À gauche, comment faire rechanter les lendemains ?

Socialistes, écologistes, communistes et insoumis rêvent de rallumer la flamme du peuple de gauche. Un sujet d’abord stratégique pour certains, davantage programmatique pour d’autres. En tout état de cause, un projet reste à trouver.

Lucas Sarafian  • 25 juillet 2025 abonné·es
À gauche, comment faire rechanter les lendemains ?
Rassemblement de la gauche, place de la République, le 30 juin 2024.
© Maxime Sirvins

C’est une question qui provoque un grand vertige, une interrogation récurrente. La gauche peut-elle encore créer de l’espoir ? Dans les discussions entre militants, les colloques ou les festivals politiques, ce questionnement plane comme une ombre. « Tout ce qui a pu durant près de deux siècles donner du sens et du souffle, ou construire des repères pour l’idée de gauche, est désormais affaibli ou perverti, écrit le sociologue Michel Wieviorka, dans L’idée de gauche peut-elle encore faire sens ? (L’Aube, 2025). Il n’y a plus guère la promesse de « lendemains qui chantent ». »

La gauche aurait donc perdu ce qui fait ce qu’elle est, une famille politique habitée par l’obsession d’offrir aux classes populaires et moyennes un horizon désirable en rupture avec le système économique et politique en place. Comment faire renaître l’espoir ?

Pour beaucoup, le problème est d’abord stratégique. Les unitaires voient dans la réunification de toutes les composantes de la gauche, des écologistes aux insoumis en passant par les socialistes, les communistes et les sociaux-démocrates, le seul moyen de créer une dynamique politique capable d’imposer un nouveau récit mobilisateur. Selon un sondage réalisé en avril dernier par Toluna Harris Interactive pour Regards, 79 % des Français se situant politiquement à gauche soutiennent d’ailleurs une candidature commune à gauche pour la présidentielle.

S’unir, mais comment ?

Mais faire l’union, est-ce une idée suffisante ? L’affichage de plusieurs logos sous la même bannière suffira-t-il à lancer une dynamique populaire ? En pariant sur le postulat que la division bloque la moindre mobilisation, le processus d’une primaire pourrait avoir l’effet inverse.

« Il nous faut une « primaire geyser » qui ne soit pas qu’une élection de départage, mais un moment de débordement. Ce qui domine aujourd’hui dans le pays, et encore pire à gauche, c’est l’abattement, le découragement. Alors ma seule question est : comment on fait surgir l’énergie ?, se justifiait François Ruffin en mai dans Libération. Ces mots « Soyez unis, arrêtez vos conneries », c’était loin d’être un trait de génie, plutôt une évidence. Des millions de gens s’y sont reconnus. »

Sur le même sujet : À Bagneux, les unitaires lancent le « Front populaire 2027 »

Pour les unionistes convaincus, il ne s’agit pas simplement de s’appuyer sur un mode de désignation : tout le monde est bien conscient que le seul principe d’une primaire ne réveillera pas le peuple de gauche. Mais ils veulent s’appuyer sur l’imaginaire créé par la mobilisation du Nouveau Front populaire (NFP) de 2024 après la dissolution surprise de l’Assemblée. En battant l’extrême droite, l’union des gauches avait fait mentir le scénario écrit d’avance.

La gauche ne porte pas suffisamment l’envie d’autre chose.

G. Candar

« Il y a un an, nous nous sommes réveillés avec la trouille de voir notre pays basculer à l’extrême droite, de voir le poison du racisme et de la division s’instiller partout, rappelle le député Génération·s Benjamin Lucas-Lundy le 2 juillet, jour où le « serment de Bagneux » de la gauche unitaire est pris. Mais il y a eu un sursaut considérable. Des millions de Français sont allés aux urnes, aussi parce qu’ils ont cru dans la proposition radicale que nous formulions pour transformer notre société, pour réparer sept années de casse sociale et démocratique du macronisme. »

Les raisons de la panne

S’appuyer sur le souvenir d’un épisode passé, est-ce assez ? « L’un des gros problèmes de la gauche, c’est qu’elle est en panne d’un projet positif. La gauche existe, bien entendu, sur un mode défensif en s’opposant à la réforme des retraites, en signant des accords d’alliance, en proposant une taxation des patrimoines excessifs, par exemple. Mais elle ne porte pas suffisamment l’envie d’autre chose, considère Gilles Candar, historien et président de la Société d’études jaurésiennes. Depuis le début de notre siècle, la gauche ne donne plus à voir une vision claire de la société qu’elle désire. Les discours se sont asséchés, les propositions de transformation se sont réduites. En apparence, tout continue, mais les militants, moins nombreux, peinent à convaincre de la solidité et de la fécondité de leurs propositions alternatives. »

Front populaire 2027
Les partisans de l’union veulent s’appuyer sur l’imaginaire créé par le Nouveau Front populaire en 2024. Ici, la présentation du Front populaire 2027 à Bagneux en juillet 2025. (Photo : Maxime Sirvins.)

Michel Wieviorka explique cette « panne » par trois ­raisons : la société ne demanderait rien à ses élus avec force, le personnel d’élus ne serait pas formé de façon adaptée et l’idée démocratique se serait essoufflée dans la société. Dans son essai, le sociologue fait le constat d’une gauche « dépossédée du combat républicain », « orpheline du mouvement ouvrier », « embarrassée par l’idée de nation ». En bref, privée des piliers idéologiques sur lesquels elle s’est construite. Wieviorka avance un autre argument : « La gauche politique a coupé les ponts avec la vie des idées. Cette gauche qui a accédé au pouvoir a été de plus en plus dans une forme gestionnaire. Elle n’a pas gouverné en voulant représenter le corps social. »

Sur le même sujet : Dossier : où va la gauche ?

Il se souvient encore de la suppression du Laboratoire des idées, mis sur pied au sein du Parti socialiste en 2009 par Martine Aubry, alors première secrétaire du parti. La maire de Lille voulait réarmer idéologiquement la formation au poing et à la rose, qui venait de subir deux défaites successives à la présidentielle, avec Lionel Jospin en 2002 et Ségolène Royal en 2007. Ce laboratoire a été liquidé, selon les mots de Wieviorka, « du jour au lendemain » en 2012, dans la foulée de l’arrivée de François Hollande au pouvoir. Tout un symbole.

La particularité de la gauche, c’était l’existence d’un imaginaire commun (…) Cet imaginaire s’est progressivement décomposé.

P. Corcuff

Rallumer l’espoir serait une question idéologique. C’est d’une certaine façon le pari que font depuis longtemps les insoumis, qui raillent ces petits événements d’appareil comme celui du 2 juillet à Bagneux. Pour eux, seul le programme compte. Raphaël Glucksmann et Place publique partagent désormais cette logique. « Nous avons la conviction que, dès lors que l’on portera une identité politique claire et assumée, adossée à un projet ambitieux et cohérent de transformation sociale et écologique, l’offre politique que nous ferons lors des prochaines échéances électorales répondra à une demande puissante de l’électorat et sera en mesure de créer une dynamique électorale puissante », développe un conseiller de Glucksmann.

Sur le même sujet : Raphaël Glucksmann, candidat hypothétique cherche projet politique

Mais les chercheurs et intellectuels interrogés font une différence fondamentale : un programme n’est pas un projet de société. Il en est l’un des éléments mais il ne détermine pas à lui seul un paradigme politique. « La particularité de la gauche, c’était l’existence d’un imaginaire commun, c’est-à-dire un ensemble d’affects, de valeurs et de savoirs critiques partagés sur la société, ainsi qu’une projection sur une autre société. Cet imaginaire s’est progressivement décomposé », constate Philippe Corcuff, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques de Lyon. Les pôles communiste et social-démocrate se sont effondrés.

Et qu’a fait la gauche radicale autour des anticapitalistes d’Olivier Besancenot puis de Jean-Luc Mélenchon ? « Elle a surtout construit des contre-propositions. Ce qui manque, c’est l’imaginaire, avec un projet de société qui donne un sens global à l’action présente et aux programmes. » Corcuff identifie notamment trois difficultés : celle de convertir les frustrations et ressentiments en un projet positif, la déception qu’ont engendrée les expériences au pouvoir du PS ainsi que la contradiction interne de La France insoumise sur la question démocratique (le mouvement défend la VIe République, mais son fonctionnement interne est largement autocratique).

Rassemblement place de la République 7 juillet 2024 élections législatives Nouveau Front populaire Paris
Rassemblement place de la République, à Paris, le 7 juillet 2024, au soir des résultats du second tout des élections législatives anticipées. (Photo : Maxime Sirvins.)

Pour Stefano Palombarini, économiste et maître de conférences à Paris-8, la construction d’un imaginaire alternatif prend du temps : « La gauche « d’accompagnement » avec un logiciel keynésien ou social-démocrate est en échec idéologique, elle a vieilli. Tout comme le paradigme communiste. Mais cette autre gauche qui se place en rupture avec le paradigme libéral a encore du mal à proposer un horizon souhaitable. C’est un travail qui prend beaucoup de temps et c’est normal. »

La gauche se reconstruira avec un projet en lien avec des aspirations de la société.

M. Wieviorka

Il existe cependant des tentatives. Dans son livre, L’Avenir, c’est l’esprit public (Seuil, 2025), Clémentine Autain développe l’idée d’un « esprit public », c’est-à-dire une logique politique qui extrairait chaque décision politique de la pensée marchande. De son côté, Boris Vallaud a tenté de porter le concept très similaire de démarchandisation durant le congrès du PS. « La gauche ne se reconstruira pas avec des bonnes idées. Elle se reconstruira avec un projet en lien avec des aspirations de la société », avance Wieviorka.

Sur le même sujet : Boris Vallaud : « Le boulot de la gauche, c’est d’arrêter de ne parler que d’elle-même »

« Ce sont peut-être des bouche-trous idéologiques pour des initiatives individuelles, juge Corcuff. Ça ne mène pas à la production d’un écosystème éthique, politique et culturel même si des idées émergent. » Lucie Castets en est consciente : « La première grande voie, c’est la question de la forme et de la méthode. La deuxième, c’est la question du fond, expose-t-elle lors du Festival des idées à La Charité-sur-Loire (Nièvre). Ne nous présentons pas seulement comme une force en contre. Il faut offrir un projet, un récit, une vision. C’est ce que les gens réclament et ils ont raison. » Au travail !

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

Gouverner par la peur : démocratie sous tension
Enquête 25 juillet 2025 abonné·es

Gouverner par la peur : démocratie sous tension

Depuis quelques années, les discours anxiogènes se sont installés au cœur du pouvoir. De crise en crise, l’exception sécuritaire est devenue la norme, au détriment des libertés.
Par Maxime Sirvins
Rima Hassan et Rokhaya Diallo : « La gauche ne se réduit pas à la colère »
Entretien 24 juillet 2025 abonné·es

Rima Hassan et Rokhaya Diallo : « La gauche ne se réduit pas à la colère »

Juriste devenue eurodéputée, la première est l’une des voix françaises qui dénoncent le génocide des Palestiniens. La seconde, journaliste, autrice et documentariste, est engagée dans la lutte féministe antiraciste. Des combats motivés et rythmés par les émotions. Rencontre exceptionnelle.
Par Pauline Migevant
Comment Retailleau a utilisé un féminicide pour enfermer les étrangers plus longtemps
Récit 23 juillet 2025 abonné·es

Comment Retailleau a utilisé un féminicide pour enfermer les étrangers plus longtemps

Après la sidération provoquée par la mort d’une étudiante dont le meurtrier présumé était un étranger sous OQTF, la droite et l’extrême droite ont voté une loi permettant d’allonger la rétention administrative jusqu’à 210 jours. Une réponse à la fois erronée et en contradiction avec l’État de droit.
Par Pauline Migevant
« Ça se relit », épisode 2 : Marine Tondelier et Severn Cullis-Suzuki
Série d'été 23 juillet 2025

« Ça se relit », épisode 2 : Marine Tondelier et Severn Cullis-Suzuki

Cet été, Politis demande à de nombreuses femmes de gauche un discours à découvrir… ou redécouvrir. Pour ce deuxième épisode, Marine Tondelier lit Severn Cullis-Suzuki, militante écologiste canadienne.
Par Marine Tondelier