En Espagne, l’extrême droite choisit la violence

Face à une série d’agressions racistes et à une rhétorique de plus en plus radicale, l’extrême droite espagnole, menée par Vox, mène une stratégie de violence et de haine.

Pablo Castaño  • 21 juillet 2025 abonné·es
En Espagne, l’extrême droite choisit la violence
L'extrême droite a collé des affiches sur lesquelles on peut lire « Stop, pas un seul de plus » au quatrième jour des troubles contre les migrants à Torre Pacheco, dans le sud-est de l'Espagne, le 15 juillet 2025.
© JOSE JORDAN / AFP

Le 7 juillet dernier, une députée de Vox a proposé un processus de « remigration » qui toucherait « 8 millions de personnes », incluant des migrants et « la deuxième génération », car, selon elle, « ils ne se sont pas adaptés à nos coutumes et, dans de très nombreux cas, ont en plus été à l’origine de scènes d’insécurité ». Avec cette idée, ensuite nuancée mais pas totalement démentie par le parti, Vox se rapproche d’Alternative pour l’Allemagne (AfD), l’aile la plus radicale de l’extrême droite européenne.

Quelques jours avant ces déclarations polémiques, plusieurs nuits d’attaques racistes contre la population migrante s’étaient succédé dans un quartier de Sabadell (Barcelone), suite à un rassemblement protestant contre l’insécurité provoquée par des squatteurs, supposément d’origine étrangère. Peu après, un incendie criminel au petit matin a brûlé une mosquée sur le point d’être inaugurée dans la localité barcelonaise de Piera.

Passage à tabac

Mais le pire était encore à venir. Deux jours seulement après la proposition de déportation massive de Vox, des images d’une supposée agression contre un homme âgé par des jeunes d’origine maghrébine ont commencé à circuler sur les réseaux sociaux. L’attaque était réelle : elle a eu lieu le 9 juillet à Torre Pacheco (40 000 habitants), un village agricole de la région de Murcie (sud-est) comptant 30 % de population migrante. Mais les vidéos diffusées, surtout dans des groupes Telegram ultras et néonazis, correspondaient à d’autres agressions, dont un passage à tabac d’un sans-abri et une attaque sans motif connu au Mexique. Peu importe : l’extrême droite cherchait juste une excuse pour lancer une vague de violence raciste.

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Les porte-parole de diverses organisations, de Vox à l’eurodéputé Alvise Pérez en passant par des groupuscules néonazis, ont inondé les réseaux de messages de haine raciste liant immigration et insécurité – un argument fréquent contredit par la réalité : ces dernières années, l’immigration a considérablement augmenté en Espagne tandis que la délinquance restait stable. « Plus de murs, moins de Maures » fut l’un des slogans les plus répétés.

La mairie de Torre Pacheco, dirigée par le Parti populaire (PP), a organisé un rassemblement pour condamner l’agression subie par le vieil homme. À la fin de cette réunion pacifique, un groupe d’ultras venus d’autres villes a commencé à poursuivre et agresser des habitants d’origine maghrébine. La faible présence policière a été débordée par les militants racistes, qui ont saccagé des commerces, incendié des poubelles et attaqué des voisins.

Plus inquiétant encore est le glissement du Parti populaire vers des positions de plus en plus xénophobes.

Pendant ce temps, le canal Telegram néonazi « Deport Them Now », peu connu en Espagne, a appelé à une « chasse » pour « réunir avec Allah » les supposés auteurs de l’agression, incitant ouvertement à la violence au milieu de symboles et slogans néonazis. Le leader de Vox, Santiago Abascal, a attisé le feu avec une vidéo affirmant que « l’Espagne subit une invasion migratoire brutale ». Les porte-parole du parti – qui occupe 33 des 350 sièges du Congrès des députés et frôle les 15 % d’intentions de vote – ont alimenté la haine raciste avec une rhétorique à peine distinguable de celle du groupuscule néonazi.

Pendant plusieurs nuits, des centaines de militants ultras ont semé la panique dans le village, au point que les familles migrantes ont dû se barricader chez elles, la police étant incapable d’assurer leur sécurité. Peu à peu, les rassemblements d’extrême droite sont devenus plus petits, la présence policière plus nombreuse et le village est retourné à la normale. Le 15 juillet, le leader de « Deport Them Now » a été arrêté et le gouvernement a fermé son canal Telegram. Les émeutes ont abouti à 120 identifications et 13 arrestations.

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Une extrême droite déchaînée et une droite complice

Les troubles de Torre Pacheco et leurs antécédents en Catalogne reflètent la radicalisation de Vox et la complaisance du PP. Il y a un an, Vox a quitté les gouvernements régionaux qu’il partageait avec le PP, entamant une radicalisation qui a débouché sur la proposition raciste de « remigration » massive. Le parti d’Abascal a fait de l’immigration son cheval de bataille pour se différencier du PP, reléguant au second plan des thèmes comme l’opposition à l’indépendantisme catalan ou le féminisme.

Plus inquiétant encore est le glissement du PP vers des positions de plus en plus xénophobes, suivant une tendance commune aux droites européennes. Si le leader du PP, Alberto Núñez Feijóo, a condamné la violence à Torre Pacheco, il a aussi réclamé l’expulsion « immédiate » des migrants en situation irrégulière ayant commis un délit, une rhétorique plus radicale que d’habitude pour son parti.

En élargissant la fenêtre de l’imaginable politique, Vox entraîne le PP vers des positions toujours plus radicales.

À Torre Pacheco, l’extrême droite espagnole a testé une stratégie de propagande par la violence, et il est probable qu’elle recommence. Le discours politique et médiatique majoritaire a rejeté les émeutes de Murcie, mais certains secteurs conservateurs ont voulu présenter les agressions ultras comme l’expression d’un prétendu ras-le-bol des Espagnols face à l’immigration. Aucune réaction citoyenne comparable à celle du Royaume-Uni en 2024 – où des milliers de manifestants étaient sortis pour protéger les migrants des attaques d’extrême droite – n’a eu lieu.

En élargissant la fenêtre de l’imaginable politique, Vox entraîne le PP vers des positions toujours plus radicales, et avec eux un secteur grandissant de l’électorat. Les dirigeants du PP sont nerveux, car ils voient comment une partie de leurs votants se voient séduits par Abascal. Une nervosité qui pousse Feijóo à adopter des postures de plus en plus proches de Vox, espérant enrayer la fuite des votes vers sa droite, bien que cette stratégie ait échoué ailleurs en Europe.

De leur côté, les deux partis au gouvernement (PSOE et Sumar), ainsi que les médias progressistes, ont défendu une vision positive de l’immigration. Pedro Sánchez a défendu « la contribution de l’immigration » au « progrès économique » de l’Espagne, mais il continue à faire des accords avec des pays comme le Maroc ou la Mauritanie pour qu’ils empêchent l’arrivée de migrants sur les côtes espagnoles, souvent par des moyens brutaux.

L’Espagne vit une véritable guerre culturelle sur l’immigration : l’inconnue est de savoir si l’exception espagnole tiendra, ou si le racisme deviendra la nouvelle norme politique.

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