« Nocturnàlia », espéranto fantastico
Développant un langage musical universaliste, à l’ardente beauté incantatoire, le trio sudiste Raffut publie son renversant deuxième album.
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© Cedrick Not
Nocturnàlia / Raffut / Sirventès, L’Autre Distribution / En concert le 6 juin, Casa musicale, Perpignan.
D’abord, il y a eu Forró Raffut, groupe formé en 2017 par trois musiciens – Clément Gleyze, Jean-Bernard Louis et Gabriel Moulin. Tous trois originaires du sud de la France, amis de longue date, ils partageaient alors une colocation à Viols-le-Fort, village proche de Montpellier, et jouaient régulièrement ensemble lors de fêtes populaires. Avec Forró Raffut, mobilisant leurs trois voix et usant d’instruments tels que le zabumba et le pandeiro (tambours brésiliens), ils s’employaient à produire une mixture musicale corsée, polyglotte et parfois polyphonique, marquée avant tout par l’empreinte rythmique vivace du forró, trépidante musique du nord-est du Brésil.
En novembre 2017 est sorti un premier EP, Prax, « 100 % fait maison, totale débrouille », précise Gabriel Moulin. Peu après, le groupe a décidé de se rebaptiser. « Nous ne voulions pas nous restreindre au forró ou à un quelconque autre genre musical. Nous avions envie de mélange. Le territoire exploré s’est de plus en plus élargi – d’où le choix de changer le nom du groupe, devenu simplement Raffut. »
Énergies
Fruit d’une longue maturation, paru en décembre 2021, le premier album de Raffut (Écho Écho) canalise parfaitement les énergies d’origines multiples (bassin méditerranéen, Brésil, Afrique de l’Ouest, Caraïbes…) traversant le trio et les répercute avec éclat en dix morceaux bariolés, certains bien bruitistes – notamment l’époustouflant « Equinocci ».
En 2022, une nouvelle ère s’est ouverte dans la vie du groupe à la suite du départ de Clément Gleyze, remplacé par un autre ami musicien, Andy Cancre (principalement guitariste). Ainsi recomposé, le trio poursuit ses palpitantes expériences transculturelles avec une vigueur encore renforcée depuis qu’il a intégré les rangs de Sirventès, structure coopérative aveyronnaise œuvrant vaillamment pour la culture et la langue occitanes – et, au-delà, toutes les cultures et langues minorisées. « C’est une équipe de personnes très engagées, souligne Gabriel Moulin. Leur accompagnement nous aide beaucoup, ça change la vie. »
Nous utilisons uniquement des rythmes de danses populaires, en tirant plus ou moins vers le psychédélisme.
G. Moulin
Impulsé en novembre 2024, le nouvel album de Raffut, Nocturnàlia, vient de sortir au cœur de ce printemps 2025. Il a pris forme au sein de deux studios d’enregistrement, le Manoir de Léon, dans les Landes, puis la Soulane, dans les Pyrénées.
Le groupe a œuvré ici comme suit : Andy Cancre (guitare électrique), Jean-Bernard Louis (percussions, raffophone, chant), Gabriel Moulin (percussions, pifano, chant) – ce dernier étant le principal parolier. Côté instrumental, précisons que le pifano est une flûte en bambou brésilienne et le raffophone un prototype maison constitué d’un morceau de bois sur lequel sont tendues des cordes et auquel est attachée une boîte de conserve en guise de résonateur.
Avec dix-sept morceaux, pour une durée totale de soixante-dix minutes, le substantiel résultat final, très bien construit et équilibré, procède d’une dynamique aussi prospective que festive. « Nous utilisons uniquement des rythmes de danses populaires, en tirant plus ou moins vers le psychédélisme suivant les morceaux, explique Gabriel Moulin. Plutôt barrée, notre musique est néanmoins toujours d’abord conçue pour faire danser. »
Traditions
Faisant se rencontrer diverses traditions musicales, intensément réinventées, et plusieurs langues (occitan, catalan, portugais, français), Nocturnàlia évoque une exaltante forme d’espéranto. L’une des meilleures illustrations en est la splendide chanson inaugurale, « Cançon », qui croise les mots du poète catalan Joan Brossa avec ceux de son homologue occitan Max Rouquette.
Autre chanson phare, parmi les plus rock de l’album, inspirée par un texte de Brossa, « Elegia » invoque puissamment la figure de Salvador Puig i Antich, militant anarchiste anti-franquiste exécuté en 1974, symbole tragique de la révolte et de la quête de liberté. Transparaît ici, flagrante, la dimension politique de Raffut, dont toute la musique – foncièrement libertaire et sans frontière – sonne comme une ode enfiévrée à l’union entre les peuples.
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