Fanon l’Algérien
Abdenour Zahzah signe un très beau film sur le jeune psychiatre en poste à l’hôpital de Blida.

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Fanon, Lumumba et le néocolonialisme « Fanon nous engage à l’action » Frantz Fanon, un éclairage disputé sur l’héritage colonial « Sans l’hôpital psychiatrique de Blida, Fanon n’aurait pas existé tel qu’on le connaît »Frantz Fanon, Abdenour Zahzah, 1 h 31. En salle le 23 juillet.
Trois mois après Fanon, de Jean-Claude Barny, sort sur les écrans un autre film consacré à l’auteur des Damnés de la Terre : Frantz Fanon, du cinéaste algérien Abdenour Zahzah. La période envisagée est la même, celle où le jeune psychiatre est en exercice à l’hôpital Blida-Joinville, à partir de 1953 et jusqu’en 1956. Cependant, les deux œuvres ont peu en commun sur le plan cinématographique et sont de force inégale, le premier, avec sa tentative maladroite d’introduire du spectaculaire, s’étant indifférencié par rapport au gros de la production courante.
Le film d’Abdenour Zahzah, beaucoup plus singulier, frappe avant tout par son authenticité, le sentiment de véracité qui en émane. Il faut dire que Fanon est un sujet de cinéma qui occupe depuis longtemps le réalisateur, qui lui a déjà consacré un documentaire en 2002, Frantz Fanon, mémoire d’asile. Pour Zahzah, la fiction n’implique aucune diversion par rapport à son choix premier, radical : Fanon (Alexandre Desane) au travail dans l’hôpital psychiatrique.
D’où la nécessité de déployer son intrigue dans le véritable établissement, à Blida, à la manière d’un quasi-huis clos. Avec des comédiens, pour beaucoup non professionnels, en partie recrutés en Algérie. Et dans un noir et blanc qui, certes, fait « époque », mais surtout résonne avec la phrase de Jacques Tati : « Trop de couleur distrait le spectateur. » Ce noir et blanc accueillant toutes les nuances de gris apporte aussi une impression de douceur en accord avec les méthodes plus humaines mises en œuvre par Fanon.
Aliénation
Formé par François Tosquelles, l’inventeur de la psychothérapie institutionnelle, dont le nom résonne dans le film comme un affront pour les tenants, tel le Dr Ramée (Gérard Dubouche), de l’école d’Alger aux préceptes racistes, le jeune psychiatre délie les mains des patients, rend aux femmes leurs vrais prénoms et leurs vêtements à la place de surnoms et d’uniformes, engage les soignants à se réformer. Car, selon lui, c’est l’hôpital qui est malade et qu’il faut soigner.
Toujours dans ce souci d’éviter les effets et d’être le plus juste possible, le cinéaste a induit un jeu d’acteurs tout en retenue, au style bressonnien. Ce qui renforce le Fanon observateur, analysant ce qui vient à lui par l’intermédiaire de ses patients.
Ainsi la guerre de libération pénètre-t-elle bientôt dans l’enceinte de l’hôpital. Via un policier sujet à des crises de violence envers sa femme et ses enfants, qui supporte mal les séances de torture auxquelles il se livre ; un maquisard – l’hôpital soigne aussi les membres du FLN – racontant le viol de sa femme par des soldats français ; ou deux enfants qui ont tué leur copain « européen » car un village a été décimé sans qu’aucun Blanc ne soit puni.
Rien n’est montré mais tout est suggéré par des récits.
Rien n’est montré mais tout est suggéré par des récits, comme l’avait fait John Ford avec Henry Fonda racontant les horreurs de la guerre, sans aucune image de la bataille venant d’avoir lieu, dans une scène fameuse de Sur la Piste des Mohawks.
Son séjour à Blida aura fait comprendre à Fanon que l’aliénation déborde largement des limites de l’hôpital, qu’elle est le résultat de la colonisation sur tout un pays, toute une population. Voilà pourquoi ces années sont déterminantes. Abdenour Zahzah en a fait un film éclairant, porté par une poésie matérialiste qui affleure muettement à plusieurs moments : une danse entre une patiente et une infirmière, un homme donnant le foin à l’étable, deux soignants confectionnant les coins d’un terrain de football. C’est beau, tout simplement.
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