Pas de fachos au bal du village !
Alors que l’ultraconservateur Pierre-Édouard Stérin vient de lancer une OPA sur les fêtes traditionnelles, un mouvement d’éducation populaire rural et chrétien, le MRJC, a mobilisé la jeunesse contre l’extrême droite du 11 au 14 juillet dans le Maine-et-Loire. Reportage.
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© Mathilde Doiezie
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Le mouvement d’éducation populaire chrétien tourné vers la jeunesse rurale, héritier entre autres de la Jeunesse agricole catholique (JAC, un mouvement d’émancipation des jeunes paysans), a réussi à réunir jusqu’à 2 000 personnes des quatre coins de France durant le week-end prolongé. Il faut dire que l’occasion de se voir est rare. Le MRJC organise ce grand raout une fois tous les sept ans seulement. Sobrement baptisé « rassemblement national » auparavant, le mouvement s’est vu contraint de changer de nom et a rebaptisé son événement Les Grandes Rurales, pour éviter toute confusion malheureuse avec le successeur du Front national.
La lutte contre l’extrême droite était d’ailleurs au centre des animations du week-end. Quelques jours plus tôt, l’hebdomadaire L’Humanité révélait en effet que le milliardaire français ultraconservateur Pierre-Édouard Stérin avait pris part, fin mai, au capital de Studio 496, une entreprise à l’origine du label Les plus belles fêtes de France, « première franchise de fêtes traditionnelles en France », selon son cofondateur Thibault Farrenq.
Une nouvelle stratégie d’entrisme pour celui qui veut faire gagner au moins 1 000 mairies à la droite et à l’extrême droite aux municipales l’an prochain et un nouveau volet de sa charité, à l’image des Nuits du bien commun. Ici, il s’agit de voler au secours des fêtes populaires qui disparaissent progressivement et manquent de soutien financier, grâce à un label qui promet 10 000 euros à la clé d’un processus de sélection.
Au MRJC, le choix de la thématique remontait pourtant à un peu plus d’un an et demi. Elle avait fait l’unanimité au sein du conseil d’administration, justement pour la réflexion politique qu’elle pouvait apporter. « Nous nous sommes rendu compte que nous avions besoin de célébrer ce qui faisait du commun, tout en nous interrogeant sur ce que ces fêtes disent de nos territoires ou de la montée de l’extrême droite », retrace Manon Rousselot-Pailley, 28 ans, présidente du mouvement depuis deux ans.
Partager les traditions
Sous la grande halle du Foirail – l’ancien deuxième plus grand marché aux bestiaux de France, transformé en salle de spectacles et séminaires –, les invités de la conférence introductive du samedi ont été clairs sur la bataille culturelle à mener sur le terrain des fêtes de village. Mais aussi sur la nécessité d’ouverture, pour apaiser les clivages plus que les amplifier.
Face à l’extrême droite qui cherche à ce qu’on soit tous ennemis, faire la fête est une solution.
L. Lapray
« Face à l’extrême droite qui cherche à ce qu’on soit tous ennemis, faire la fête est une solution pour se retrouver et se rendre compte que nous sommes plus forts ensemble », espère Lumir Lapray, 33 ans, activiste pour les ruralités et le climat, originaire de l’Ain. « Il y a une urgence à se réapproprier ces fêtes qui ont été ringardisées. Parce que nous sommes en train de nous faire déposséder de Johnny Hallyday et du saucisson », ajoute-t-elle dans un grand éclat de rire, non sans amertume.
Parmi les autres invitées se trouvait l’autrice de Péquenaude (Éditions Cambourakis, 2024) et Juliette Rousseau, 38 ans, réinstallée depuis quelques années dans son village d’enfance près de Châteaubriant (Loire-Atlantique). De son côté, elle invite à « réinvestir la tradition, pour qu’elle se vive en partage et pas comme un lien du sang », afin de ne pas laisser le champ libre sur ce terrain aux identitaires et aux néofascistes.
Par tradition, les fêtes de village tournent souvent autour de la nourriture. Dans les Mauges, le directeur du centre social de Chemillé-en-Anjou, Benoît Feunteun, énumère : « Il y a une Fête de la langue de bœuf, une Fête du boudin, une Fête du pâté aux prunes… » « Un prétexte plus qu’un véritable intérêt, complète-t-il, qui permet de rassembler des gens au-delà des différentes communautés villageoises. On peut retrouver un jeune à servir des bières avec l’adjoint au maire ou le garagiste. »
Parmi les jeunes présents aux Grandes Rurales, certains se sont essayés à l’organisation de nouvelles fêtes de village avec un prétexte alimentaire. C’est le cas de Marie Moisan, 29 ans, et de Louis David, 30 ans, tous les deux membres du MRJC Ille-et-Vilaine, cofondateurs d’une Fête de la courge à Breteil, près de Rennes. Point de Johnny Hallyday dans les baffles de leur événement, mais des activités autour de l’alimentation durable et un fest-noz, pour tenter de réunir toutes les générations des villages alentour. Un partenariat a été noué avec le service jeunesse local pour attirer plus particulièrement les moins de 20 ans, et la troisième édition est prévue en novembre.
« Ce qu’on fait a de la valeur »
De quoi raviver les bourgs et tordre le cou à l’idée qu’il « ne se passe jamais rien ici », titre d’une autre conférence du week-end. Éloi, 29 ans, coiffure blonde en brosse, est venu des Vosges en voiture jusqu’au cœur des Mauges. Il se souvient d’une année passée à Paris, où les gens imaginaient qu’il n’y avait « rien à faire » dans son territoire natal. Lui pensait tout le contraire : « En milieu rural, je n’ai jamais le temps de m’ennuyer. »
S’il confesse ne pas avoir le profil le plus festif et que ceux qui aiment vraiment « vivre la nuit » doivent sans doute « s’accrocher » pour trouver des occasions de sortie, il trouve qu’il y a quand même de plus en plus de propositions, par exemple avec les guinguettes, qui se sont multipliées. Lui aime sortir dans les bals folks le samedi soir. Au cours du week-end des Grandes Rurales, plusieurs initiations à la danse country ou folk ont d’ailleurs eu lieu, pour celles et ceux qui souhaitent apprendre les pas de base des danses de groupe, qui ont toujours le vent en poupe dans certaines fêtes.
Quels liens entretient-on avec ceux qui restent ? Qu’est-ce qu’on fait quand on revient ?
M. Rousselot-Pailley
« Ce qu’on fait a de la valeur. Et on n’a pas forcément besoin de faire comme en ville », soulignait encore dans la matinée de samedi Lumir Lapray. Les frontières entre milieux rural et citadin se brouillent néanmoins de plus en plus. Il y a bien « ceux qui restent », pour reprendre le titre de l’ouvrage du sociologue des « campagnes en déclin » Benoît Coquard, dont le nom est plusieurs fois évoqué lors de ces Grandes Rurales.
Mais, au MRJC, on sent que les profils représentent davantage « ceux qui partent ». C’est-à-dire ceux qui ont bénéficié du « phénomène de la massification scolaire », comme le décrit Manon Rousselot-Pailley. Et pour poursuivre leurs études au-delà du bac, ces jeunes-là sont allés en ville. Ce qui suscite certaines questions : « Quels liens entretient-on avec ceux qui restent ? Qu’est-ce qu’on fait quand on revient ? », esquisse la présidente du mouvement de jeunesse.
Léonie, 28 ans, originaire de la commune d’Yzernay, à 25 kilomètres de Chemillé, confesse qu’elle a longtemps rêvé d’habiter en ville pour quitter la ferme où elle a grandi, mais qu’aujourd’hui celle qui habite Saint-Malo « pourrait aimer revenir ». Elle souligne cependant qu’il n’est pas toujours évident de faire la fête là où l’on a passé toutes ses jeunes années : « C’est plus facile quand on est incognito. » Et ceux qui sont « restés » ont « vite reproduit des normes comme s’installer en couple, acheter une maison, voir beaucoup leur famille », affirme Clara, 24 ans, ce qui ne correspond pas aux aspirations de toute la jeunesse rurale.
Alors, parfois, la ville paraît comme la solution de facilité pour aller faire la fête. Pour Clara, originaire du Pays du vignoble nantais, c’est aussi parce qu’à la campagne « les espaces sont occupés et organisés en fonction d’une tranche d’âge » qui ne lui correspond pas. Pour que les jeunes prennent une place plus forte dans les bourgs, le MRJC les encourage à investir et renouveler les rangs des associations locales. Et l’organisation avait mis le paquet pour donner l’exemple et ne pas faire que parler de la fête. Tout au long du week-end, spectacles, ateliers maquillage ou drag, concerts et même un carnaval dans les rues de Chemillé ont eu lieu. Tout était bon pour battre la campagne avec des paillettes.
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