Égypte : la Marche pour Gaza bloquée
Après plusieurs semaines de négociation à distance, la mobilisation internationale pour rejoindre Gaza a finalement été bloquée. Selon les organisateurs, plus de 4 000 personnes venues de 80 pays s’étaient retrouvées ce 12 juin au Caire afin de rejoindre Rafah et le point de passage pour Gaza afin de faire lever le blocus de l’aide humanitaire.

© Édith Bouvier
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« On ne peut pas accepter de se faire réprimer alors qu’un génocide se passe sous nos yeux » À Paris, des mères rassemblées pour les enfants de PalestineLe projet, dès le départ, était risqué. Dans un pays comme l’Égypte, où les manifestations sont sévèrement réprimées, obtenir l’autorisation de traverser le Sinaï, une zone sous haute surveillance militaire, s’annonçait difficile.
« Nous avons rencontré les représentations diplomatiques dans nos pays, ils ne nous ont pas clairement opposé de refus. Mohamed Ngem, l’ambassadeur égyptien à Bern, nous a dit que « toute initiative qui vise à promouvoir la paix dans la région est la bienvenue ». On a considéré cela comme un possible feu vert. On était peut-être trop optimiste, mais on n’a jamais prévu de faire quoi que ce soit d’illégal », explique, avec une pointe de dépit, le docteur Hicham al Ghaoui, basé à Verdier en Suisse et porte-parole de sa délégation.
Après plusieurs missions humanitaires à Gaza en 2024, c’est lui qui, avec plusieurs Suisses, lance cette initiative. « Sur place, j’avais l’impression d’être inutile. On soigne la population, mais de toute façon l’issue est la même. L’aide humanitaire ne rentre plus et les gens meurent de faim. Alors, fin avril, j’ai posté un message sur les réseaux disant : « Pourquoi le monde entier ne marche pas sur Gaza ? » J’ai reçu des messages de partout, de citoyens et d’humanitaires. En fait, tout le monde avait l’idée, il fallait juste un catalyseur d’une réaction qui était déjà là. »
Ces derniers jours, plusieurs milliers d’activistes du monde entier s’inscrivent dans des groupes sur les réseaux sociaux et rejoignent donc la capitale du Caire, parmi eux plus de 600 Français. Face à cet afflux, les autorités égyptiennes se prononcent finalement plus clairement. Tout en réaffirmant l’importance des pressions sur Israël pour lever le blocus de Gaza dévastée par la guerre entre l’armée israélienne et le Hamas, l’Égypte fait savoir que « toute forme d’action pro palestinienne de délégations étrangères sur son territoire doit recevoir une autorisation préalable ».
Arsenal sécuritaire
Quelques heures plus tard, plus de 200 internationaux sont expulsés vers leurs pays d’origine. Parmi eux, une vingtaine de Français. Le lendemain, malgré tout, les organisateurs maintiennent l’idée d’un rassemblement pacifique, tout en ajustant la destination. « Quand ils ont refusé clairement le passage vers la ville d’Al Arish et Rafah, on a décidé de tous se rassembler dans la ville d’Ismaïlia, sur les rives du canal de Suez, à 45 km du Caire. De là, on aurait pu être ensemble et continuer à porter la voix des Gazaouis », explique Alice, de la délégation suisse.
Mais les autorités égyptiennes ne voient pas les rassemblements d’un bon œil et déploient leur arsenal sécuritaire. Ce qui devait être une mobilisation pour la paix à Gaza tourne court. Les manifestants sont interpellés les uns après les autres sur la route. Marcy était dans un taxi, à quelques kilomètres à peine de son hôtel, avec une amie quand la police l’a arrêté et conduit en interrogatoire dans les locaux de la sécurité générale à l’aéroport.
« Ils n’ont pas été agressifs, mais je pensais vraiment qu’on allait être déportés. Certains ont appelé leur ambassade. Moi, je savais qu’avec Donald Trump à la tête du pays, ça ne servait à rien de chercher de l’aide ». Malgré son stress encore visible, cette professeure américaine garde le sourire. Au bout de 7 heures de détention dans des bureaux de la sécurité générale, elle est finalement relâchée avec une centaine de personnes. Plus de deux cents autres marcheurs sont arrêtés aux check-points et escortés jusqu’à la capitale égyptienne après plusieurs heures d’attente sur le bord de la route.
Personne n’avait anticipé de se faire bloquer comme ça. Ils ont pris nos passeports et on pouvait rien faire.
Dimitris
« On était au milieu de nulle part. Les gens devaient rester dehors, en plein soleil, à attendre et beaucoup s’évanouissaient à cause de la chaleur. Personne n’avait anticipé de se faire bloquer comme ça. Ils ont pris nos passeports et on pouvait rien faire », raconte Dimitris, un militant grec.
« On a eu très peur quand ils ont pris nos passeports. Ils ont noté nos dates d’arrivée mais rien de plus. On était plusieurs centaines, des gens du monde entier. Malgré le stress, les gens se sont entraidés. On a pu rencontrer le petit-fils de Nelson Mandela qui nous a apporté son énergie et ça nous a donné un sentiment de sécurité », explique Hamish, une marcheuse belge. Au moment de monter dans les camions, la situation a dégénéré. « Les activistes qui refusaient de suivre les policiers ont été violemment pris à partie et tabassé par des hommes en civil, masqués qui frappaient les manifestants qui refusaient de monter dans les bus ».
Comité d’accueil
D’autres sont parvenus à rejoindre la ville côtière d’Ismaïlia. Mais là encore, le comité d’accueil ne leur a pas laissé le temps de se mobiliser. Maryvonne est arrivée sur place toute seule, elle n’a pu retrouver son hôtel du Caire que le lendemain à 7 heures du matin. « J’ai eu très peur. On ne savait pas où il nous conduisait, ils avaient nos passeports et rien était clair ».
On voulait que le monde regarde ce qui se passe à Gaza.
Hamish
Passé la frayeur, beaucoup se posent la question de la suite de la mobilisation. « On se sent complètement abandonnés par nos délégations. Plus aucune nouvelle des Français depuis notre arrivée ici. C’est très déconcertant », décrit encore avec colère cette humanitaire de formation. La plupart des participants ont prévu de rester jusqu’au 20 juin en Égypte, mais ne savent plus trop quelle portée donner à leur démarche. Surtout que le convoi humanitaire organisé par l’ONG tunisienne Soumoud est toujours bloquée en Libye et n’a pas l’autorisation de traverser la frontière égyptienne.
« Il ne faut pas oublier pourquoi on est venu ici, rappelle encore Hamish, l’activiste belge. On voulait que le monde regarde ce qui se passe à Gaza. Et compte tenu de l’intensification des frappes, il faut continuer à espérer que cette mobilisation soit entendue ». D’autres sont plus énervés, poussés par le désespoir de la situation à Gaza et le sentiment d’impuissance. « Nous on est venus pour aller jusqu’à Rafah et on ira coûte que coûte. On va louer des quads, des voitures, mais on ne lâchera pas », annonce Bilel, un activiste français.
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