Trump, sur le chemin d’un régime autoritaire

En lançant une offensive militaire en Californie, le président réveille les pires démons de l’Amérique. Trump veut son « incendie du Reichtag ». Ou sa guerre de Sécession.

Denis Sieffert  • 11 juin 2025
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Trump, sur le chemin d’un régime autoritaire
Manifestation suite à des opérations fédérales d'immigration à Los Angeles le 9 juin 2025. L
© RINGO CHIU / AFP

Avouons-le, il y a quelque chose de réjouissant à voir deux des hommes les plus puissants de la planète se rouler dans la fange. L’un accusant l’autre d’être un prédateur sexuel ; l’autre insinuant qu’il est un « toxico ». Ce sont quelques-unes des gracieusetés dont s’apostrophent Donald Trump et Elon Musk. Le second menace le premier de rouvrir le dossier Jeffrey Epstein, du nom de ce prédateur sexuel dont Trump était proche, et qui a été retrouvé pendu dans sa cellule avant d’avoir pu parler. Et Trump révèle tout à trac les addictions du milliardaire exalté qui, selon le New York Times, ne se déplacerait pas sans un pilulier qui ne contiendrait pas que du Doliprane…

Trump et Musk n’ont comme obsession que leurs affaires, où se mêlent pouvoir personnel et business.

On peut rire de cette bataille de chiffonniers, mais il faut tout de même s’interroger sur les causes profondes de cette plongée dans les égouts de la politique américaine. La première explication tient sans doute à la mégalomanie de ces deux hommes. Deux crocodiles dans le même marigot. Mais la guerre a un fond de rationalité. Musk reproche au président américain des choix budgétaires qui creusent le déficit du pays : « Une abomination répugnante », a-t-il sobrement commenté. Il est aussi ivre de rage parce que Trump n’a pas nommé son candidat à la tête de la Nasa. Pour l’heure, le résultat est désastreux pour les deux belligérants. Les cours de Tesla, la firme automobile de Musk, continuent de s’effondrer. Et la cote du Trump Media & Technology Group suit la même pente vertigineuse.

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On touche ici au fond du problème. Ces deux personnages n’ont comme obsession que leurs affaires, où se mêlent pouvoir personnel et business. C’est un cas extrême de privatisation de la politique. La corruption et le conflit d’intérêts ne sont plus dans leur imaginaire des délits, ils sont la norme, et même la condition de la « performance ». Musk a entrepris de démanteler l’État fédéral, jetant à la rue des dizaines de milliers de fonctionnaires. Trump s’attaque aux juges, au point que certains sont menacés physiquement, et tente de liquider les grandes universités qui sont autant de pôles de résistance culturelle. Le but est de lever tous les obstacles à leur liberté d’entreprendre et de s’enrichir personnellement. Ils ont évidemment les géants de la high-tech dans leur manche… et notre Bernard Arnault.

En se livrant à des provocations, Trump compte visiblement semer le chaos.

L’autre face de cette même politique est la chasse aux immigrés. Dans l’esprit de Trump, elle assure le soutien populaire. Selon un sondage CBS-News commandé par le gouvernement, 54 % de la population soutient la campagne d’expulsion. Dans ce tableau, le migrant est toujours un terroriste en puissance, ou celui qui importe d’autres cultures, et dont le sang et la couleur de peau brouillent la pureté ethnique du WASP (1) et du Blanc en général. Il est l’incarnation de toutes les grandes peurs. D’où les événements gravissimes de Los Angeles. Trump vient d’envoyer deux mille gardes nationaux contre les manifestants qui s’opposent à l’arrestation des sans-papiers.

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White Anglo-Saxon protestant.

Il n’a évidemment pas la loi pour lui. Il n’a donc de cesse d’inventer des menaces qui n’existent pas. Il parle d’une « invasion de migrants en Californie », et il voit des émeutes là où il n’y a que quelques centaines de manifestants qu’il a lui-même « convoqués » par sa politique. Mais, en se livrant à des provocations, il compte visiblement semer le chaos. Des images de guerre civile lui profiteraient. L’homme qui, le 6 janvier 2021, a encouragé la prise d’assaut du Capitole prétend aujourd’hui protéger les bâtiments fédéraux.

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Il fait un pas de plus dans la surenchère autoritaire qui s’apparente à une forme de fascisme. Il ne déplaît pas non plus à Trump de déstabiliser le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, en qui beaucoup voient un potentiel candidat démocrate à la présidentielle de 2028. Newsom, qui a porté plainte contre l’administration Trump pour le déploiement injustifié de la Garde nationale, appelle les manifestants à ne pas tomber dans le piège de la violence.

Trump ouvre beaucoup de fronts à la fois.

Il se joue à Los Angeles quelque chose de considérable. La provocation est toujours une étape dans l’installation d’un régime autoritaire. Trump veut son « incendie du Reichtag ». Ou sa guerre de Sécession. Mais la Californie est un gros morceau. Un État dans l’État qui incarne le multiculturalisme, le progressisme des mœurs et, last but not least, une économie surpuissante. Trump ouvre beaucoup de fronts à la fois. On attend le démocrate qui montera sur la table et dira « ça suffit ! ». Le pire serait que l’effroyable Elon Musk devienne le principal opposant.

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