Voyez, je ne suis qu’une femme
Il y aura de plus en plus de femmes en politique. Tant mieux, mais l’humoriste Mulov, qui nous livre ici un billet d’humour, s’en fout : elle veut bien plus qu’un progrès quantitatif.
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À Dijon, les Lentillères luttent et sèment la joie Burn-out militant : questionner les organisations pour mieux militer Éco-anxiété : l’apprivoiser, agir et aller mieux Samah Karaki : « L’action est négligée dans le monde affectif »Moi je suis une vraie pleureuse, ici ça chiale, ça morve. Je crois que je tiens ça de mon père. Vous pensiez que j’allais dire de ma mère ? Eh bien non, car les hommes pleurent et les femmes font la guerre, et un jour, il y aura des trans au CAC40, wait and see !
En attendant, on est en 2025, et je dois encore faire une chronique sur le genre et la politique. Je vais faire semblant d’être intéressée par le sujet car j’oublie souvent que le pire, c’était encore hier, ou sera demain.
Ça ne fait que cent vingt-trois ans que les femmes ont commencé à obtenir le droit de vote et 7 millions d’années qu’il y a des femmes sur terre. Il nous faut donc être patientes si on veut faire de la terre un paradis pour femmes. Et faire de la terre un paradis, c’est le rôle de Dieu mais, plus démocratiquement, d’hommes politiques et de femmes politiques.
C’était le rôle de Margaret Thatcher par exemple, qui a lamentablement échoué. Devenue symbole d’austérité obstinée, elle a fait la guerre, aux Malouines contre les Argentins, et chez elle en Angleterre contre les prolétaires, leur disant « débrouillez-vous, chacun se gère ». Une femme est donc capable de faire ça, elle aussi, devenir reine isolée d’un pays souverain et gouverner par le fouet.
Aujourd’hui, les conservatrices se disent féministes tout en prônant des lois antiféministes.
Macron s’en inspire, Jacques Chirac l’appelait « la mégère », Yasser Arafat « Iron man », le parti ouvrier « bitch » et Brzezinski disait qu’elle n’était pas une femme. Il disait ça justement car c’était une femme. Et vous connaissez tous des femmes, vous voyez bien que… Que voyez-vous d’ailleurs ? C’est ça la seule question qui vaille.
Malgré la couche de virilité que revêtait Thatcher, et Élisabeth Borne a reconnu devoir se masculiniser pour rester en politique, ces femmes restaient cantonnées au qualificatif de « bitch », et l’univers BDSM (1) sexualisant leur corps est volontiers réservé pour parler de leur austérité. Toujours infériorisées par le fait d’être femme, jamais garanties d’avoir des valeurs morales parce que femme. Et si vous voulez mon avis, pour moi aussi ces femmes sont des bitchs.
Bondage, domination, soumission, sado-masochisme.
Ainsi j’ai du mal à m’émouvoir car, aujourd’hui, les conservatrices se disent féministes tout en prônant des lois antiféministes. « Les femmes peuvent très bien aller travailler en tailleur tout en parlant de retour au foyer dans leurs communiqués de presse », rappelle Susan Faludi dans son ouvrage Backlash, après avoir interviewé Beverly LaHaye, workaholic (2) et fondatrice d’une association antiféministe, le Concern Women for America. Association pour laquelle Beverly LaHaye a mis de côté son rôle de femme au foyer et s’est investie pleinement pour, entre autres, faire du lobbying contre les crèches. Il y a des femmes qui travaillent dur pour que d’autres femmes ne travaillent pas. Comment font-elles pour gérer cette scission : reconnaître les bienfaits de l’obtention d’un droit pour leur propre condition tout en soutenant des lois contre ce même droit pour d’autres ?
Qui possède une addiction au travail.
Il ne s’agit ni d’empêcher les femmes de travailler, ni de leur dire d’aller travailler. Je serais même d’humeur à supprimer le travail et qu’on s’occupe autrement les uns les autres des uns des autres.
On qualifiera facilement les femmes politiques de viriles mais pas Trump d’hystérique.
J’ai des chiffres, des tableaux, des études qui montrent la faisabilité de mon projet. Projet qu’on s’amuse à qualifier d’idéaliste, de douce petite utopie qui use de grands mots.
Et en plus, voyez : je ne suis qu’une femme.
On qualifiera facilement les femmes politiques de viriles mais pas Trump d’hystérique. On ne pense pas aux états d’âme des chefs politiques, ni à l’irrationalité de leur logique de guerre ou autre crédit de dette. « Nous n’avons pas craqué », hurle le député Olivier Dussopt en 2023 à l’Assemblée. Il craque complet, parce que la politique est traversée d’émotions et n’est pas qu’une science rationnelle, mesurée, objective, réservée aux hommes qui s’en passent l’exercice entre eux et donnent à quelques femmes une place, pourvu qu’elles n’en prennent pas trop.
Dans ces scènes d’Assemblée survoltée, il me semble moins voir des personnes à la tête froide que des affolés, des autruches aux plumes de canard paniquées. Pas des monstres froids mais de romantiques pervers. Macron, le sensible, essuie ses larmes le 11 novembre 2021 sur le « Chant des partisans ». Zemmour, le nostalgique doublé d’une paranoïa phobique, regrette une époque qu’il n’a pas connue, et des femmes le soutiennent. Vais-je encore découvrir que l’eau ça mouille, que femme n’est pas une catégorie uniforme et que, malgré toutes nos statistiques, les femmes m’échappent et se divisent ?
Je resterai patiente sans être dupe.
Il y aura de plus en plus de femmes en politique. Tant mieux mais je m’en fous : je veux bien plus qu’un progrès quantitatif. Mais cela fait donc 7 millions d’années qu’il y a des hominidés sur terre ; 3 millions d’années que nous utilisons des outils ; 400 000 ans qu’on crame des trucs ; 250 000 ans qu’on parle et fun fact : on dit que les interactions des mères hominidés et leurs bébés pourraient être une des raisons de l’apparition du langage ; 35 000 ans qu’on pratique l’art ; 8 000 ans qu’on parle de démocratie ; 1 heure qu’on y mentionne le féminisme ; et 1 seconde que c’est devenu la grande cause nationale d’un gouvernement antiféministe.
Je resterai patiente sans être dupe.
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