Contre-manifestation antifasciste à Montargis : « Si jamais on se tait, tout est perdu »

À Montargis, petite ville du Loiret, le calme habituel a laissé place à un front populaire. Le 9 juin 2025, un cortège de 4 000 personnes a défilé contre la tenue d’un meeting d’extrême droite rassemblant Marine Le Pen, Jordan Bardella, Viktor Orbán et Matteo Salvini.

Thomas Lefèvre  et  Maxime Sirvins  • 10 juin 2025 abonné·es
Contre-manifestation antifasciste à Montargis : « Si jamais on se tait, tout est perdu »
La manifestation antifasciste à Montargis a rassemblé plus de 4000 personnes ce lundi 9 juin.
© Maxime Sirvins

« Nous avons montré aujourd’hui que Montargis est antifasciste », scande Manon Aubry, députée européenne de La France insoumise, face à la foule. Le 9 juin, 4 000 personnes ont convergé vers cette ville tranquille du Loiret pour protester contre la venue de la fine fleur de l’extrême droite européenne.

Le rassemblement, organisé par une large coalition de syndicats (CGT, CFDT, Solidaires, FSU, Confédération paysanne), d’organisations politiques (LFI, PCF, PS, EELV, NPA), et d’associations (Attac, Extinction Rebellion, No Bassaran), s’est voulu festif, populaire et unitaire.

L’extrême droite, les glaces et les wokes

À quelques kilomètres de là, à Mormant-sur-Vernisson (Loiret), un village de 133 habitants, c’est la « Fête de la victoire » un an après les élections européennes. Dans cette kermesse, c’est tout le gratin d’extrême droite membre du parti « Patriotes.eu » au Parlement européen qui vient se retrouver « au milieu des food-trucks et stands de glaces » comme l’explique Ici (ex-France Bleu).

(Toutes photos : Maxime Sirvins.)

Environ 5 000 sympathisants étaient attendus pour écouter Marine Le Pen, Jordan Bardella, mais aussi Viktor Orbán, premier ministre hongrois et Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres d’Italie. Au total, des représentants de neuf pays ont répondu présents à l’appel des cadres du Rassemblement National. « L’Union européenne est un empire woke et libéral », a scandé Marine Le Pen dès le début de son discours, preuve, s’il fallait en douter, de l’ambiance réactionnaire du meeting.

« On a combattu le fascisme toute notre vie »

« Ici, c’est Montargis, on ne veut pas de nazis », scandent les manifestants dans les rues étroites de la ville, tandis que quelques passants s’arrêtent pour observer le cortège. « Il faut montrer qu’on ne tolère pas le fascisme en France. On ne veut pas que ce qui se passe en Hongrie s’exporte ici », s’inquiète Gabriel, étudiant en école d’ingénieur.

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Il faut montrer qu’on ne tolère pas le fascisme en France.

La moyenne d’âge des manifestants est relativement élevée. « C’est un peu décevant de voir qu’il y a très peu de jeunes. », confie Michelle*, retraitée. Alors que les quelques nuages se dissipent en fin de matinée, la foule arrive sur la place du Pâtis, en centre-ville, où le village antifasciste est installé. Dominique, ex-enseignante à la retraite, regarde la foule avec émotion : « On a combattu le fascisme toute notre vie et on garde espoir. Le combat ne fait que commencer. On a été très surpris de les voir débarquer chez nous, à Montargis. »

Un village antifasciste

Dans un parc, les stands de syndicats, d’associations et de collectifs antifascistes sont installés, et une scène est déjà prête pour accueillir les prises de parole. Une odeur de nourriture se dégage des espaces de restauration, où un attroupement commence à se créer. Les organisateurs de l’événement insistent : « c’est une journée festive ». Preuve en est la programmation musicale de l’après-midi, après les discours des représentants associatifs, politiques et syndicaux.

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Quelques groupes de jeunes sont assis dans l’herbe pour discuter. « Je ne m’attendais pas à voir une telle manifestation ici à Montargis », souffle Ambre, qui habite dans la région. « Voir ça à côté de chez nous, c’est bien, je trouve, enchaîne-t-elle. On voit souvent des élus de droite se pavaner ici. » Ambre, comme ses amis, n’est pas rattachée à une organisation ou un parti politique, « mais on a quand même des valeurs », explique-t-elle.

À quelques pas de là, Virgil, qui travaille dans l’audiovisuel, fait part de son ressenti : « Ça fait du bien de se dire ici que, collectivement, on emmerde le Front National, on emmerde les fascistes. Venir ici, écouter les gens, échanger, découvrir de nouvelles personnes, ça permet de replacer un peu le collectif au centre de ses opinions. » Quelques centaines de personnes se rapprochent de la scène tandis que Sophie Binet s’apprête à prendre la parole.

« Si jamais on se tait, tout est perdu »

« On a besoin d’une internationale antifasciste, assène la secrétaire générale de la CGT. Derrière les promesses populistes, il y a des faits. Partout où l’extrême droite a gouverné, les droits sociaux ont reculé, la répression s’est accrue et les inégalités ont explosé. » Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT est également présente et insiste sur la dimension unitaire de cette mobilisation : « Ce 9 juin nous parlons tous d’une voix. »

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Louis Boyard, député La France insoumise, s’exprime avec gravité. « Si l’on se tait, si l’on s’habitue au racisme, si l’on s’habitue à l’islamophobie, si l’on s’habitue à l’antisémitisme, à la haine, au recul des droits sociaux, si jamais on se tait, tout est perdu. » Lors de leurs discours, la plupart des responsables politiques ont dénoncé les récents crimes racistes commis contre Aboubakar Cissé et Hichem Miraoui. Manon Aubry a également demandé la libération de l’équipage de la Freedom Flotilla qui faisait route vers Gaza, avec notamment la militante Greta Thunberg et l’eurodéputée Rima Hassan à son bord.

« On la censure, on la dégage »

Alors que les derniers discours s’échappent du village antifasciste et que la place commence déjà à se vider, une phrase de Louis Boyard revient : « cette extrême droite, quand on prétend la combattre, on la censure, on la dégage. »

 Il n’est plus minuit moins le quart. Il est minuit moins une.

S. Binet

Face aux alliances réactionnaires qui se dessinent en Europe, les manifestants, qu’ils soient militants chevronnés ou citoyens venus en voisins, ont tenu à rappeler que la réponse ne pouvait être ni timide, ni tardive. Et tandis que le soleil cogne, que certains finissent leurs repas et que d’autres participent à des tables rondes, la gravité du moment ne quitte pas les esprits. « Il n’est plus minuit moins le quart. Il est minuit moins une », assène la numéro 1 de la CGT. Un avertissement, mais aussi un appel à la responsabilité collective. Comme le lançait, plus tôt, Ian Brossat, sénateur PCF : « Restons unis, et nous gagnerons ».

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Société
Publié dans le dossier
Antifascisme, des luttes tout terrain
Temps de lecture : 6 minutes

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