« Sauve qui peut », paroles inouïes

Un documentaire sur la souffrance des soignants.

Christophe Kantcheff  • 3 juin 2025 abonné·es
« Sauve qui peut », paroles inouïes
On entend dans ce film ce qui ne se dit jamais auprès des patients, et pas beaucoup plus entre soignants, car il faut montrer aux autres que l’on tient bon .
© Singularis films

Sauve qui peut / Alexe Poukine / 1 h 38.

Est-il possible, quand on est soignant, d’apprendre à annoncer une mauvaise nouvelle à un patient ? De savoir comment se comporter avec la famille ? La réponse est oui, mais cela ne se présente évidemment pas au cours des études de médecine, peu portées sur la capacité d’empathie. Il existe pour les soignants des centres de simulation médicale où ce travail est effectué.

Le principe en est le suivant : des étudiants et des soignants confirmés jouent des situations, souvent critiques, qu’ils ont ou non connues, face à des comédiens ou encadrés par eux. Puis, lors du débriefing qui suit, chacun est amené à exposer ce qu’il a ressenti, en vue d’analyser les éventuelles maladresses, de réfléchir à ce qui peut diminuer les sources de stress, etc.

Questions essentielles

Après avoir vécu une mauvaise expérience avec un médecin indélicat, la réalisatrice Alexe Poukine a désiré poser sa caméra dans l’un de ces centres. Il ne faut pas attendre des scènes de jeu qu’elles résonnent comme au théâtre (le côté factice est donc souvent présent). L’une des encadrantes lance d’ailleurs aux soignants qu’ils ne sont pas là pour faire du Shakespeare. Ils cherchent à être au plus près de la manière dont ils s’y prendraient dans la vraie vie.

Pour les débutants, c’est plus difficile car ils se lancent dans l’inédit. Ainsi, l’une des étudiantes ne peut réfréner ses pleurs quand elle annonce à une femme qu’elle est atteinte d’un cancer. Mais, assez vite, on passe des cas individuels à ce qui pèse sur le collectif : la gestion productiviste de l’hôpital, qui pousse les soignants à dépasser leurs limites, voire au burn-out (pour certains au suicide) et les empêche d’exercer leur métier convenablement. Quelqu’un explique que les patients, loin d’être au cœur du système de soin, sont devenus des variables.

Sur le même sujet : « Je n’ai qu’une hâte : quitter l’hôpital public »

On entend dans ce film ce qui ne se dit jamais auprès des patients, et pas beaucoup plus entre soignants, car il faut montrer aux autres que l’on tient bon ; sa propre défaillance ne doit pas retomber sur la charge de travail des autres. Les soignants s’interrogent aussi sur les raisons de la dérive de ce service public auquel ils tiennent tant. Pourquoi si peu de réactions collectives, de mobilisations ? Sauve qui peut – quel choix de titre ! – soulève des questions essentielles. 

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes