Retraites : François Bayrou entre en mode survie
Alors que le conclave sur les retraites se clôt sans accord, le premier ministre a choisi de lancer des dernières consultations à Matignon avec les syndicats et le patronat. La gauche prépare ses motions de censure.

© ALAIN JOCARD / AFP
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Conclave : comment le Medef a planté les négociations Dialogue social piétiné, CFDT isolée, patronat triomphantDans un duel au pistolet, la victoire revient souvent à celui qui dégaine en premier. En politique, la règle est similaire. Peu après 22 heures le 23 juin, le conclave se termine. Aucun accord signé après quatre mois de discussions. Une demi-heure plus tard, le communiqué de La France insoumise (LFI) est diffusé sur les réseaux sociaux. Premier tir. À croire que les troupes de Jean-Luc Mélenchon s’y attendaient… « 116 jours à discuter de points de détails, avec un droit de veto accordé au Medef. La méthode Bayrou est un échec monumental », écrivent les insoumis.
Dans la foulée, Mathilde Panot, patronne du groupe mélenchoniste, envoie une missive à Cyrielle Chatelain, Stéphane Peu et Emeline K/Bidi et Boris Vallaud, ses homologues écologistes, communistes et socialistes. « Je vous propose de cosigner une motion de censure contre le gouvernement de François Bayrou », soumet Panot.
En vérité, l’initiative mélenchoniste s’explique aussi par leur impossibilité de déposer une motion de censure 100 % insoumise : 27 députés LFI ont atteint la limite maximale de trois signatures par session de ce type de motion. De ce fait, le groupe doit trouver 14 autres signatures, sur les 58 nécessaires, pour espérer faire tomber le gouvernement.
Sous pression, le premier ministre se doit de réagir. À 7 heures depuis l’hôtel de Matignon ce mardi 24 juin, François Bayrou refuse toute forme d’échec. « Dans la dernière ligne droite, on est arrivé très près d’un accord historique, dit-il. Je considère donc que notre devoir est de ne pas baisser les bras et de tout faire pour permettre de dépasser un tel blocage. »
Une dernière chance. Le centriste convie les syndicats et le patronat à son bureau, convaincu que c’est au 57 rue de Varenne qu’une « voie de passage » peut être trouvée. « Il veut meubler, raille un député écolo. Il voit arriver les choses, mais il ne fait rien ou il a un temps de retard. C’est son côté Joe Biden. » « Il a tout de suite réagi en essayant de continuer la discussion parce que des choses étaient quasiment actées », le défend la députée Modem Perrine Goulet.
Gagner du temps
L’initiative ne calme pas la gauche. « Nous souhaitons que l’ensemble des groupes de gauche retrouve le chemin de la censure », implore Mathilde Panot, ce matin du 24 juin. « Le pape François 0 a finalement échoué dans ses subterfuges, grince le porte-parole du groupe Écologiste et social, Benjamin Lucas. Nous avons encore entendu ce matin un premier ministre qui veut gagner du temps. » De leur côté, les socialistes enragent. Ils considèrent depuis plusieurs jours que François Bayrou cherche à tout prix à éviter le Parlement.
Le 17 juin, le centriste, interrogé par le patron du groupe socialiste Boris Vallaud, avait déclaré : « Est-ce qu’il y aura un accord ou est-ce qu’il n’y en aura pas ? C’est ce que nous découvrirons à la sortie. Et j’ai dit que s’il y avait un accord, il serait soumis au Parlement. Et s’il n’y a pas d’accord, c’est la réforme telle qu’elle a été adoptée qui s’appliquera. C’est ce que j’ai dit ici sans changer. »
On a un problème de méthode avec François Bayrou. Il ne tient pas du tout ses engagements.
P. Christophle
Une réécriture de l’histoire ? Dans une lettre que Bayrou avait adressée aux socialistes le 16 janvier, il est écrit : « Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global, nous présenterons néanmoins, les avancées issues des travaux des partenaires sociaux, sous réserve d’un accord politique et d’un équilibre financier global maintenu. » L’accord de non-censure négocié par les socialistes avait donc pour condition que l’Assemblée ait le dernier mot. « On a un problème de méthode avec François Bayrou. Il ne tient pas du tout ses engagements. Il revient en arrière, il est dans une stratégie d’évitement du Parlement », dénonçait le socialiste Paul Christophle il y a quelques jours.
Plus de répit au PS
Au sein du groupe socialiste, le débat n’existe plus. Tout le monde est convaincu qu’il faut faire tomber François Bayrou. Pour certains, c’est le timing parfait. Une censure avant l’été permettrait de ne pas percuter les discussions parlementaires autour du budget prévues à l’automne et, ce faisant, cela éviterait au pays de sombrer dans un prétendu chaos politique.
« C’est au premier ministre de dire le chemin désormais. Si cette absence d’accord n’aboutit pas à un retour au Parlement, alors nous le censurerons. S’il y a retour au Parlement et capacité de discuter de l’ensemble des paramètres, y compris de la mesure d’âge, alors cette responsabilité d’éviter la censure est dans les mains du premier ministre », expose le socialiste Arthur Delaporte, demandant à Bayrou d’inscrire sans délai un projet de loi permettant au Parlement de débattre de la réforme Borne.
Seuls François Hollande et quelques-uns ont tenté, en réunion de groupe ce mardi matin, de défendre encore une ultime période de répit. « Il continue d’essayer de convaincre certains en leur disant qu’il faut encore attendre, qu’il faut laisser au gouvernement une toute dernière chance, qu’il faut aller au bout du processus, raconte un cadre du groupe. Il a peut-être l’idée que la non-censure peut être un marqueur d’un espace social-démocrate, d’une gauche hyperresponsable pour se distinguer de LFI… »
Il ne serait pas compréhensible qu’il y ait deux motions de censure qui disent la même chose.
B. Lucas
En coulisses, les groupes écologiste et communiste comptent s’entendre pour écrire une motion de censure commune, hypothétiquement examinée en début de semaine prochaine, qu’ils soumettraient dans un second temps au reste de la gauche. Une façon d’éviter un nouveau duel entre les mélenchonistes et les roses.
« Il ne serait pas compréhensible qu’il y ait deux motions de censure qui disent la même chose », balaie Benjamin Lucas. Mais les socialistes entendent néanmoins porter leur propre motion si Bayrou ne respecte pas sa parole. « Nous serons à l’initiative », promet Arthur Delaporte. Les violons doivent encore s’accorder. Mais dans quel intérêt ? Le Rassemblement national (RN) n’envisage pas de voter la censure de Bayrou. Pour le moment.
Bombe lâchée
À 15 heures ce mardi 24 juin, la séance de questions au gouvernement s’ouvre à l’Assemblée. Le siège du premier ministre est vide, François Bayrou est en retard. Peu importe pour l’insoumis Damien Maudet qui lance dans l’hémicycle : « Il y a 117 jours, vous avez promis au Parlement d’enfin voter sur la réforme des retraites. 117 jours après, sans surprise, toujours rien. Monsieur le premier ministre, vous avez tenu 117 jours sur un mensonge. 117 jours de trop. Monsieur le premier ministre, partez par vous-même, mettez votre réforme dans les cartons ou nous vous censurerons. » Le locataire de Matignon arrivera plus tard pour entendre la fin de l’interpellation.
Peu après, Boris Vallaud en remet une couche. « En dépit de cet échec, allez-vous comme vous vous y êtes engagés déposer sans délai, d’ici même la fin de cette semaine pour éviter toute manœuvre dilatoire, un texte de loi ouvrant la voie à une réforme nouvelle sans totem ni tabou ? » Réponse de Bayrou : « Il existe un chemin, très difficile, qui peut permettre de sortir de cette impasse. Ce chemin débouchera sur un texte, ou devrait déboucher sur un texte dois-je dire, qui pourra être examiné par la représentation nationale. »
L’art d’entretenir l’ambiguïté. Vallaud renchérit : « Le respect de la parole donnée est à la base même de notre régime démocratique. Vous n’avez pas tenu des engagements sur ce sujet comme sur bien d’autres. Cela nous contraint à déposer une motion de censure contre votre gouvernement. »
La machine ne peut plus s’arrêter. « C’est fini, on ne va pas revenir en arrière », lance le socialiste Laurent Baumel en sortant de l’hémicycle. « Il a tout fait pour gagner des jours. Maintenant, c’est terminé. Le gouvernement est en sursis, assure Paul Christophle. Ils ont trahi notre confiance, tous les engagements qu’ils ont pris durant nos négociations ont été annulés par décret, et ils veulent nous balader sur les retraites… Est-ce qu’on va encore former un pacte budgétaire avec ceux qui trahissent tout ? Non. » La bombe est enfin lâchée.
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