Le racisme n’est plus une dérive : c’est un projet politique

Le racisme ne relève plus de l’accident : il devient méthode, outil de conquête pour une extrême droite décomplexée. En Europe, la haine s’organise, se banalise, et menace la démocratie.

Pierre Jacquemain  • 21 juillet 2025
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Le racisme n’est plus une dérive : c’est un projet politique
Une manifestation intitulée « Frieden - Freiheit - Volksabstimmung » ("Paix - Liberté - Référendum"), le 24 mai 2025 à Berlin.
© RALF HIRSCHBERGER / AFP

En Espagne, en France, au Royaume-Uni ou en Irlande du Nord, le scénario est tristement familier. Un fait divers – souvent tragique, parfois flou, toujours émotionnellement chargé – déclenche une déferlante de haine raciste. L’événement est surmédiatisé, déformé, puis instrumentalisé par des figures politiques ou partis d’extrême droite. Les mots se transforment en actes : émeutes, attaques ciblées, incendies criminels. Ce n’est plus un emballement isolé. C’est une méthode. Une stratégie.

Début juillet, en Espagne, une agression dans la ville de Torre Pacheco a suffi à déclencher trois nuits de violences racistes. Commerces marocains pillés, habitants pourchassés, menaces et slogans haineux : la ville est tombée dans un climat de guerre civile localisée. Le tout, encouragé en sous-main par des activistes liés au parti d’extrême droite Vox, qui ont su transformer une émotion populaire en ressentiment collectif. Ce scénario, on l’a déjà vu.

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En France, l’affaire de Crépol en novembre 2023 avait été récupérée par l’extrême droite comme symbole d’un supposé « ensauvagement ». Les réseaux sociaux, les chaînes en continu et les élus d’extrême droite ont alors orchestré une campagne de diabolisation massive, créant une fracture encore plus visible dans la société. Même schéma au Royaume-Uni il y a tout juste un an, lorsqu’un triple meurtre d’enfants fut attribué à tort à un migrant musulman. Avant même que les faits ne soient établis, des groupes ultranationalistes ont lancé des manifestations violentes, attaqué des mosquées et harcelé des familles immigrées dans plusieurs villes.

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est l’écho de ces discours dans des pans entiers de la société.

Le mensonge, une fois répété suffisamment fort, était devenu vérité pour les foules. En Irlande du Nord, au début du mois de juin dernier, des quartiers entiers ont vu ressurgir des actes venus d’un autre siècle : incendies de logements occupés par des Roms ou des Philippins, jets de cocktails Molotov, menaces sur les réseaux sociaux. Les vieux réflexes identitaires, couplés à la viralité toxique des réseaux, ont fait le reste.

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Derrière cette répétition macabre, un même ressort : la banalisation du racisme comme langage politique. Les partis d’extrême droite ne se contentent plus d’insinuer : ils agissent, organisent, structurent une rhétorique dans laquelle l’étranger devient l’ennemi, le migrant le bouc émissaire, et la violence une réponse légitime. Les frontières entre les discours radicaux et les actes violents sont de plus en plus poreuses. Les mots tuent, et souvent, ils précèdent les coups.

Signaux pléthoriques

Mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est l’écho de ces discours dans des pans entiers de la société. Ce ne sont plus seulement les marges qui s’enflamment, mais des centres urbains, des classes populaires, des électeurs désorientés par la peur et la colère. Le racisme n’est plus honteux, il devient revendiqué. Il n’est plus clandestin, il s’affiche en pleine rue. Les signaux sont pléthoriques. Depuis plusieurs mois, les symboles nazis et fascistes refont surface dans l’espace public européen.

Cesser de tolérer sous prétexte de « liberté d’expression » ce qui n’est que l’expression déguisée de la haine.

Du salut hitlérien dans un stade de foot à Paris, à un concert en Croatie qui revisite les slogans pro nazis (450 000 billets vendus), en passant par la radicalisation de jeunes néonazis en Allemagne ou en Suède, les événements ne manquent pas, inquiétants, et trop souvent banalisés. Ces gestes ne sont pas de simples provocations : ils sont les symptômes d’une radicalisation rampante, d’une extrême droite qui ne se cache plus, et parfois même, d’une complaisance institutionnelle. Pire encore, les jeunes générations y sont exposées via les réseaux sociaux ou certaines figures publiques peu scrupuleuses, contribuent à une désensibilisation inquiétante.

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Face à cette dérive, il est urgent de tirer un constat lucide : le racisme n’est plus un résidu du passé, c’est une arme de conquête politique. Son instrumentalisation s’inscrit dans une stratégie globale de polarisation, et de préparation au pouvoir. Il faut désormais sortir de la naïveté. Il ne s’agit plus simplement de dénoncer des propos choquants, mais de démasquer un projet autoritaire qui prospère sur la haine, l’amalgame, et la peur. L’histoire nous a déjà appris où mènent les sociétés qui ferment les yeux sur les premières violences racistes.

Face à ce retour insidieux de l’idéologie brune, l’Europe doit réagir avec fermeté. Les lois existent, mais leur application reste inégale. Il faut les faire respecter, renforcer l’éducation à l’histoire – en ce sens la proposition du premier ministre de supprimer le 8 mai comme jour férié est irresponsable –, et cesser de tolérer sous prétexte de « liberté d’expression » ce qui n’est que l’expression déguisée de la haine. Ce n’est pas seulement une question de mémoire. C’est un enjeu de démocratie.

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