« La France savait que si mon fils allait là-bas, sa vie serait détruite »
Mère d’un jeune de 19 ans expulsé en Guinée, Mharry raconte comment son fils a été dénoncé par l’hôpital où il était suivi et expulsé malgré son état de santé.

© Pauline Migevant
Au fil des lois et des circulaires, la politique d’enfermement et d’expulsion des personnes étrangères soumises à des obligations de quitter le territoire français (OQTF) se durcit. Menée par les préfectures, cette politique continue de briser des vies dans une ignorance et une indifférence quasi-générale. Mharry pensait que son fils de 19 ans, suivi pour schizophrénie en France, ne serait pas expulsé en Guinée, pays où il ne peut pas être soigné. Son expulsion en mars dernier lui a donné tort. Depuis, l’état de santé de son fils se dégrade. En France avec ses deux autres enfants, Mharry dénonce les conséquences de ce système mortifère.
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Comment la préfecture de police a expulsé par erreur Ibrahima, confondu avec un homonyme Comment Retailleau a utilisé un féminicide pour enfermer les étrangers plus longtempsCe matin je me suis levée. J’avais mal au cœur, comme une attaque. Je suis allée me promener. Je n’arrive pas à dormir la nuit. Dès que j’entends mon téléphone, j’ai le cœur qui bat fort car je ne sais pas si on va me dire que mon fils est mort. Mon fils a 19 ans, il est schizophrène. Mes autres enfants, ses petits frères, ont 12 et 10 ans. Ils ne savent pas que leur frère a été expulsé en Guinée. Ils pensent qu’il est à l’hôpital, qu’il va revenir pour jouer à Minecraft. Ils ne comprennent pas ce que ça peut être, l’expulsion. Une fois, j’ai essayé de leur dire. « C’est quand on renvoie quelqu’un dans son pays. » Mais ils n’arrivent pas à comprendre.
Je n’arrive plus à pleurer car mes larmes sont finies.
J’ai déjà pleuré toutes les larmes de mon corps. Je n’arrive plus à pleurer car mes larmes sont finies. Je ne vis pas, en fait. Mon cœur est ailleurs. Si demain on m’appelle pour me dire que mon fils est mort, je vais accuser la France.
Ça s’est passé comme ça. Fin 2023, son hospitalisation en psychiatrie se terminait, son médecin m’a appelée. « La préfecture m’a ordonné de le mettre aux mains de la police. Votre fils a eu une OQTF. » Je n’étais pas au courant. Mon fils m’a expliqué qu’un jour, alors qu’il était sorti pour se promener, il avait été contrôlé par la police. Dans leur rapport, ils disent que mon fils a dit « Allah Akbar », que c’est un mot terroriste. Il avait un couteau qu’il avait utilisé pour manger son orange et qu’il avait remis dans son sac.
Au téléphone, mon fils m’a dit : « Maman, moi, je ne savais même pas que c’était. La police m’a dit de signer ici. J’ai signé. Et c’était une OQTF. » Plus tard, il a été jugé irresponsable pour l’affaire du couteau. On pensait que c’était fini. Avec l’OQTF, je ne savais pas comment ça se passait parce que son avocat n’en avait pas parlé. Il a été hospitalisé à nouveau. Avant qu’il ne sorte, son médecin m’a encore appelée pour me dire : « Madame, la préfecture a ordonné qu’on remette votre fils à la police pour l’amener au CRA* » Il a dit qu’il ne voulait pas mais que c’était un ordre de la préfecture. Je l’ai supplié : « S’il vous plaît, ramenez-le à la maison. »
Centre de rétention administratif.
Cette fois-là, ils ne l’ont pas donné à la police. Mais quelques jours après, en mars 2024, il est retourné à l’hôpital pour une visite de contrôle et pour prendre un dossier médical. Ils l’ont fait asseoir à l’administration et la femme a commencé à appeler des gens. Mon fils a vu qu’elle manigançait quelque chose. Elle était en train d’appeler la police. Mon fils s’est levé, il est parti, parce qu’il avait peur. Il est monté dans la voiture de son ami. La dame a noté la plaque d’immatriculation de la voiture. La police a suivi la voiture, a attendu trois heures devant chez son ami et ils ont attrapé mon fils. Tout ça est écrit dans le rapport de la police. Il a fini par m’appeler avec un autre téléphone : « Maman, ils m’ont amené en prison ici. » Ils l’avaient mis au CRA.
Pendant l’audience pour contester l’OQTF, la préfecture a dit qu’ils retenaient mon fils, parce qu’il aurait dit « Allah Akbar ». Ils ont dit que pour cette raison mon fils devait être expulsé. Le juge a voulu le relâcher, mais le procureur a fait appel. Il est resté au CRA. Lors de ma première visite, j’ai vu que mon fils n’allait pas bien. Il commençait à trembler des mains comme quand il faisait ses crises de schizophrénie. Il m’a dit : « Maman, ça ne va pas ici, je n’ai pas mes médicaments comme il se doit, le médecin qui passe ici, il fait semblant, il ne veut pas m’écouter. » Là-bas, les conditions sont indignes : la nourriture est mauvaise, il n’y en a pas assez et les gens deviennent fous.
Mon fils a fait 3 mois au CRA puis on l’a relâché. On lui a donné une assignation à résidence. Il devait signer plusieurs fois par semaine. Il avait peur car il y avait la police là-bas. Un jeudi, quelques semaines après qu’il ait été libéré, il est parti signer. J’ai reçu un appel : ils l’avaient remis au CRA.
La loi, c’est pas ce qui est écrit mais ce qui est dans leur tête.
Moi, j’ai essayé d’appeler notre ambassade. Ils m’ont dit que comme mon fils était malade et que la France avait les preuves, il ne pouvait pas être expulsé. L’ambassade a dit : « Madame, en tant que personne malade, nul ne peut le rapatrier, il a besoin de soins. » Mais la France a réussi à l’expulser, cette année, en 2025. La troisième fois qu’ils l’ont mis en centre de rétention, il est resté deux semaines et ils l’ont mis dans un avion. Mon mari m’avait parlé de la loi européenne, qui disait qu’on donnait tous les soutiens du monde à ceux qui sont malades. Il m’avait rassurée, ça m’avait apaisé le cœur. Mais la loi, c’est pas ce qui est écrit mais ce qui est dans leur tête.
« Aujourd’hui j’accuse la France car leur administration expulse les étrangers »
Depuis qu’il est parti en Guinée, sa santé s’est dégradée, il ne fait que marcher dans la rue. Il ne peut pas rester tranquille. Il reste bouche bée, il ne parle à personne. Il marche des kilomètres à pieds sans savoir où il va. Un jour, il a marché deux heures comme ça. Un monsieur que je ne connaissais pas m’a appelée par vidéo. Il me montre mon fils : c’est comme un squelette assis, recouvert de peau.
Son regard est vide, il ne me dit rien. « Votre fils est venu, il a marché jusqu’à mon petit village. » Mon fils s’était assis dans le restaurant du monsieur. Il ne parlait pas, la seule chose qu’il avait pu faire c’est lui donner mes coordonnées. Chaque jour, il part et on le cherche. Il est complètement perdu, il ne parle pas. Il se lève, il marche. Quand il se fatigue, il s’assoit là où il est. Quand j’appelle, il ne veut pas me parler. Une femme qui connaît d’autres gens qui ont été expulsés m’a dit : « Les gens qui sont expulsés, ils ne se retrouvent pas. Ils sont traumatisés comme si on leur avait injecté quelque chose, pour ne pas que tu retrouves la mémoire, pour ne pas que tu puisses revenir en France. »
Pour eux, si tu n’as pas ta carte, tu ne dois pas vivre. Tu dois être tué. Ils ont tué mon fils.
Depuis que je suis arrivée en France, le petit temps que j’ai je le sacrifie : je suis bénévole partout, dans les centres sociaux, pour aider les autres à s’améliorer dans la langue. Aujourd’hui j’accuse la France car leur administration expulse les étrangers. Chez moi en Guinée il n’y a pas ce remède pour la schizophrénie. Ils savaient que s’il allait là-bas, sa vie serait détruite et ils l’ont quand même expulsé.
La loi dit qu’une personne malade quelle que soit sa situation administrative, on ne peut pas la chasser du pays. Mais eux, ils ont chassé mon fils car il n’avait pas sa petite carte de séjour. La vie humaine ne compte plus, c’est leur carte de séjour qui compte. Pour eux, si tu n’as pas ta carte, tu ne dois pas vivre. Tu dois être tué. Ils ont tué mon fils.
« Qu’ils m’expulsent, je m’en fous »
Je vais le dire partout où je peux, même à la télé. Qu’ils m’expulsent, je m’en fous. Je n’ai tué personne, mon fils non plus. On l’accuse de rien. C’est seulement un étranger. Les policiers, c’est ceux qui lui ont fait mal. Ici, on est harcelés partout que ce soit par notre religion ou notre couleur de peau. Mais nous, on est fier d’être ce qu’on est. En France ta tête est noire on t’expulse. On vient nous chercher. En Europe, être noir est un crime. Actuellement, personne n’est en paix.
Ils font ça dans leur administration, dans leur télé : ils nous désignent par des mots blessants. On ne peut pas réagir. Si tu réagis ils te poursuivent. On est obligé de se taire, c’est comme si on était en prison. Tu n’as qu’à te cacher. On a peur. Tu es obligé d’accepter certaines choses même si tu ne veux pas. C’est comme ça la vie d’un Africain en Europe. On doit se cacher dans nos petits coins. C’est la guerre des riches contre les pauvres et nous les étrangers nous sommes des pauvres. On t’assassine. On te fait mort vivant comme mon fils.
Au lieu de te venir en aide si tu en as besoin, ils préfèrent payer leur centre de rétention à des millions d’euros.
Quand on t’enferme dans leurs centres de rétention, même s’ils n’ont pas la possibilité de t’expulser sans le laissez-passer, ils font exprès de rallonger le temps où t’es enfermé pour te traumatiser. On te laisse là-bas, tu n’es plus toi-même. Jusqu’à leur dernier souffle, ils veulent les fatiguer. Au lieu de te venir en aide si tu en as besoin, ils préfèrent payer leur centre de rétention à des millions d’euros. Ils préfèrent te prolonger dans leurs centres de rétention jusqu’à ce que tu meures ou qu’ils t’expulsent.
Même quand tu n’es pas expulsé, t’es suivi de A à Z. Dès qu’une personne est noire ou africaine, la police fait des contrôles. Comme si pour eux, il fallait faire souffrir les gens. Tu ne peux plus respirer, tu n’es plus libre. ils ne veulent pas donner la paix. Tous les ministres qui sont là actuellement, c’est des racistes. Je n’aimerais pas mourir ici, dans un pays qui m’a fait tant de mal. Quand les enfants auront 18 ans, on partira pour vieillir ailleurs.
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