de notre pays, qui nous ont plongés dans l’instabilité depuis des années, mais cela ne veut pas dire qu’on cherche à être sauvés par un État criminel qui ne cesse de bombarder des femmes et des enfants, s’agace Golnaz*, une enseignante jointe par messagerie cryptée. La liberté ne naît pas des flammes de la guerre, des bombes ou de la violence. L’Iran a toujours été libérée par ses propres enfants, on ne demande pas l’aide de pays étrangers et surtout pas si elle vient des mains tachées de sang des dirigeants israéliens. »
Aujourd’hui, les Iraniennes et les Iraniens se retrouvent pris au piège d’une guerre qu’ils ne voulaient pas. « Je n’arrive pas à y croire », souffle Peyman*, un père de famille. « Je suis très inquiet pour nos enfants et pour notre économie : les prix vont exploser dans les prochains jours. » Depuis 2018, l’Iran traverse une crise économique majeure depuis le rétablissement des sanctions occidentales, notamment américaines. La monnaie s’est effondrée, le taux de chômage a fortement augmenté. Aujourd’hui, de nombreuses familles vivent sous le seuil de pauvreté, notamment dans les plus petites villes.
Le narratif israélien dans les médias français
Très peu de voix s’élèvent depuis l’Iran pour demander la fin de cette guerre. Donner son opinion librement lorsqu’on vit au cœur de ce régime est un risque énorme. Quelques heures après les premières attaques israéliennes, les Gardiens de la révolution, redoutable organe des services de renseignement iranien, ont averti : toute personne présente dans le pays qui diffuse des informations contre le pouvoir pourra être arrêtée et condamnée à la peine de mort. Un avertissement très clair.
C’est donc depuis l’étranger que des personnalités iraniennes prennent la parole pour tenter de stopper un engrenage mortifère. Dans une tribune publiée lundi 16 juin dans Le Monde, plusieurs d’entre elles appellent à l’arrêt des hostilités militaires pour épargner des civils en Iran comme en Israël. Parmi les signataires, Narges Mohammadi et Shirin Ebadi, deux prix Nobel de la paix pour qui ce conflit « constitue une menace grave pour les fondements mêmes de la civilisation humaine ».
Une tribune qui vient percuter le narratif israélien largement relayé en France sur les plateaux de télévision ou dans les émissions de radio. Depuis le déclenchement de l’opération militaire israélienne, des experts, des éditorialistes et des journalistes se succèdent pour expliquer qu’il s’agit aussi de libérer les femmes iraniennes, celles qui se sont courageusement soulevées contre la République islamique en 2022.
Le sort des femmes iraniennes est utilisé encore une fois. Il a déjà été récupéré par les laïcards et l’extrême droite pour salir la communauté musulmane en France.
Lundi 16 juin, dans la matinale de France Inter, à une heure de grande écoute, Sophia Aram s’attaque à ceux qui osent en douter : « L’armée israélienne participe au programme de dénucléarisation de la dictature islamiste d’Iran par des frappes ciblées dont l’efficacité est saluée par tous ceux qui comme moi préfèrent des mollahs sans bombe nucléaire, des demi-mollahs, voire pas de mollah du tout, ou des mollahs démolis plutôt que des mollahs disposant de quoi anéantir […] des femmes qui montrent leurs cheveux de tentatrices. »
Une chronique présentée comme humoristique que Bahareh Akrami, Française d’origine iranienne engagée dans l’association Azadi4Iran, soutien du mouvement « Femme, vie, liberté », a du mal à digérer. « Le sort des femmes iraniennes est utilisé encore une fois. Il a déjà été récupéré par les laïcards et l’extrême droite pour salir la communauté musulmane en France, assure celle qui a choisi le dessin pour combattre les conservateurs et les radicaux. Et là, aujourd’hui, ils s’approprient leur combat pour justifier une guerre. »
Pour aller plus loin…

« Il revient aux Iraniens de changer leur régime, pas à Netanyahu »

Égypte : la Marche pour Gaza bloquée

« Des résistances à Trump s’organisent, sans lien avec le Parti démocrate »
