Mineurs non accompagnés : après la répression policière, la répression administrative

Après l’expulsion de la Gaîté lyrique en mars, 23 jeunes ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une répression vivement dénoncée par le collectif des jeunes du parc de Belleville. Vendredi 6 juin avaient lieu les premières audiences au tribunal administratif.

Élise Leclercq  • 7 juin 2025
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Mineurs non accompagnés : après la répression policière, la répression administrative
Lors de l'expulsion des jeunes de Belleville de la Gaîté lyrique, en mars 2025.
© Maxime Sirvins

« Je vais être un peu plus longue pour cette première affaire afin de ne pas me répéter ensuite car elles sont similaires », commence Me Laure Barbé. En effet, ce vendredi au tribunal administratif de Paris, trois premières audiences des obligations de quitter le territoire français (OQTF) remises aux jeunes mineurs isolés se succèdent. Dans la petite salle du tribunal, quelques soutiens sont présents. S’ensuit un petit rappel du contexte de ces audiences.

Au cours de l’expulsion de la Gaîté lyrique de mars dernier, une vingtaine de personnes se sont fait arrêter. Si les soutiens ont pu sortir rapidement, les jeunes du collectif du parc de Belleville n’ont pu repartir qu’après avoir reçu une OQTF. Or, comme le rappelait Me Florian Bertaux dans les colonnes de Politis, ces OQTF ne sont pas légales compte tenu du fait que des mineurs ne peuvent en faire l’objet.

Scinder le collectif

Car tous étaient en recours au moment de leur arrestation. C’est pourquoi, mardi 27 avait lieu un meeting unitaire rassemblant plus de 300 personnes à la Bourse du travail pour manifester leur soutien. Le but de ces procédures est clair pour toutes et tous : faire peur et scinder le collectif. Azoumane Sissoko, membre de l’intercollectif des sans papiers, atteste : « Nous aussi on a connu ça, les OQTF sont un outil de repression. »

Il n’y a aucune mention d’une saisine du juge pour enfant, de déclaration d’âge des jeunes ni de documents existants.

Me Barbé

C’est d’ailleurs le point saillant de ces audiences. Comme le rappelle leur avocate, deux éléments sont à approfondir : qui est le signataire de ces décisions – toutes été réalisées en à peine quelques heures – et pourquoi n’y a-t-il pas eu d’examen approfondi ?

« Il n’y a aucune mention d’une saisine du juge pour enfant, de déclaration d’âge des jeunes ni de documents existants. C’est une preuve de manque d’examen », insiste Laure Barbé qui ajoute que déjà sept OQTF ont été annulées, les jeunes ayant été reconnus comme mineurs entre-temps ou la préfecture ayant abandonné. L’un d’eux était présent lors du meeting unitaire : « Je me sens libéré mais il faut continuer pour mes amis. »

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Une représentante de la préfecture maintient qu’il n’y a pas eu de défaut d’examen et que des demandes ont été effectuées depuis pour demander certaines informations et documents aux autorités consulaires. Pour le moment, elle n’a obtenu aucune réponse.

Dates de naissance aléatoires

Une défenseure des droits a été saisie par plusieurs jeunes. Elle maintient aussi que plusieurs jeunes se sont vu attribuer des dates de naissance aléatoires et fictives, ce qui montre bien qu’elles sont « fausses de fait ». « Le préfet explique qu’il y aurait une présomption de majorité dès lors que le département ne prend pas en charge les personnes (…) mais on voit bien ici le caractère précipité et mouvant du fait de leur recours », continue-t-elle. « Au niveau du Conseil constitutionnel, il y a un intérêt supérieur de l’enfant qui impose à l’État d’apporter des garanties (…) C’est pourquoi à notre sens, dès qu’un recours est en cours, une mesure d’éloignement ne peut être prise. »

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Deux autres affaires concernant des membres du collectif s’enchaînent, avec quasiment les mêmes problématiques. L’un d’eux a depuis reçu son passeport, il n’y a donc pour son avocate plus aucun doute sur sa minorité. Les délibérés auront lieu sous 15 jours.

« On n’est pas beaucoup mais on est fort »

Sur la place Saint-Paul, tout le monde en est convaincu. Quelques minutes auparavant, un rassemblement était organisé pour soutenir les premiers jeunes visés. Une cinquantaine de personnes sont réunies. « On n’est pas beaucoup mais on est fort », chantent les membres du collectif puis, repris en chœur, « siamo tutti antifascisti ».

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Felix, un soutien de longue date, prend la parole : « On vient de sortir du tribunal et ce qui est sûr, c’est que la préfecture n’a pas du tout examiné les situations, la représentante s’est même trompée sur les nationalités ! » Mamadou, délégué du collectif, est aussi confiant : « Je ne pense pas que ce sera difficile de prouver qu’ils sont mineurs, ils ont leurs recours et actes de naissance. » Pour lui et tous les autres, leur détermination ne faiblit pas.

« Une lutte existe au tribunal mais aussi ici, sur le parvis, contre toutes les OQTF en général. On continuera à manifester », conclut Felix. Car ces procédures administratives, comme le rappelaient les soutiens au meeting, permettent de déshumaniser : « Si une victime est sous OQTF, on retiendra ce dernier point là. » Une autre manifestation aura lieu mardi 10 juin, où se dérouleront d’autres audiences.

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