Empoisonner les musulmans, tuer des imams… 16 militants du groupe d’extrême droite AFO devant la justice

Mardi 10 juin, 16 membres de l’Action des forces opérationnelles (AFO) seront jugés au tribunal correctionnel de Paris. Parmi leurs projets : tuer 200 imams, attaquer des mosquées, empoisonner de la nourriture halal.

Pauline Migevant  • 9 juin 2025 abonné·es
Empoisonner les musulmans, tuer des imams… 16 militants du groupe d’extrême droite AFO devant la justice
© Marione Lozano / Unsplash.

Treize hommes et trois femmes, membres de l’organisation d’extrême droite appelée Action des forces opérationnelles (AFO) seront jugés à partir de ce mardi 10 juin au tribunal correctionnel de Paris. Ils ont aujourd’hui entre 39 et 76 ans. Parmi eux, un ancien chef d’entreprise, un décorateur d’intérieur, un chef cuisinier, une diplômée infirmière proposant ses services de babysitting, un mathématicien, un secrétaire à l’ambassade de France au Salvador, etc. Plusieurs d’entre eux ont « un lien passé ou présent avec l’armée ou les services de sécurité nationale », comme l’indique un PV cité dans l’ordonnance de renvoi que Politis a pu consulter.

Dans une interview « confidences » [sic] au Parisien réalisée en 2018, quelques semaines à peine après les perquisitions, Guy S., le chef de cette organisation, retraité de la police nationale, expliquait : « La plupart d’entre nous sont des retraités de la police, de la gendarmerie ou de l’armée. » Dans cet entretien, il tentait de se dédouaner de tout projet d’action violente : « Vous croyez vraiment qu’à 65 ans, avec mon insuffisance cardiaque et respiratoire, je vais prendre les armes et tuer des gens ? »

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Pourtant, à l’issue de ses investigations, le procureur national antiterroriste confirmait « l’existence de projets clandestins ciblant des membres de la communauté musulmane, dans le cadre d’une organisation hiérarchisée et structurée fondée autour d’une même idéologie alimentée par l’assimilation du terrorisme djihadiste à l’islam en général, la crainte du grand remplacement, et une vision décliniste de la société française à laquelle répondait le survivalisme déviant vers l’accélérationnisme ».

À l’issue de la procédure d’instruction, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel requalifie les faits en délits. « En dépit de la gravité des projets proposés », le Parquet national antiterroriste (Pnat) avait expliqué à l’AFP avoir appliqué sa « politique pénale habituelle (…) lorsque les projets d’action violente ne sont pas pleinement finalisés ». Les 16 personnes seront ainsi jugées pour « l’infraction d’association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation de crimes d’atteintes aux personnes ». Six d’entre eux seront également jugés pour la « détention d’armes, munitions, éléments essentiels de catégorie B sans autorisation en réunion et en relation avec une entreprise terroriste ».

Lors des perquisitions effectuées en 2018, de nombreuses armes avaient été retrouvées à leur domicile.

Lors des perquisitions effectuées en 2018, de nombreuses armes avaient été retrouvées à leur domicile. Parmi elles : des armes à feu et des milliers de munitions, dont des éléments servant à la fabrication d’explosifs TATP, explosif artisanal puissant, utilisé dans les attentats ou tentatives d’attentats ces dernières années par l’État islamique.

L’AFO se prépare à l’action notamment via des stages, organisés partout en France. « On s’y forme au maniement des armes à feu, à des techniques permettant de déjouer la surveillance policière », comme le racontent les journalistes Jean-Michel Décugis et Marc Leplongeon et l’écrivaine Pauline Guéna dans l’ouvrage La Poudrière (Grasset, 2021), consacré à l’ultra-droite. Les membres de l’AFO se forment également aux « techniques militaires de combat ». Quant à la section Île-de-France, « impatiente de se confronter à l’action, se lance de son côté dans la fabrication d’explosifs et opère quelques tests », poursuivent les auteurs.

Structure hiérarchisée

L’AFO est née d’une scission avec les Volontaires pour la France (VPF). Cette dernière organisation avait été créée après l’attaque de Charlie Hebdo et agrégé jusqu’à 200 sympathisants et militants, d’après un procès-verbal de la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI). En octobre 2017, deux cadres nationaux des VPF, Guy S. et Dominique C., quittent l’organisation dont le but est de « dénoncer et combattre l’islamisation du pays ». Les deux hommes veulent agir. Deux mois plus tôt, ils ont créé leur propre structure, Action des forces opérationnelles. Elle est censée devenir « le bras armé de VPF ». En avril 2018, pas moins de 50 personnes avaient rejoint l’AFO.

Les auteurs de La Poudrière (Grasset, 2021) décrivent une structure organisée de façon hiérarchisée avec un « maillage géographique ». « Des cellules locales, sous le contrôle de cellules régionales, rendent compte au “national” », écrivent-ils. L’ordonnance de renvoi précise que l’organisation de l’AFO est divisée en trois « sphères opérationnelles ». Les « Blancs » gèrent l’aide logistique, les « Gris, formateurs » apportent « un appui en cas de besoin ». Quant aux « Noirs », ils doivent « passer à l’action ».

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Les membres de l’AFO communiquent via la messagerie Proton et ont des pseudos, Guy S., le fondateur se fait appeler « Richelieu ». Bernard S., qui dirige la section francilienne en a deux : « d’Argental » et « Souvigny ». C’est lui qui dirige la section d’Île-de-France, la plus active du pays, qui compte une dizaine de membres.

En mai 2018, un agent de la DGSI infiltre le groupe. Il dit pouvoir se procurer des armes, ce qui intéresse l’AFO. Le 8 juin 2018, il rencontre deux membres du groupe, Bernard S. et Philippe C. à la Brasserie du Pont Neuf. Ils lui évoquent notamment leur projet de « tuer 200 imams radicalisés » – même s’ils pensent ne pas être assez nombreux pour le réaliser – et de « tuer des détenus radicalisés ». Ils évoquent aussi la possibilité, en cas d’attentat, de jeter des grenades « dans la voiture des Arabes ».

« Mort pour les plus faibles »

Les documents trouvés lors des perquisitions révèlent l’avancée des projets. Et notamment celui d’empoisonner des aliments « dans 7 ou 8 supermarchés ciblés, dans des quartiers à forte concentration musulmane ». Le projet s’est défini lors d’une réunion le 16 juin 2018, à laquelle était présent l’agent infiltré. Parmi les documents retrouvés au domicile de Bernard S., le chef de la section Île-de-France, deux détaillent « l’OP Halal ».

Les membres de l’AFO envisagent d’injecter dans de la nourriture halal du cyanure ou des raticides.

« L’objectif de tuer un certain nombre d’imams n’est pas réaliste dans l’état actuel. Que faire ? » peut-on lire. Le document décrit ensuite « des solutions palliatives », envisagées par le groupe. La première opération est donc « l’OP Halal ». « L’idée est de créer localement (ou nationalement) une chute de la consommation de produits halal dans les grandes surfaces (…) tout en déclenchant un effet de panique chez les musulmans. » Le document évoque ensuite « les moyens ». À savoir : « le poison ».

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Pour mener à bien leur opération, les membres de l’AFO envisagent alors d’injecter dans de la nourriture halal du cyanure ou des raticides avant de les remettre en rayon. Le document décrit ensuite les effets provoqués par les substances. « CYANURE. Action immédiate ». Quant au Brodifacoum, « l’un des produits les plus actifs des raticides », il agit en « 24 à 48 heures » et provoque « des signes hémorragiques, anticoagulant, respiration difficile. Mort pour les plus faibles ». Si devant les enquêteurs, la plupart des membres de l’AFO affirment ignorer le projet, ce dernier est décrit comme ayant été « fédérateur » par Philippe C., chargé de recrutement au sein de la structure avec Bernard S.

L’autre opération mentionnée est « l’OP Mosquée ». L’AFO dispose de « poudre » et de « tireur à longue distance ». La mosquée visée est celle de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine), où ont « eu lieu des prières de rue ». « De l’autre côté du trottoir, peut aisément se positionner un tireur à 100 mètres », prévoit le document.

« C’est une guerre de terreur qu’il faut mener »

Les investigations se sont également fondées sur des écoutes téléphoniques. C’est au téléphone que Daniel R., alias « Tommy », « l’artificier du groupe » dit à son ami, Olivier L. qu’il n’y a « plus le temps de tergiverser ». Il ajoute : « Dès qu’on voit un barbu en kamis (…) on lui en colle une ». Idem quand « on croise deux trois nanas voilées », poursuit-il avant d’ajouter : « C’est une guerre de terreur qu’il faut mener ». Daniel R. sera décrit par l’agent infiltré « comme l’un des plus déterminés psychologiquement à passer à l’acte ».

À l’issue de l’instruction, le seul à avoir admis que l’objectif de l’AFO « était de commettre des crimes contre les musulmans », est Karl H., chef cuisinier de 52 ans, dont le pseudo était « Flam ». Aux inspecteurs, il a expliqué « avoir participé à quatre réunions, mais ne pas avoir été en accord avec les pratiques », lui étant plutôt « sur du survivalisme ». Il explique avoir coupé les ponts avec l’AFO à partir de fin mars 2018, et ne pas avoir été au courant du « projet halal ». Les autres personnes jugées demain ne reconnaissent pas les faits pour lesquels elles sont poursuivies.

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Aux inspecteurs, plusieurs expliquent être un « groupe de défense » luttant contre « l’islamisation de la France ». Philippe C., décrit par l’agent infiltré comme un des plus « déterminés psychologiquement à passer à l’acte » parle de l’AFO comme « d’un mouvement de résistants, de patriotes avec un grand “P”, qui viendrait en soutien des forces armées en cas de conflit interne ou externe ».

Cette idée est reprise par d’autres membres de l’AFO comme Dominique C., qui parle « d’aider les forces de l’ordre si un jour elles étaient débordées” ». Marie-Véronique R., chargée de la communication du site Réveil Patriote, par lequel passait une partie des recrutements, explique aux inspecteurs que l’objectif de l’AFO est de « lutter contre l’intégrisme musulman ». Le procès durera jusqu’au 27 juin.

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